L’avancée de l’Ukraine en Russie modifie le récit de la guerre

Un militaire ukrainien patrouille dans la ville de Sudzha, contrôlée par l’armée ukrainienne, dans la région de Koursk, en Russie. (Reuters)
Un militaire ukrainien patrouille dans la ville de Sudzha, contrôlée par l’armée ukrainienne, dans la région de Koursk, en Russie. (Reuters)
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Publié le Samedi 17 août 2024

L’avancée de l’Ukraine en Russie modifie le récit de la guerre

L’avancée de l’Ukraine en Russie modifie le récit de la guerre
  • Pour la première fois depuis plus de 80 ans, le territoire russe a été envahi
  • Malgré le fait que l’audacieuse opération militaire de l’Ukraine a pu surprendre certains, le lieu et le moment de cette opération sont loin d’être une coïncidence

Pour la première fois depuis plus de 80 ans, le territoire russe a été envahi. Les forces ukrainiennes ont franchi la frontière de l’État par surprise, pénétrant dans l’oblast de Koursk, avec des milliers de soldats et des centaines de véhicules blindés.

De violents combats ont eu lieu, et la Russie s’est empressée de renforcer la région. Les Ukrainiens se sont emparés de plus de 70 villages. Plus de 130 000 civils russes ont été déplacés depuis que l’Ukraine a lancé son opération le 6 août. Selon des sources ouvertes, l’Ukraine contrôle désormais environ 1 000 kilomètres carrés de territoire russe, soit une superficie légèrement supérieure à celle de Bahreïn.

Malgré le fait que l’audacieuse opération militaire de l’Ukraine a pu surprendre certains, le lieu et le moment de cette opération sont loin d’être une coïncidence.

L’oblast de Koursk a des liens historiques profonds avec la culture ukrainienne. Aux 17e et 18e siècles, les paysans ukrainiens, des cosaques et d’autres colons se sont vu accorder des “slobodas” dans ce qui constitue aujourd’hui les oblasts de Koursk, Belgorod et Voronej en Russie, et les oblasts de Soumy et de Kharkiv en Ukraine. Cette région était connue sous le nom de “L'Ukraine slobodienne”. Ces slobodas jouissaient d’une grande autonomie de gouvernement et d’un statut d’exonération fiscale, chose qui a favorisé une identité culturelle unique, encore perceptible aujourd’hui. Malgré le fait que ces données de recensement précises soient limitées, on pense que des dizaines de milliers d’Ukrainiens ethniques résident actuellement dans l’oblast russe de Koursk. Par conséquent, une opération militaire à Koursk a une résonance positive, émotionnelle et sentimentale auprès du public ukrainien.

L’oblast de Koursk est également le siège de liaisons de transport cruciales, notamment de grandes autoroutes pour le transport de matériel militaire et de soldats. Le terminal gazier de Sudzha, essentiel pour les dernières exportations de gaz naturel russe vers l’Europe, se trouve dans l’oblast de Koursk. Les Ukrainiens contrôlent le terminal, mais il n’y a pas eu de réduction notable du flux de gaz jusqu’à présent. Le nœud ferroviaire de Koursk relie la Russie centrale aux régions du sud-ouest, y compris les zones frontalières proches de l’Ukraine, ce qui le rend vital pour le soutien logistique. Les planificateurs militaires ukrainiens étaient sans aucun doute conscients de l’importance logistique de Koursk.

Une autre chose importante à considérer était le terrain. La topographie de l’oblast de Koursk, près de la frontière ukrainienne, est adaptée au type de guerre impliquant des véhicules blindés et des chars que mène l’Ukraine. Cela a facilité l’avancée rapide de l’Ukraine. Après tout, Koursk a été le site d’une bataille majeure de la Seconde Guerre mondiale, la plus grande bataille de chars de l’histoire.

Le moment choisi pour l’opération militaire de l’Ukraine n’est pas non plus une coïncidence. La majorité des pays du monde ont été distraits, du moins dans un premier temps. Il est bien connu que de nombreux Européens considèrent le mois d’août comme un mois de vacances. Aux États-Unis, le mois d’août est un mois politique important au cours d’une année électorale et l’attention s’est portée sur la course à la présidence. Entre-temps, une grande partie du monde était absorbée par les jeux olympiques.

“Le contrôle du territoire de l’oblast de Koursk profiterait à Kiev en cas d’échange de territoires.”

                                                          Luke Coffey

D’un point de vue logistique, le choix du moment est également pertinent. Quatre mois se sont écoulés depuis que le Congrès américain a adopté son dernier programme d’aide à l’Ukraine. Il a probablement fallu ce temps pour que les Ukrainiens ressentent l’impact positif de l’aide, en termes d’équipements, d’armes et de munitions venant des États-Unis.

Les conditions météorologiques ont également joué un rôle crucial dans le choix du moment. Si les conditions météorologiques traditionnelles se maintiennent, une campagne au mois d’août donne à l’Ukraine suffisamment de temps pour progresser, mais ne permet pas à la Russie de contre-attaquer avant l’arrivée de la saison boueuse de l’automne. En 2022, l’Ukraine a également lancé sa contre-attaque très réussie de Kherson au mois d’août.

Bien qu’il s’agirait probablement d’une coïncidence plus que d’autre chose, il convient de noter que l’opération ukrainienne de Koursk a également débuté la même semaine que l’anniversaire de l’invasion de la Géorgie par la Russie en 2008. La preuve dans les réseaux sociaux montre des volontaires géorgiens combattant aux côtés de l’Ukraine à l’intérieur de la Russie.

Quels sont donc les espoirs de l’Ukraine dans son invasion de la Russie? Le premier objectif est de changer le récit de la guerre. Ces derniers mois, le conflit a été qualifié d’impasse. La Russie a réalisé des gains territoriaux mineurs à Donetsk et l’Ukraine semble être sur le recul. En pénétrant en Russie et en s’emparant de territoires, l’Ukraine semble désormais prendre le dessus dans le conflit, modifiant ainsi le récit de la guerre dans les médias internationaux d’une manière plus favorable à Kiev.

Le deuxième objectif est que l’Ukraine espère obliger la Russie à détourner des ressources – à la fois en personnel et en matériel – d’autres endroits de la ligne de front pour faire face à la situation à Koursk. Même si une superficie de 1 000 kilomètres carrés est faible par rapport à la taille totale de la Fédération de Russie, un seul mètre carré sous le contrôle de l’Ukraine cause des problèmes politiques pour le Kremlin. Au minimum, le fait de forcer la Russie à détourner des ressources allégera la pression sur certaines des sections les plus difficiles de la ligne de front pour l’Ukraine. Cela pourrait même permettre à l’Ukraine de progresser dans d’autres zones du front.

Enfin, et ceci pourrait être le point le plus important, le contrôle ukrainien du territoire russe signifie que le conflit ne peut pas être “gelé” le long des lignes de front existantes dans le contexte d’un règlement négocié. Si l’Ukraine peut maintenir son contrôle sur une partie du territoire russe, un échange de territoires devient plus probable. Les Ukrainiens estiment donc que pour récupérer une plus grande partie de leur territoire à Moscou, ils doivent tout d’abord contrôler une partie du territoire russe.

Le contrôle du territoire russe permet à l’Ukraine de jouer un rôle plus important dans les futurs pourparlers de paix, notamment si elle conserve le contrôle du terminal gazier de Sudzha. Mais pour que cette stratégie réussisse, l’Ukraine doit éviter de se surmener en prenant le contrôle d’une plus grande partie du territoire russe qu’elle ne peut conserver et défendre.

L’année dernière, la contre-attaque ukrainienne avait provoqué de grandes attentes, mais les partisans de Kiev ont été déçus par le peu de progrès réalisés. Il reste à voir si l’opération surprise de cette année en Russie sera différente. Mais au cas où elle réussit, elle pourrait changer radicalement l’issue de la guerre.

 

Luke Coffey est chercheur principal à l’Institut Hudson. Twitter : @LukeDCoffey

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com