Tous les regards sont tournés vers le Liban et le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Le Hezbollah se trouve dans une situation inextricable. Seule l’intervention d'une tierce partie pourrait sauver la mise.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a récemment ordonné l'assassinat de deux figures majeures : Fouad Chokr, commandant du Hezbollah, à Beyrouth, et Ismaïl Haniyé, chef du Hamas, à Téhéran, alors qu’il assistait à l'investiture du nouveau président.
En représailles à une attaque à la roquette ayant coûté la vie à 12 enfants dans la ville druze de Majdal Shams sur le Golan, Israël a frappé le Liban, accusant le Hezbollah sans enquête préalable.
Un sentiment de déjà-vu plane sur Beyrouth. En 1982, Israël avait justifié son invasion du Liban par une tentative d’assassinat de son ambassadeur à Londres. L’État hébreu avait alors pointé du doigt l’Organisation de libération de la Palestine, qui n’était pourtant pas impliquée. Le véritable responsable était Abou Nidal, une faction dissidente de l’OLP. Aujourd’hui, l’histoire semble se répéter. Les Beyrouthins redoutent que la tragédie survenue dans la ville druze ne serve de prétexte à Israël pour lancer une nouvelle offensive. La crainte d’une invasion ou d’une attaque dépassant le cadre des règles d’engagement actuelles est palpable dans la capitale libanaise.
À la suite de ce double assassinat perpétré par Israël, le Hezbollah se trouve dans l’obligation de riposter. Le mouvement n’a guère le choix. Il lui faut préserver son aura et ne saurait donner l'impression de plier face à l’État hébreu, au risque de perdre sa raison d'être fondamentale: la résistance contre Israël.
Néanmoins, une riposte du Hezbollah entraînerait inévitablement une nouvelle réaction israélienne. Les partisans du Hezbollah attendent une réponse à la mesure de leur narratif. Lors d’une conversation avec un chauffeur de taxi à Beyrouth, celui-ci est fermement convaincu que les Israéliens subiraient une riposte « douloureuse », ajoutant que le sang des civils innocents ne serait pas versé en vain.
Face à cette situation explosive, une question cruciale se pose : existe-t-il une issue permettant aux deux camps de préserver leur honneur tout en évitant l’escalade ? Pour le gouvernement libanais, une opportunité se dessine à l’horizon. Une porte de sortie de ce dilemme pourrait se trouver dans la proposition avancée par le président turc Recep Tayyip Erdogan.
C'est dans ce contexte qu'Erdogan a proposé une intervention turque, citant les précédents de l'Azerbaïdjan et de la Libye où la Turquie a joué un rôle décisif. Bien que cette offre ait été accueillie avec scepticisme par certains, notamment le leader de l’opposition israélienne Yair Lapid qui a déclaré qu’ « Israël n’acceptera pas de menaces d’un aspirant dictateur », elle pourrait offrir une porte de sortie à cette crise pour éviter une guerre à grande échelle.
Le gouvernement libanais a failli à sa mission de protéger la nation.
- Dr Dania Koleilat Khatib.
Le Hezbollah a déclaré que la vengeance de l'attaque israélienne à Beyrouth est imminente, mais qu'il faudra attendre la bonne occasion. Les États-Unis espèrent que la réponse du Hezbollah sera limitée, avec peu de victimes, afin que les deux parties puissent désamorcer la situation. Cependant, rien ne garantit que ce scénario se produira. Le Hezbollah pourrait infliger une réponse « douloureuse ». Dans ce cas, la désescalade serait impossible. De plus, le coût serait insupportable pour le Liban. Le pays ne peut tolérer une campagne aérienne intensive. Les deux parties doivent sauver la face et montrer qu’elles peuvent protéger leur peuple. C’est pourquoi une tierce partie agissant comme tampon est nécessaire.
Dans mes analyses antérieures, j’ai souligné le succès du modèle kosovar, attribuable en grande partie à la présence d’un garant de sécurité solide : les États-Unis. La force dissuasive américaine a été déterminante, incitant toutes les parties à respecter scrupuleusement l’accord de cessez-le-feu. Aucun acteur ne souhaitait s’attirer les foudres de Washington.
Néanmoins, l'obstacle majeur réside dans le manque de proactivité du gouvernement libanais. À la suite de l’attaque de Majdal Shams, la réaction de Najib Mikati, Premier ministre par intérim, a été révélatrice. Sa déclaration a mis en lumière la fragilité de l’exécutif et l’impuissance de l'État libanais, offrant ainsi à Israël une latitude d’action inquiétante sur le territoire libanais. La stratégie actuelle du gouvernement s’apparente davantage à une absence de politique. L’exécutif semble privilégier une approche attentiste, se contentant de louvoyer au gré des événements. Cette posture d’évitement vise à esquiver tout différend potentiel, que ce soit avec les factions nationales ou les puissances régionales et internationales.
Face à cette situation explosive, le gouvernement libanais ne peut plus se permettre l’inaction. L’heure est venue pour Beyrouth de prendre des initiatives audacieuses pour préserver la nation. Le statu quo n’est plus tenable : observer passivement le déroulement des événements n’est plus une option viable.
Une solution potentielle se dessine : solliciter l’intervention de la Turquie pour établir une zone tampon dans le sud du Liban, entre le Hezbollah et Israël. Ce déploiement turc ouvrirait la voie à un apaisement concret sur le terrain. Les populations frontalières, tant du côté libanais qu’israélien, pourraient envisager un retour à la normale. Plus important encore, cette stabilisation créerait un climat propice à la reprise du dialogue diplomatique.
L’intervention turque présente un avantage stratégique pour toutes les parties impliquées, malgré les réticences qu’elles pourraient exprimer publiquement quant à la limitation de leur marge de manœuvre. Cette présence offre en réalité une opportunité de désescalade sans perte de prestige. Pour le camp libanais, la Turquie jouit d’une légitimité certaine. Nation musulmane, elle s’est constamment positionnée en soutien de la cause palestinienne. Le Hezbollah et Ankara partagent notamment une vision commune du Hamas, qu’ils considèrent comme un mouvement de résistance légitime. Du côté israélien, la Turquie bénéficie d’un statut particulier. Son appartenance à l’Otan la place dans le camp occidental, rassurant ainsi Tel-Aviv sur ses intentions. Israël peut être certain que la Turquie, en tant que membre de l’Alliance atlantique, n’engagera pas d’action militaire à son encontre.
Le gouvernement libanais a failli à son devoir de protéger la nation. Il est grand temps que l’État prenne les rênes et agisse de manière décisive. Beyrouth doit saisir l’opportunité offerte par Erdogan et exercer une pression diplomatique sur le Hezbollah et les autres factions pour les rallier à cette solution. Parallèlement, une approche proactive envers Washington s’impose pour garantir qu’Israël soit tenu en respect. La proposition turque doit être présentée comme une alternative viable à un affrontement direct. Le gouvernement libanais doit agir sans délai, car le sablier s’écoule inexorablement. Si une escalade majeure venait à se produire, il serait trop tard pour tirer parti de l’offre d’Erdogan.
La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la Voie II.
La Dr Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, en particulier sur les groupes de pression. Elle est cofondatrice du Research Center for Cooperation and Peace Building (Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix), une ONG libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com