En politique, si la question de l’immigration n’existait pas, on se demande bien de quoi parleraient certains candidats aux élections.
En effet, ces dernières années, en Europe, il a été du pain béni pour les partis de droite et d’extrême-droite qui se sont installés durablement sur l’échiquier grâce à leur rhétorique xénophobe et anxiogène. La France Lepenisée, l’Italie Melonisée et la Hongrie Orbanisée en sont des exemples frappants, parmi tant d’autres.
Cependant, en la matière, les regards sont aujourd’hui braqués sur les Etats-Unis, car dans cette séquence politique inédite, Donald Trump a installé l’immigration illégale au cœur de sa reconquête. Cette stratégie peut paraître surprenante au vu du rôle historique de l’immigration dans la formation de cette nation. Ironie du sort, le 13 Juillet dernier, à 18 heures 8 minutes, le candidat Trump entamait justement son discours en plein air devant la foule en faisant un mouvement de tête… vers un panneau de statistiques sur l’immigration, quand une balle a atteint son oreille droite.
Son mouvement de tête vers les données migratoires lui a porté chance. Il aurait pu recevoir le projectile en pleine tête. D’aucuns y ont vu « un signe de Dieu » indiquant que l’immigration était bel et bien la carte à jouer pour vaincre les Démocrates. Avec le milliardaire, c’est l’outrance, pas la mesure, qui donne le tempo. La haine, pas l’amour. La violence, pas la paix. La peur, pas la confiance. La grossièreté, pas le langage châtié. Le clivage, pas l’union.
Donald Trump: A l’instar des sorties de Nicolas Sarkozy en France en 2007 contre les « racailles des banlieues » qu’il voulait « karchériser », et celui d’Éric Zemmour contre « les Arabes et les Noirs, la diversité, le multiculturalisme, le wokisme, l’islamo-gauchisme, etc., force est de constater que l’outrance plait
- Azouz Begag
L’homme a décidé de ne plus lésiner avec les mots et les images concernant les migrants, son cœur de cible. Le 2 avril dernier, dans le Michigan et le Wisconsin, états décisifs pour la victoire, il accusait Joe Biden d'avoir importé « le carnage, le chaos, et les tueries du monde entier », avec les migrants illégaux, qu’il aurait « déversés directement » chez les Américains pour « envahir » le pays. Dans une violente rhétorique, il a redit que les migrants constituent un poison pour la nation, tout comme il l’avait fait pour « … les communistes et les marxistes, les fascistes et les voyous de la gauche radicale », qualifiés de « vermine », qu’il a promis d’éradiquer pour « … libérer cette nation de Joe-la-Crapule et ses armées de migrants de dangereux criminels »… Il a juré de mettre fin « aux pillages, viols, massacres, et à la destruction de nos banlieues, villes, et villages américains. » Les loups sont lâchés. La droite décomplexée, comme on aime à dire en France. Oui, Trump a décidé : il ne sera plus « gentil » comme il l’aurait été selon lui quand il était président. Naguère réticents face à son racisme débridé, les Républicains aujourd’hui en redemandent.
A l’instar des sorties de Nicolas Sarkozy en France en 2007 contre les « racailles des banlieues » qu’il voulait « karchériser », et celui d’Éric Zemmour contre « les Arabes et les Noirs, la diversité, le multiculturalisme, le wokisme, l’islamo-gauchisme, etc., force est de constater que l’outrance plait. Tout comme l’autorité dictatoriale des candidats. Même leurs mensonges éhontés. Ils font rire l’électeur sous le chapiteau du grand cirque lors des meetings. En mai, dans le New Jersey, Trump a poussé l’outrecuidance jusqu’à lire en public les paroles d'une chanson, qui d’après lui «… s'appelle “Le serpent”, elle parle de l'immigration illégale…».
Il est vrai que les États-Unis sont confrontés à des arrivées record de migrants illégaux, 300 000 arrestations en décembre, mais une loi sur l'immigration négociée par les deux partis, a finalement été rejetée par les républicains au Congrès
- Azouz Begag
C’est l'histoire d'une femme douce et tendre qui trouve sur son chemin un serpent affaibli, le recueille chez elle, le couve, mais il finit par la mordre. Elle meurt empoisonnée. Ecrite par un militant des droits civiques afro-américain dans les années soixante, la chanson n’a rien à voir avec l'immigration, mais sert néanmoins de métaphore à Trump pour qui les migrants « empoisonnent le sang » des États-Unis. Un cancer ! Il a été comparé à Hitler et Mussolini mais n’en a cure. Devant les foules, il pilonne Biden qu’il accuse d'avoir transformé la frontière sud en passoire et fait entrer « les serpents », ( comme les Arabes et les Noirs sont souvent associés en France par les racistes à des rats, ratons ou cafards incarnant la perfidie, la destruction, la prolifération, la maladie…).
Il est vrai que les États-Unis sont confrontés à des arrivées record de migrants illégaux, 300 000 arrestations en décembre, mais une loi sur l'immigration négociée par les deux partis, a finalement été rejetée par les républicains au Congrès. A la demande de Trump ! Une chose est sûre : cette immigration illégale massive génère anxiété et colère dans la population. Comme partout ailleurs. Il y aurait près de 700 000 sans-abris dans les villes américaines, des homeless, parmi 13 millions d’immigrants illégaux. Depuis un an, 2 millions y sont encore entrés. Le phénomène affecte le logement, la criminalité, l’emploi, l’hygiène, le cadre de vie, la sécurité, etc. Pour y remédier, Trump affiche sa fermeté. If he wins, il propose l’expulsion massive de dix millions d’entre eux (ce que l’extrême-droite française appelle « remigration »), une intervention de la Garde Nationale pour les arrêter, l’établissement d’immenses centres de rétention, la reprise de la construction du mur à la frontière mexicaine… Son programme a été dévoilé dans une interview-choc au Time Magazine le 23 avril 2024. « Nous avons vu ce qui s’est passé lorsque l’Europe a ouvert ses portes au djihadisme », a-t-il lancé en mai dans le Wisconsin. « Regardez Paris, Londres, ces villes sont méconnaissables…» (…)
En politique, le bouc-émissaire est un incontournable. Pour appuyer sa campagne, le 17 Juillet, le miraculé de Butler a intronisé J.D. Vance comme colistier, un sénateur de 39 ans, lui aussi impitoyable avec l’immigration clandestine et les migrants
- Azouz Begag
Ses diatribes s’adressent aux électeurs rebutés par l’immigration clandestine, mexicaine en particulier, afin d’exacerber chez eux le sentiment insécuritaire lancinant face aux Latino-Américains. En outre, il amalgame sans vergogne immigration et terrorisme, à l’instar de celui déjà à l’œuvre sur la « guerre au terrorisme » et l’immigration musulmane. Plus encore, il associe immigration et perte d’emplois, sujet sensible dans l’ancien cœur de l’Amérique industrielle où l’idée que les immigrants prennent le travail des nationaux a fait son chemin. En jouant sur la « Préférence nationale », chère à la famille Le Pen en France, Trump monte les uns contre les Autres dans une stratégie aux relents nauséeux, mais qui n’est pas nouvelle. Depuis les années soixante-dix, le Front National l’a expérimentée avec succès en France. Et ça marche ! En effet, s’agissant de l’immigration et des étrangers en général, depuis des siècles le discours xénophobe a pourfendu l’invasion des hordes, le désordre, la barbarie du langage, de l’apparence physique grossière et la saleté, le bruit, les odeurs, la propension à la paresse, à la ripaille, à l’ivrognerie, à la criminalité…
En politique, le bouc-émissaire est un incontournable. Pour appuyer sa campagne, le 17 Juillet, le miraculé de Butler a intronisé J.D. Vance comme colistier, un sénateur de 39 ans, lui aussi impitoyable avec l’immigration clandestine et les migrants. Sa femme, Usha Chilukuri, rencontrée à Yales, juriste dans un cabinet d’avocats, est d’origine indienne.
Malgré son curriculum, dans le monde MAGA, certains sont gênés par sa couleur de peau et leurs trois enfants métis, mais elle n’est quand même pas vice-présidente comme la démocrate Kamala Harris, fille d’immigrés Jamaïcain et Indien !
Voilà ce qui est en train de se jouer aux Etats-Unis. Ce grand pays est en passe de devenir, sous les yeux du monde, un immense laboratoire d’expérimentation politique où la figure du migrant, le mot « immigration », l’étranger, le pauvre, l’exilé… sont piétinés en public pour servir les pires desseins de l’humanité. Le pasteur Martin Luther King, chantre de la fraternité, est assassiné une seconde fois à Memphis, Tennessee, par Donald Trump sauvé par Dieu après une tentative d’assassinat à Butler, Pennsylvanie. Non, ce qui empoisonne un pays, ce n’est pas l’immigration, mais le racisme.
Le serpent, c’est lui.
Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.
X: @AzouzBegag
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.