Une semaine avant de partir pour Washington où il s'adressera aux parlementaires américains le 24 juillet, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s'est déjà vu les ailes coupées.
Il y a près de dix ans, dans son orgueil débordant et son envie des chefs d'état qui sont transportés par un avion spécialement conçu pour eux, il a commandé un vieux Boeing 767 qui a été converti pour répondre aux plus grandes exigences de chouchoutage de lui-même et de son épouse. Huit ans plus tard, et pour un coût estimé à 1 milliard de shekels (277 millions de dollars), “l’aile de Sion” quittera le sol pour l'une des visites les plus controversées d'un premier ministre israélien aux États-Unis.
Néanmoins, il a été révélé que ce jouet coûteux n'était pas en mesure d'effectuer un vol transatlantique direct tout en transportant la charge complète de l'entourage du premier ministre, et qu'une escale intermédiaire en République tchèque et en Hongrie avait donc été envisagée. Hélas, selon Kan, le radiodiffuseur public israélien, ce plan a été abandonné de crainte que la Cour pénale internationale ne prépare un mandat d'arrêt contre le Premier ministre israélien en raison de la manière dont il a mené la guerre à Gaza.
Ce qui semble être un simple problème technique représente le règne de Netanyahu, son hédonisme et son gaspillage de l'argent public et la transformation du premier ministre israélien en paria, avec la menace constante d’un mandat d'arrêt international qui le suit, après avoir entraîné son pays dans sa plus longue guerre depuis l'indépendance.
Ce sont toutes des raisons bien convaincantes pour que le Congrès américain ne lui ait jamais tendu la perche en l'invitant à prononcer un discours sur l'une des scènes les plus prestigieuses du monde. Certes, cette invitation relevait davantage de la politique intérieure américaine, en particulier au cours d'une année électorale, que d'une démonstration d'amitié avec Israël. Cependant elle nuira aux intérêts américains et israéliens, aux perspectives de fin de la guerre à Gaza et de retour des otages dans un avenir proche, à la cause de la paix basée sur une solution à deux états et ne fera que perpétuer le rôle destructeur de Netanyahu dans la politique israélienne.
L'invitation d'un dirigeant étranger à s'adresser à une réunion conjointe du Congrès est une occasion rare, et constitue généralement une reconnaissance des relations étroites entre les États-Unis et ce pays. Elle semble honorer la contribution personnelle de l'invité à ces relations ou même sa contribution exceptionnelle aux affaires mondiales.
Mais Netanyahu ne représente rien de tout cela. En effet, il représente tout à fait le contraire, surtout en cette période délicate où il constitue un obstacle majeur à l'obtention d'un cessez-le-feu à Gaza et sûremenet à la libération des otages et à l'atténuation des immenses souffrances des Palestiniens dans cette région. Permettre à Netanyahu de jouer à l'homme d'État, chose qu'il n'est pas, est un acte de trahison envers tous ceux qui ont été tués, mutilés et/ou qui ont perdu tout ce qu'ils avaient depuis le 7 octobre, ainsi qu'envers les centaines de milliers d'Israéliens qui sont descendus dans la rue avant même cette guerre misérable pour défendre la démocratie israélienne contre une attaque sans précédent et totalement intéressée, menée par le Premier ministre lui-même.
Quel est donc l'objectif principal de cette invitation prestigieuse? Il s'agit d'une mauvaise et évidente tentative des républicains du Congrès, en cette année électorale, de gagner le soutien des amis d'Israël et de pousser les démocrates dans leurs retranchements, coincés entre leur soutien à Israël et leur opposition à Netanyahu, qui apporte la calamité à son propre pays et met en péril ses relations avec les États-Unis, son allié le plus proche et le plus important.
“Permettre à Netanyahu de jouer à l'homme d'État, chose qu'il n'est pas, est un acte de trahison envers tous ceux qui ont été tués”.
Yossi Mekelberg
En ce qui concerne les républicains, l'invitation a été immédiatement couronnée de succès lorsque le chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, l'a acceptée, malgré ses récents commentaires sur l'inaptitude de Netanyahu à occuper le poste de premier ministre. Il avait déclaré sans ambages : “Je pense que la tenue de nouvelles élections une fois que la guerre aura commencé à s'estomper donnerait aux Israéliens l'occasion d'exprimer leur vision de l'avenir après la guerre”. Il s'agissait bien d'un appel au remplacement de Netanyahu, car il connaissait, comme tout le monde, les sondages d'opinion israéliens qui, depuis des mois, montraient que le Likoud, le parti de Netanyahu, était à la traîne de ses rivaux.
Parallèlement à la volte-face de Schumer, le président Joe Biden doit désormais organiser une rencontre avec Netanyahu à la Maison Blanche, un privilège que le président américain a intentionnellement refusé au premier ministre en mal de publicité depuis que ce dernier a formé son gouvernement d'extrême droite l'année dernière.
Donner à Netanyahu une tribune internationale et américaine, alors qu'il n'a fait aucune concession sur les questions que les États-Unis considèrent comme importantes pour mettre fin à la guerre à Gaza, ramener les otages et s'engager sur la voie de la reconstruction de la bande de Gaza, c'est donner à un premier ministre défaillant et discrédité et à sa coalition d'extrémistes, un vent arrière non mérité pour leurs efforts en vue de s'accrocher au pouvoir.
Malheureusement, on est habitué à un certain niveau de cynisme en politique, mais cette invitation est une éclipse totale de jugement au détriment du bien du peuple. En 2015, Netanyahu a profité d'une occasion similaire au Congrès pour faire pression contre l'accord sur le nucléaire iranien, qui était une initiative diplomatique centrale de l'administration Obama, et pour intervenir sans honte dans les affaires intérieures des États-Unis afin de le faire dérailler.
Lorsque Netanyahu a fini, par des pressions directes et indirectes sur l'administration Trump, par persuader les États-Unis de se retirer du Plan global d'action conjoint, cela n'a fait que démontrer son manque de réflexion stratégique, puisque cela a uniquement rapproché l'Iran plus que jamais d'une capacité militaire nucléaire. Pourquoi l'écouterait-on maintenant ? De plus, un certain nombre de familles d'otages se joindront à sa délégation, dans un nouvel acte de cynisme de la part de Netanyahu, qui exploitera leur désespoir pour les faire parader à Washington, alors qu'en coulisses, il reste l'une des principales raisons pour lesquelles leurs proches continuent de vivre l'enfer en captivité.
En 2015, cinquante-huit législateurs américains ont fait preuve d'intégrité et d'un bon jugement politique en sautant le discours de Netanyahu. Cette fois-ci, le nombre devrait être plus élevé et ce sera un véritable test pour ceux qui sont de véritables amis d'Israël, qui se soucient des droits de l'homme et qui soutiennent la paix, sans parler de faire ce qui bénéficie les intérêts américains. Ils devraient voter avec leurs pieds en laissant les bancs du Congrès vides pendant ce discours.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. X: @Ymekelberg
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com