Émeutes à Southport et au Royaume-Uni : vague antimigrants et antimusulmans

Des manifestants s'adressent à des policiers lors de la manifestation "Enough is Enough" à Whitehall, devant l'entrée du 10 Downing Street, au centre de Londres, le 31 juillet 2024, en réaction à la réponse du gouvernement aux coups de couteau mortels de Southport, le 29 juillet. (AFP)
Des manifestants s'adressent à des policiers lors de la manifestation "Enough is Enough" à Whitehall, devant l'entrée du 10 Downing Street, au centre de Londres, le 31 juillet 2024, en réaction à la réponse du gouvernement aux coups de couteau mortels de Southport, le 29 juillet. (AFP)
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Publié le Jeudi 22 août 2024

Émeutes à Southport et au Royaume-Uni : vague antimigrants et antimusulmans

Émeutes à Southport et au Royaume-Uni : vague antimigrants et antimusulmans
  • Trop d’exemples ont montré les dégâts humains et sociaux du racisme et de l’islamophobie, que d’aucuns continuent d’exploiter sans vergogne pour des gains électoraux
  • Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde

Il est criminel de jouer avec le racisme et l’islamophobie en politique. Depuis des décennies, trop d’exemples ont montré les dégâts humains et sociaux de ce fléau, que d’aucuns continuent d’exploiter sans vergogne pour des gains électoraux. On se souvient de l’odieux crime de London, au Canada, en juin 2021, lorsqu’un homme avait massacré quatre membres d’une famille musulmane d’origine pakistanaise, en fonçant sur elle avec son pick-up alors qu’elle était en promenade. 

Trois générations des Afzaal étaient mortes : une grand-mère de 74 ans, un couple de 46 et 44 ans – universitaire et kinésithérapeute – et leur fille de 15 ans. Les victimes étaient vêtues de leur tenue traditionnelle pakistanaise, l’indice avait suffi au meurtrier pour les identifier comme « musulmans ». Nathaniel Veltman, 20 ans, avait une seule motivation : sa haine des musulmans. Abyssale. Incontrôlable. Incurable.

Plusieurs attaques contre des musulmans avaient été perpétrées au Canada depuis la fusillade de la mosquée de Québec de 2017, où six fidèles avaient péri, l’une des pires attaques du genre dans un pays occidental, avant celle de Christchurch en Nouvelle-Zélande en 2019 qui avait fait 51 morts et 50 blessés. 

Il est criminel de jouer avec le racisme et l’islamophobie en politique. Depuis des décennies, trop d’exemples ont montré les dégâts humains et sociaux de ce fléau, que d’aucuns continuent d’exploiter sans vergogne pour des gains électoraux.

                                              Azouz Begag

À London, les Afzaal sont morts dans un pays pourtant réputé pour sa tolérance et sa diversité, mais l’islamophobie s’est en fait largement répandue au Canada depuis quelques années, alimentée par les nationalistes xénophobes et les suprémacistes blancs. Il faut se souvenir que dans la mosquée de Québec en 2017, avant de passer à l’acte, le tueur avait nourri sa haine anti-islam sur les réseaux sociaux et en s’instruisant du décret de Donald Trump bloquant l’entrée aux États-Unis de ressortissants de sept pays musulmans, (« Muslim ban »). On voit combien l’usage immodéré de l’islamophobie en politique et sur les réseaux sociaux peut faire basculer le cerveau d’un individu anonyme jusqu’à en faire un tueur.

Quand il s’agit d’une foule, une société entière est en danger de mort. C’est ce qui s’est passé le 29 juillet dernier à Southport, une ville touristique d’Angleterre en bord de mer, tranquille, réputée pour ses dunes et ses golfeurs. Une tragédie innommable. Vers midi, un homme est entré dans une salle de danse pour enfants et les a sauvagement attaqués au couteau.

Trois fillettes de 6 à 9 ans ont été tuées et onze enfants blessés, dont six dans un état critique. De quoi traumatiser la nation et, plus encore, l’humanité toute entière. Des gens ont déclaré avoir vu des enfants en sang s’enfuir en courant. Un carnage. Peu après, un homme de 17 ans a été arrêté et placé en garde à vue. La police a annoncé que son attaque n’était pas liée au terrorisme, qu’une enquête était en cours et que, pour prévenir tout emballement, elle invitait les gens à ne pas spéculer en attendant l’établissement des faits.

Il faut savoir que le Royaume-Uni, où le port des armes à feu est strictement limité, connaît une recrudescence des violences à l’arme blanche, lors d’agressions contre les personnes et des cambriolages,  impliquant souvent des jeunes. Par ailleurs, les chiffres ont doublé en dix ans.

Très vite, comme une traînée de poudre, sur les réseaux sociaux, de fausses informations sur le suspect ont néanmoins circulé. Elles affirmaient qu’il s’agissait d’un « migrant illégal » (rhétorique chère à Donald Trump dans sa campagne actuelle). Pire : avant même que son identité ne soit confirmée, des mensonges sur Internet affirmaient déjà qu’il était demandeur d’asile, musulman, arrivé au Royaume-Uni par bateau. Ces rumeurs étaient aussitôt amplifiées par des articles et sur Telegram, ainsi que par l’extrême droite.

L’affaire était ainsi introduite dans le champ politique pour surfer sur la vague émotionnelle. À l’étranger, des personnalités l’ont relayée. Des activistes américains pro-Trump et des Russes ont jeté de l’huile sur le feu en les partageant à grande échelle.

Sur X, Elon Musk en personne a écrit qu’une guerre civile était inévitable, en diffusant des vidéos douteuses. En réalité, le suspect arrêté était un jeune Britannique de 17 ans, né à Cardiff de parents rwandais, un pays africain à majorité catholique. Bien que mineur, le juge a tenu à donner son nom au public de la rue qui l’exigeait, pour éviter toute désinformation.

Axel Muganwa Rudakubana n’a jamais été demandeur d’asile. Il n’est pas entré illégalement en bateau en Angleterre. Il n’était pas musulman. Qu’importe ! Au lendemain du drame, environ 200 militants de l’English Defense League, mouvement islamophobe de hooligans, se rassemblaient devant une mosquée de Southport en hurlant « Je suis anglais jusqu’à la mort » et en lançant des projectiles sur les forces de l’ordre qui la protégeaient. Une guerre des religions était déclarée.

Durant les deux semaines qui suivirent, de violentes émeutes avaient touché une vingtaine de villes. Ce furent les pires au Royaume-Uni depuis 2011. Mosquées et lieux d’hébergement de demandeurs d’asile étaient pris pour cibles. À Rotherham, près de Sheffield, le 4 août, 700 personnes attaquaient un centre d’accueil pour migrants. Une mosquée de Newtownards, près de Belfast, était visée par un cocktail molotov et vandalisée.

Trois cents personnes ont allumé des feux, jeté des briques sur une autre et affronté les forces de l’ordre. Elles voulaient en découdre avec les migrants et les musulmans, et au passage, avec la police qui s’interposait pour protéger ces « indésirables coupables ». La haine raciale battait son plein.

Contre elle, dans la foulée, des manifestations réunissaient plusieurs milliers de personnes à travers le Royaume-Uni : Newcastle, Cardiff, Glasgow et Edimbourg. À Londres, ils étaient un millier, rassemblés devant le siège du parti anti-immigration Reform UK. Sans attendre, le gouvernement a engagé une réponse judiciaire ferme contre les émeutiers.

Les forces de l'ordre ont procédé à plus de 1 000 arrestations et 500 inculpations. Dans le filet, on trouvait de tout, des petits garçons,  des adolescents, des personnes âgées, qualifiés par le Premier ministre de « bande de voyous ».

À Belfast, un enfant de 11 ans était inculpé de possession de cocktails Molotov, tandis que deux autres de 12 ans avaient balancé des projectiles sur des policiers. On en reste bouche bée. Ces phénomènes dévoilent la profondeur des problèmes sociaux qui affectent les populations défavorisées du Royaume-Uni, mais surtout leur corolaire, le racisme contre les « Autres ».

En Angleterre, sept des dix zones les plus en difficulté qui ont été secouées par les émeutes, accueillent un nombre de demandeurs d’asile supérieur à la moyenne. La réponse judiciaire très ferme a amené l’accalmie, avec les premières condamnations à de la prison ferme pour des casseurs ou des publications en ligne attisant la violence. Des centaines d’émeutiers comparaîtront en justice pour des affaires plus graves. Certains risquent des condamnations à des peines de dix ans de prison.

En outre, le Premier ministre a prévenu les dirigeants des réseaux sociaux impliqués dans les heurts que la loi allait s’appliquer à eux aussi. Dans un tribunal, un jeune de 19 ans qui avait jeté des projectiles lors des émeutes à Hartlepool, a fondu en larmes après sa condamnation à 16 mois de détention dans un établissement pour jeunes délinquants. Son avocat a plaidé qu’il avait « été entraîné dans une vague de folie ». Une vague de folie ? Non. Une vague de ratonnades, oui ! Une vague de racisme et d’islamophobie. Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde…

 

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.

X: @AzouzBegag

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.