Les Libanais de toutes les confessions dans cette nation divisée se souviennent avec effroi que la dernière guerre entre le Hezbollah et les forces israéliennes a pris place en juillet et août 2006. Ironiquement, ils se trouvent aujourd'hui au bord d'un nouveau conflit d'envergure entre la milice du Hezbollah, soutenue par l'Iran, et Israël. Les tensions couvaient dangereusement, attendant de se transformer en une guerre totale après plus de dix mois d'attaques transfrontalières graves, d'opérations spéciales, de frappes de drones, d'assassinats et de meurtres ciblés, tous déclenchés par la guerre de Gaza.
Toutefois, malgré le nombre impressionnant d'indicateurs qui laissent présager un nouveau conflit direct et généralisé, je me plais à croire que les calculs du Hezbollah et ceux de ses bailleurs de fonds au sein du gouvernement iranien consistent à préserver l'infrastructure et les forces du groupe afin de servir d'atout pour de futures négociations ou de moyen de dissuasion. Ils préfèrent poursuivre la lutte un autre jour.
Bien que les assassinats de Fouad Chokr, du Hezbollah, et du chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, survenus successivement à la fin du mois dernier, aient porté un double coup sévère à l'Iran et à son soi-disant axe de résistance, tant sur le plan opérationnel que celui de la réputation, des frappes de représailles à grande échelle contre Israël pourraient avoir un prix que l'Iran ne semble pas prêt à payer pour le moment.
Les menaces et contre-menaces accrues – comme la récente présentation par le Hezbollah de l'un de ses tunnels prétendument secrets au Liban, le renforcement de l'armée américaine et le groupe de frappe de porte-avions envoyé en urgence en Méditerranée à titre de dissuasion, ainsi que les gesticulations de l'armée iranienne et ses promesses de riposte – pourraient bien être le seul jeu en ville. Il semble également que les frappes de riposte, qui se limitent en grande partie aux frontières israélo-libanaises, continuent d'être tolérées.
On a récemment craint que les échanges de tirs réguliers avec Israël ne dégénèrent en une guerre totale qui pulvériserait de grandes parties du Liban, comme l'ont promis à plusieurs reprises les dirigeants israéliens. Cela pourrait s'avérer catastrophique pour un pays qui souffre d'un vide au niveau de sa direction politique, d'un effondrement économique depuis 2019 et d'une société qui, dans une large mesure, survit grâce au strict minimum de l'aide internationale, complétée par les envois de fonds des expatriés à leur famille et à leurs amis.
Alors qu'une grande partie du pays tient le Hezbollah et ses choix politiques induits par l'Iran pour responsables du sort misérable du Liban, beaucoup sont certains que le pays ne sera pas en mesure de résister à une guerre israélienne destructrice similaire à son assaut sur Gaza.
Lorsqu'on les interroge sur la probabilité d'une guerre totale entre le Hezbollah et Israël, de nombreux Libanais répondent avec un haussement d'épaules: depuis quand peut-on parler de paix? Pour eux, il est évident que le Liban est déjà en guerre. Depuis le 7 octobre, les violences transfrontalières ont fait 585 morts au Liban, dont au moins 128 civils, selon un décompte de l'AFP. Elles ont également entraîné le déplacement de plus de 100 000 Libanais des zones proches de la frontière méridionale avec Israël. Du côté israélien, y compris sur le plateau du Golan occupé, 23 soldats et 26 civils ont été tués, selon les chiffres de l'armée, et un nombre similaire d'Israéliens ont été déplacés de leurs maisons dans le nord d'Israël.
Nul ne doute que le Liban, comme l'ensemble de la région, est une poudrière susceptible de prendre feu à tout moment. Mais plusieurs facteurs continuent d'indiquer qu'Israël et l'Iran se gardent bien de s'engager dans une guerre totale qui remettrait en question leur existence.
Israël, qui continue d'affirmer sa supériorité en matière d'armement, de collecte de renseignements et de portée opérationnelle, est conscient que sa profondeur territoriale limitée pourrait rendre dangereuse la défense de son espace aérien pendant une période prolongée. Il pourrait être victime d'une attaque conventionnelle, de faible technicité, coordonnée et multifrontale de l'axe de résistance en provenance du Liban, de l'Irak, de la Syrie et du Yémen.
Par ailleurs, il est peu probable que le Hezbollah, comme d'autres milices soutenues par l'Iran, agisse seul et mette en œuvre un programme qui se retourne contre son financeur et mécène. Depuis des décennies, la doctrine de l'Iran consiste à repousser l'insécurité loin de ses frontières en combattant ses adversaires et ses ennemis de manière asymétrique, souvent de façon à pouvoir nier toute responsabilité et en évitant à tout prix un embrasement sur son propre territoire.
De nombreux experts s'accordent à dire que les récentes attaques ont mis en évidence la couverture aérienne inexistante de l'Iran, même autour d'installations stratégiques telles que les sites de son programme nucléaire lourdement gardés. Par exemple, Tel-Aviv a frappé des batteries de défense aérienne dans le centre de l'Iran en réponse à l'attaque de drones et de missiles lancée par Téhéran le 13 avril contre le territoire israélien.
Les territoires iraniens se sont ensuite retrouvés dans la ligne de mire de l'armement israélien, ce qui n'est pas très agréable pour Téhéran. Le plus important pour l'Iran est sa crainte absolue de voir la fragile légitimité de son régime théocratique ébranlée à l'intérieur du pays. Une grande partie de la population n'a pas oublié les manifestations de 2022-23 contre l'imposition du voile aux femmes et l'approche musclée qui en a découlé pour les étouffer, car elle a souffert de décennies de sanctions, de performances économiques toujours médiocres, d'une diminution des services publics et d'une corruption généralisée. Toute attaque directe contre l'Iran proprement dit pourrait exposer davantage cette fragilité – un risque que le régime n'est pas disposé à prendre.
Des frappes de représailles à grande échelle contre Israël pourraient avoir un prix que l'Iran ne semble pas prêt à payer pour le moment.
Mohamed Chebaro
Malgré ses efforts pour se positionner comme un groupe défendant les intérêts libanais, la direction du Hezbollah n'hésite jamais à rappeler que ses forces ne sont qu'une division ou une brigade combattant sous les ordres du guide suprême iranien. Et les récents événements à Gaza ont une fois de plus mis en lumière ces liens avec Téhéran, à travers « l'unité des fronts » en soutien à la bande de Gaza.
Je reste cependant convaincu que la guerre au sens large n'a pas encore explosé parce que Téhéran continue de tenir fermement les rênes des chevaux qui tirent le char de ses intérêts dans la région. Ces chevaux sont les milices soutenues par l'Iran en Syrie, au Liban, en Irak et au Yémen, comme le décrit Andrew Tabler, ancien directeur pour la Syrie à la direction des affaires du Moyen-Orient du Conseil national de sécurité des États-Unis. L'Iran tient définitivement les rênes et ses alliés lui emboîtent le pas, bon gré mal gré. À Téhéran aujourd'hui, il semblerait qu'on privilégie la retenue et la survie, dans l'espoir de se battre un autre jour. Peut-être.
Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l’actualité et de la diplomatie.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com