Le nouveau gouvernement travailliste du Royaume-Uni et le conflit israélo-palestinien

Une manifestation en soutien des Palestiniens à Gaza, dans le cadre du conflit entre Israël et le Hamas, à Londres, en Grande-Bretagne. (AFP)
Une manifestation en soutien des Palestiniens à Gaza, dans le cadre du conflit entre Israël et le Hamas, à Londres, en Grande-Bretagne. (AFP)
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Publié le Dimanche 04 août 2024

Le nouveau gouvernement travailliste du Royaume-Uni et le conflit israélo-palestinien

Le nouveau gouvernement travailliste du Royaume-Uni et le conflit israélo-palestinien
  • Lorsqu’il était chef de l’opposition, le premier ministre Keir Starmer a adopté une approche très prudente sur cette question extrêmement sensible
  • Depuis son arrivée au pouvoir il y a un mois, le parti travailliste a changé de ton et de politique sur un nombre de questions essentielles liées à Israël et à la guerre de Gaza

Un mois après son arrivée au pouvoir lors des élections générales le 4 juillet, le gouvernement travailliste du Royaume-Uni a maintenant un grand travail à faire pour gérer le désordre hérité par le gouvernement conservateur précédent. Il s’agit notamment de la position du Royaume-Uni sur le conflit israélo-palestinien, dont la manifestation la plus meutrière fait rage depuis dix mois.

Lorsqu’il était chef de l’opposition, le premier ministre Keir Starmer a adopté une approche très prudente sur cette question extrêmement sensible, alors que le parti travailliste sortait de l’ère désastreuse de son prédécesseur, Jeremy Corbyn.

L’approche de Starmer à l'époque était basée sur une certaine réticence à s'éloigner des politiques du gouvernement conservateur sur la question, de peur d’être accusé de propager l’anti-sémitisme dont son parti avait été souillé sous la direction de Corbyn. Les travaillistes sont tombés dans le piège, typiquement tendu par les gouvernements de droite en Israël, qui consiste à considérer toute critique dirigée vers Israël comme antisémitisme.

Alors qu’il était encore dans l’opposition, il a fallu au parti travailliste de Starmer de nombreux – trop nombreux – mois, et de nombreuses vies palestiniennes, avant qu’il n’appelle enfin à un cessez-le-feu à Gaza.

Depuis son arrivée au pouvoir il y a un mois, le parti travailliste a changé de ton et de politique sur un nombre de questions essentielles liées à Israël et à la guerre de Gaza. Ces changements reflètent une déviation de sa position antérieure dans les domaines politique, juridique et humanitaire.

Certes, bien qu’au cours des quelques premiers mois suivant les attaques brutales du 7 octobre contre Israël par le Hamas, le parti travailliste s’était opposé à tout appel à un cessez-le-feu, tout en maintenant leur position pendant des mois, même lorsque les cadavres des innocents Gazaouis s’accumulaient, il a progressivement commencé à changer cette position lorsqu’il est devenu évident que le conflit évoluait vers une guerre sans fin et qu’il n’y avait aucune voie vers la paix.

Dans le domaine juridique, l’un des premiers signes de changement après l’arrivée des travaillistes au pouvoir, a été la nomination de Richard Hermer au poste de procureur général du nouveau gouvernement. Hermer, ami et ancien collègue de Starmer, est expert en droit international et juriste spécialisé dans les droits de l’homme. En outre, il a fait partie d’un groupe d’éminents juristes juifs qui ont écrit une lettre ouverte dans le Financial Times en octobre de l’année dernière, appelant les autorités israéliennes à s’inspirer de l’État de droit dans leur réponse aux attaques du Hamas.

Peu après avoir été nommé à son nouveau poste le mois dernier, il a voyagé vers Israël avant la décision du gouvernement le 26 juillet, de retirer la contestation britannique du droit de la Cour pénale internationale d’émettre des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la défense Yoav Gallant.

La décision du Royaume-Uni a bouleversé et inquiété le gouvernement israélien, et a également envoyé aux États-Unis le signal que le nouveau gouvernement britannique est prêt à s’opposer à l’administration Biden, sur cette question au moins, et à se rapprocher de certains de ses alliés européens en adhérant aux obligations juridiques internationales.

Du côté humanitaire, l’un des changements les plus immédiats, les plus pratiques et les mieux accueillis a été l’annonce faite par le nouveau ministre des affaires étrangères, David Lammy, de la reprise du financement par le Royaume-Uni de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UN Relief and Works Agency for Palestine Refugees), ce qui permettra de garantir que l’aide parvienne le plus rapidement possible à ceux qui en ont besoin dans la bande de Gaza.

“Le changement de cap apparent de la politique britannique à l'égard d'Israël et de la guerre à Gaza est significatif.”
 - Yossi Mekelberg

C’est une “nécessité morale face à une telle catastrophe”, a déclaré Lammy. Alors qu’il débloquait 21 millions de livres sterling (27 millions de dollars) pour soutenir le travail de sauvetage de l’agence à Gaza et la fourniture de services de base dans la région, il a souligné que “l’UNRWA est absolument indispensable dans ces efforts. Aucune autre organisation ne peut acheminer l’aide à Gaza à l’échelle nécessaire”.

Il s’agissait d’une évaluation sobre du rôle clé joué par l’agence dans la fourniture d’une aide humanitaire essentielle et urgente à Gaza, tout en reconnaissant également le travail essentiel qu’elle accomplit ailleurs dans la région pour soutenir les réfugiés palestiniens.

Il ne s’agit pas de faire la sourde oreille du fait qu’un certain nombre d’employés de l’UNRWA ont été accusés d’avoir participé aux attaques horribles attaques du 7 octobre. Il faut au contraire reconnaître qu’une organisation entière ne peut être accusée des crimes d’un petit nombre de ses membres, dont certains ont été tués au cours des attaques, alors que les autres ont été licenciés, et que des millions de réfugiés dans leur situation la plus désespérée ne devraient pas en souffrir.

Une question encore plus délicate pour le gouvernement est celle des appels à suspendre les ventes d'armes à Israël, chose qu'il serait en train d'envisager. Lammy a indiqué qu'il avait demandé une évaluation de la situation juridique concernant l'utilisation d'armes à Gaza et qu'il espérait pouvoir communiquer toute décision ultérieure avec “une responsabilité et une transparence totales”.

Si au début de la guerre, le choc provoqué par l'attaque du Hamas a entraîné un soutien naturel et instinctif envers Israël, il s'agissait d'une réaction à courte vue. Elle a révélé une incompréhension du fait que donner carte blanche à un gouvernement israélien – en particulier l'actuel, qui n'a ni freins ni vision stratégique, et dont le dirigeant cède volontairement et régulièrement aux caprices des ultranationalistes pour tenter de garantir sa propre survie politique – était une grave erreur d'appréciation qui a conduit à un usage disproportionné de la force.

Pour être juste, la majorité du Parlement britannique n’a pas été la seule qui a mal interprété la situation et n'a pas regardé quelques pas en avant, mais aussi la majorité d'autres pays, mais celle-ci est une excuse peu convaincante.

Le changement de cap apparent dans la politique britannique à l'égard d'Israël et de la guerre à Gaza est significatif mais peu surprenant, car il permettra au Royaume-Uni de respecter ses obligations en vertu du droit international, de restaurer sa crédibilité morale en signalant son refus de tolérer la souffrance de tant de civils innocents en guise de punition pour les crimes commis par d'autres, et de se positionner comme un acteur politique susceptible de contribuer à la médiation et à la résolution du conflit plutôt que de l'alimenter.

L'approche précédente du parti travailliste n'avait pas vraiment de sens, si ce n'est la conviction qu'elle pourrait l'aider à remporter les élections générales. Mais il y a peu de preuves que cela ait été le cas - en fait, le contraire pourrait être vrai, car plusieurs opposants à cette politique plus prudente à l'égard de Gaza ont été élus au Parlement sur cette même question.

La position de Starmer à l'époque, en tenant compte de sa formation juridique et surtout de son travail précédent sur les questions de droits de l'homme, était donc décourageante. Maintenant que les travaillistes sont au pouvoir, le Premier ministre Starmer et le ministre des affaires étrangères Lammy se sont efforcés de préciser que, bien que leur amitié avec Israël et leur engagement en faveur de sa sécurité soient solides, – et il n'y a aucune raison d'en douter – ils fixent également des lignes rouges à Israël.

C’est désormais la responsabilité d’Israël de changer de voie et de prouver qu'il est prêt à mettre fin à la guerre, à résoudre le conflit avec les Palestiniens et à protéger sa propre démocratie. Il trouvera alors au Royaume-Uni, comme toujours, un ami proche et digne de confiance.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House.


X: @Ymekelberg
 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Cet texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com