Le Premier ministre Benjamin Netanyahu doit bien connaître la maxime largement attribuée, bien qu’elle soit probablement à tort, à l’ancien président américain Abraham Lincoln, selon laquelle “on peut tromper une partie du peuple tout le temps, on peut tromper tout le peuple pour un certain temps, mais on ne peut tromper tout le peuple tout le temps”. En fin de compte, Netanyahu aime tout ce qui est américain, mais est totalement incapable d’appliquer ces paroles très sages à lui-même.
Certains d’entre nous n’ont jamais été dupés par lui, ni durant son discours il y a des années en faveur d’une solution à deux états, ni lorsqu’il s’est présenté comme le défenseur d’Israël, et non plus lorsqu’il a déclaré que les intérêts du pays venaient avant les siens, et plus récemment, qu’il aspirait à atteindre un accord de cessez-le-feu dans la guerre contre le Hamas.
Netanyahu est à une certaine étape de sa vie politique, espérant qu’elle en soit la dernière, où il est capable de tromper seulement ceux qui décident de l’être. Les autres se rendent bien compte que la guerre à Gaza, et peut-être une guerre encore plus dévastatrice avec le Hezbollah, sont désormais devenues sa police d’assurance qui le poussent à s’accrocher au pouvoir. Elles complètent l’attaque incessante que lui et sa coalition d’extrême droite mènent contre les fondements du système démocratique israélien, en accordant la priorité absolue à la compromission de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Cette attaque a été lancée bien avant le 7 octobre et continue jusqu’à ce jour.
Le double objectif de cette “stratégie” est de perpétuer le pouvoir de Netanyahu, et donc d’assurer que, quelle que soit l’issue de son procès pour la corruption, il ne finisse jamais en prison. Ces objectifs sont devenus les deux faces d’une même pièce, au détriment du bien-être du pays et de la région.
Il est difficile de savoir si Netanyahu peut vraiment comprendre la différence entre le bien du pays et ce qui le sert le mieux, lui et sa famille, mais très rares sont ceux qui doutent du fait qu’il est motivé par le second, non le premier. L’exemple le plus frappant et le plus tragique est que, à chaque étape des derniers mois, et alors qu’il semblait y avoir un certain progrès au niveau des négociations avec le Hamas en ce qui concerne le cessez-le-feu – et donc par suite, la libération des otages – de nouvelles informations se révèlent comme par magie et, sous pression de la part des extrémistes de droite de sa coalition, Netanyahu présente de nouvelles exigences qui font dérailler, ou au moins retarder, une conclusion positive des négociations.
Il s’agit là indéniablement de négociations bien complexes et difficiles, et le fait de négocier entre un état et un acteur non-étatique les rend encore plus compliquées. De plus, dans ce cas, les négociations se déroulent dans le cadre d’une guerre qui continue à infliger une énorme souffrance, et par conséquent, rend les négociations très émotives avec zéro confiance entre les deux parties, multipliant alors les obstacles qui encombrent la conclusion d’un accord. Le rôle des médiateurs, s’agit-il des États-Unis, du Qatar ou de l’Égypte, est donc d’autant plus important, mais il devient de plus en plus évident qu’ils sont devenus exaspérés et frustrés par l’intransigeance des deux parties.
Cependant, avec le temps qui passe, le Hamas semble montrer plus de flexibilité, peut-être à cause des pressions politiques et militaires, alors que c’est Netanyahu qui déraille constamment tout espoir d’un accord, en faisant de nouvelles demandes et en insistant sur l’évasion. Lorsque le Hamas a récemment surpris son gouvernement en acceptant en gros la proposition du cessez-le-feu de Joe Biden-Netanyahu, les négociateurs israéliens ont renforcé leur position au nom du Premier ministre, de façon très publique, tout en étant bien conscients du fait que dans le cas de négociations aussi compliquées, tout compromis rendu public pourrait compromettre la conclusion d’un accord de cessez-le-feu. Mais ils ont détourné la situation de manière à blâmer l’autre partie et même les médiateurs, revenant rapidement aux accords antérieurs.
Netanyahu est à une certaine étape de sa vie politique, espérant qu’elle en soit la dernière, où il est capable de tromper seulement ceux qui décident de l’être.
Yossi Mekelberg
Un exemple serait que l’une de ces nouvelles exigences était l’insistance de Netanyahu d’empêcher tout palestinien armé de retourner au nord de la bande de Gaza, insistant que les troupes israéliennes restent en place le long de la Route de Philadelphie. Cela impliquerait au moins une occupation partielle de la bande de Gaza, une proposition qui allait sûrement être rejetée.
Quant aux dirigeants du Hamas, ils savent bien comment Israël opère, et ne se font pas d’illusions : même si un cessez-le-feu est conclu, le long bras de ses forces de sécurité s’en prendra à eux, pour venger les atrocités du 7 octobre. Conséquemment, l’appel du Hamas à un cessez-le-feu permanent est logique du point de vue de ses dirigeants, qui attendent leur heure et espèrent le meilleur. C’est leur police d’assurance, qui n’est pas forcément rassurante.
L'insistance de Netanyahu qu’Israël ne mettra fin à la guerre à Gaza que lorsque tous ses objectifs seront atteints, revient à dire au Hamas qu’après la libération des otages, Israël gardera sa main libre pour continuer la guerre, sans aucun engagement vis-à-vis d’une solution d’un “lendemain” politique. Ceci ne lui laisse aucune marge d’accepter un cessez-le-feu, et encore moins une paix avec les palestiniens.
Des sources proches des négociateurs israéliens ont récemment déclaré l’existence d’un “accord qui a une vraie chance d’être mis en œuvre”, mais tout en ajoutant qu’une “considération politique” pourrait retarder un tel accord. Certains partenaires d’extrême droite dans la coalition de Netanyahu ont indiqué qu’ils pourraient quitter le gouvernement si la guerre prend fin avant que le Hamas ne se rende. Leur départ de la coalition pourrait bien probablement signifier la fin du mandat de Netanyahu.
Sûrement, il existe une contradiction logique intrinsèque dans l’argumentation de ceux qui s'opposent à l’accord au sein du gouvernement israélien. D’une part, ils affirment que seule la pression militaire sur le Hamas permettra le retour des otages, mais à chaque fois que le Hamas accepte un accord, ils font tout ce qu’ils peuvent pour éviter cette possibilité. C’est en effet parce qu’ils veulent poursuivre la guerre jusqu’à ce que l’objectif de détruire ce mouvement islamiste soit atteint, et par conséquent, ils n’accordent pas une priorité à la libération des otages.
Plus de neuf mois après le début de la guerre, les capacités militaires du Hamas sont considérablement réduites, mais en même temps, l’objectif israélien déclaré de ramener les otages, avec l’espoir que la plupart d’entre eux soient encore en vie, est de plus en plus menacé. Il n’est donc pas surprenant que les familles des otages et leurs partisans intensifient leurs protestations dans les rues, dans les médias et dans les corridors de la Knesset. Ils savent ce que nous soupçonnons depuis des mois : que Netanyahu n’a probablement qu’une seule priorité, qui est de maintenir la coalition et d’empêcher une enquête d’état sur les échecs du 7 octobre et ses conséquences.
Cette situation ne changera pas jusqu’à ce qu’une masse critique et politiquement active en Israël ne comprenne le fait que, tant que Netanyahu est au pouvoir et s’appuie sur le soutien de l’ultra-droite religieuse, une fin de la guerre à Gaza, avec le retour des otages, demeurera une possibilité bien lointaine.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent's University à Londres, où il dirige le Programme des Relations Internationales et des Sciences Sociales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux et régionaux.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com