L'on ignore toujours quel serait le dénouement de l'offensive à Koursk pour l'Ukraine.
L'incursion pourrait être le pari le plus audacieux et le plus risqué du président Volodymyr Zelensky – une sorte de frappe magistrale qui pourrait opérer des changement au niveau de la Russie et de ses dirigeants.
Si l'on en croit les déclarations ukrainiennes selon lesquelles l'opération vise uniquement à contraindre la Russie à redéployer ses forces de combat loin des lignes de front du nord, près de Kharkiv, il y a fort à parier que l'opération se retournera contre la Russie si celle-ci lance une contre-attaque, avec des représailles que beaucoup redoutent sanglantes.
Il ne fait aucun doute que l'Ukraine a été mise en difficulté depuis son offensive tant attendue, mais infructueuse, de l'été dernier. M. Zelensky cherche désespérément à faire oublier que le pays est en train de perdre la guerre, malgré sa victoire contre les forces russes dans la mer Noire et en Crimée.
Quels que soient ses objectifs, l'incursion a duré plus d'une semaine et a permis de contrôler 1 000 km² de territoire russe, selon les généraux ukrainiens. C'est la première fois qu'une force étrangère foule le sol russe depuis 1941. Bien que le président russe Vladimir Poutine ait accusé l'Occident d'être à l'origine de l'opération – chose que les États-Unis et d'autres alliés rejettent – son régime est en bien mauvaise posture.
Les images de Koursk sont traumatisantes pour les Russes.
Mohamed Chebaro
Les images de Koursk sont traumatisantes pour les Russes. Dans l'évaluation faite à ses chefs militaires, Vladimir Poutine soutient que l'opération vise à semer la discorde au sein de la population locale et à améliorer la position de Kiev dans d'éventuelles négociations futures – des affirmations qui ne semblent pas tout à fait erronées.
Les experts ont salué la complexité des préparatifs de l'incursion, l'Ukraine misant sur le secret absolu et l'utilisation de techniques de guerre électronique pour aveugler les unités russes de défense des frontières et neutraliser la surveillance aérienne.
Les stratèges militaires tentent de révéler au grand jour le raisonnement qui sous-tend la démarche ukrainienne. Historiquement, seul le débarquement d'Inchon de 1950, pendant la guerre de Corée, offre une stratégie de contre-attaque aussi risquée. Mais cette opération visait à renverser toute une offensive, alors que les objectifs de l'incursion à Koursk seront beaucoup plus limités.
Bien que la rapidité et le caractère soudain de l'opération ukrainienne aient surpris les forces russes et leurs dirigeants, il s'agit très probablement d'un acte désespéré visant à perturber les lignes d'approvisionnement russes vers les troupes situées près de Kharkiv. Toutefois, l'attaque démontre que l'Ukraine est toujours capable d'organiser des raids transfrontaliers, véhiculant le message suivant : vous ne pouvez pas être tranquilles chez vous lorsque vous envahissez un pays voisin.
Depuis février 2022, Kiev tente désespérément de se défendre, tout en menant occasionnellement des attaques contre le territoire russe afin de ternir l'image d'invincibilité de l'envahisseur : le survol de Moscou par des drones qui ont failli toucher le Kremlin fait partie de cette stratégie.
On ne peut que saluer l'audace de l'Ukraine.
Mohamed Chebaro
L'Ukraine a également réussi à couler des navires clés de la marine russe et à limiter les activités navales russes dans les mers Noire et d'Azov. Les attaques sur le pont de Kertch reliant la Russie continentale à la Crimée ont également permis d'exposer les vulnérabilités et les faiblesses russes, tandis que d'autres opérations ont révélé la capacité de l'Ukraine à s'engager dans des opérations secrètes visant des unités militaires et les industries de l'armement et du pétrole en utilisant le sabotage, les frappes de drones et les missiles à longue portée.
D'autres attaques ont eu lieu en Russie, principalement dans les régions frontalières, telles que Koursk, Belgorod et l'oblast de Briansk. Mais elles ont été menées par des forces russes antiguerre et anti-Poutine soutenues par l'Ukraine, avec des raids sur des localités et des villes frontalières faiblement défendues, avant de se replier dans les zones tenues par l'Ukraine.
La prochaine phase de l'incursion à Koursk dépend des réserves dont dispose chaque camp et de la manière dont il les déploie, dans une course contre la montre pour les deux parties. Plus l'opération durera et plus les forces ukrainiennes augmenteront leurs gains, plus Poutine se sentira contraint de répondre par tous les moyens mis à sa disposition. Il a qualifié l'attaque d'acte terroriste, ce qui, dans le lexique du dirigeant russe, signifie que tout est permis.
L'autre problème pour Kiev est que l'incursion initiale semble avoir été plus fructueuse que prévu, ce qui a nécessité le déploiement d'effectifs et de ressources militaires supplémentaires dont on a désespérément besoin ailleurs. Bien que les forces ukrainiennes soient susceptibles de se retrancher et de se battre, il est peu probable que leurs efforts changent les aspects fondamentaux sur la ligne de front dans l'est de l'Ukraine, où les troupes russes avancent lentement face à des forces ukrainiennes qu'elles dépassent largement en nombre et en armement.
On ne peut que saluer l'audace de l'Ukraine et la bravoure de ses dirigeants qui ont décidé de combattre les forces d'une superpuissance envahissante. Si le doute commence à s'infiltrer dans les hautes sphères du Kremlin, en suggérant que la Russie risque sa paix et sa stabilité après avoir perdu la face contre un ennemi bien plus faible, alors les sacrifices de l'opération Koursk en auront valu la peine.
Plus l'incursion en Ukraine se prolongera, plus Moscou deviendra imprévisible, ce qui déterminera probablement si le pari en valait la peine ou s'il s'agissait d'une erreur de calcul flagrante.
Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l’actualité et de la diplomatie.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com