Ignorer Gaza serait un point de départ inacceptable pour le nouveau gouvernement britannique

Jeremy Corbyn après avoir déposé sa candidature pour Islington North, le 5 juin 2024. (AFP)
Jeremy Corbyn après avoir déposé sa candidature pour Islington North, le 5 juin 2024. (AFP)
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Publié le Vendredi 12 juillet 2024

Ignorer Gaza serait un point de départ inacceptable pour le nouveau gouvernement britannique

Ignorer Gaza serait un point de départ inacceptable pour le nouveau gouvernement britannique
  • Le parti du nouveau Premier ministre Keir Starmer a été critiqué lorsqu’il était chef de l’opposition pour sa réticence à demander un cessez-le-feu immédiat
  • Dès les premiers jours de son arrivée au pouvoir, le gouvernement devrait se pencher rapidement sur son programme de politique étrangère et ses priorités

La victoire écrasante du Parti travailliste aux élections britanniques s’est accompagnée, semble-t-il, d’un problème majeur. Une partie de son électorat musulman a choisi de soutenir des candidats indépendants pro-palestiniens. En conséquence, quatre députés pro-Gaza ont réussi à battre leurs rivaux travaillistes, rejoignant ainsi Jeremy Corbyn, l’ancien leader pro-palestinien de longue date du parti, pour former le sixième groupe le plus important du nouveau Parlement britannique. Cela démontre que le Parti travailliste a un problème plus important qu’on ne le pensait sur sa gauche, sous l’impulsion de Gaza.

Les mois de manifestations qui ont suivi le lancement par Israël de sa guerre de représailles, après le 7 octobre, ont montré que la bande de Gaza préoccupait une partie de l’électorat britannique. L’analyse des résultats électoraux a révélé que les majorités travaillistes s’amenuisaient généralement dans les circonscriptions où vivent un grand nombre de musulmans.

Le parti du nouveau Premier ministre Keir Starmer a été critiqué lorsqu’il était chef de l’opposition pour sa réticence à demander un cessez-le-feu immédiat. Ce n’est qu’en février que le Parti travailliste a finalement appelé à un cessez-le-feu immédiat et s’est engagé à reconnaître un État palestinien, sans toutefois préciser de délai. Pour beaucoup, cela est perçu comme une mesure trop peu, trop tard.

Le nombre de voix des travaillistes a chuté de 11 points en moyenne dans les circonscriptions où plus de 10 % de la population s’identifie comme musulmane.

                                                                 Mohamed Chebaro

Le nombre de voix des travaillistes a chuté de 11 points en moyenne dans les circonscriptions où plus de 10 % de la population s’identifie comme musulmane. Le fait que la politique du Moyen-Orient devienne le principal enjeu électoral pour certaines communautés dans les grandes villes britanniques, au lieu des griefs nationaux tels que les hôpitaux, les écoles, la crise du coût de la vie, la fiscalité, etc. est dangereux.

Environ quatre musulmans britanniques sur cinq ont voté travailliste en 2019, renforçant les liens historiques entre les deux, forgés après la migration massive de travailleurs du Pakistan dans les années 1950 et 1960. Cependant, dans les circonscriptions où les musulmans représentent plus d’un quart de la population, le vote travailliste a diminué de 23 % cette fois-ci, selon LBC, une station de radio basée à Londres.

Dès les premiers jours de son arrivée au pouvoir, le gouvernement devrait se pencher rapidement sur son programme de politique étrangère et ses priorités, ne serait-ce que pour tenir à distance les politiques à thème unique, comme on l’a vu avec l’immigration et le Brexit sous le gouvernement conservateur sortant, et maintenant avec Gaza. Il est crucial que la politique britannique ne se polarise pas à l’instar de l’Europe continentale, où les politiciens d’extrême droite et populistes gagnent de plus en plus de voix en menant des campagnes discutables sur des sujets uniques qui suscitent l’enthousiasme d’électeurs souvent facilement manipulables.

Tout d’abord, je ne suis pas sûr que le nouveau ministre des Affaires étrangères, David Lammy, ait la perspicacité, la crédibilité et le poids internationaux nécessaires pour faire face aux adversités de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. De même, je doute de sa capacité à donner un rôle positif à la Grande-Bretagne pour mettre fin au conflit entre Israël et le Hamas à Gaza, tout en gardant un œil sur les nombreux autres sujets sensibles du Moyen-Orient, du Yémen à l’Iran, en passant par la Syrie, l’Irak, le Liban et la mer Rouge.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la position de la Grande-Bretagne en matière de politique étrangère a été ébranlée après 14 ans de gouvernement du Parti conservateur, “pris dans une conversation autocentrée et fermée”, comme l’a dit M. Lammy. Ce gouvernement a souvent agi de manière contradictoire avec ses alliés et n’avait d’autre objectif que de négocier la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

La promesse de M. Lammy de reconnecter avec “la communauté mondiale” pourrait s’avérer essentielle si le Royaume-Uni veut retrouver un certain équilibre et pouvoir dans son influence diplomatique. Bien que le nouveau ministre des Affaires étrangères ait les bonnes priorités, le monde auquel il devra faire face est dangereux, divisé et discordant sur de nombreux sujets, de l’Ukraine au changement climatique. Certaines superpuissances se renforcent tandis que d’autres s’affrontent, réduisant ainsi l’espace pour la diplomatie.

En ce qui concerne l’Europe, M. Lammy a déclaré que le pays devait “mettre les années du Brexit derrière nous”, conformément aux assurances de M. Starmer selon lesquelles le Royaume-Uni ne rejoindrait pas le marché unique ni l’union douanière, malgré les dommages causés à l’économie britannique par le Brexit et le fait que toute croissance future dépendra fortement du commerce avec l’Europe.

Une relation repensée avec l’Europe, fondée sur une vision commune et une coopération en matière de sécurité, devrait constituer la première étape, même si les avantages commerciaux doivent être rationalisés par la suite. Cette vision commune permettrait de mieux faire face aux adversités présentes aux quatre coins du globe. La coopération entre l’UE et le Royaume-Uni pourrait inclure la mise en place de stratégies pour faire face au retour potentiellement imminent et très perturbateur de Donald Trump et de son style de politique à la Maison Blanche, ainsi que la prise en compte de la meilleure façon de traiter les politiciens d’extrême droite et populistes susceptibles d’occuper les coulisses du pouvoir au sein de l’UE.

La position du nouveau gouvernement britannique concernant Gaza, qui lui a déjà coûté plusieurs sièges, risque d’être entachée par des insécurités et des doutes. M. Lammy sera probablement soumis à un examen minutieux de la part de la gauche du parti concernant sa gestion de la guerre de Gaza et des questions telles que les ventes d’armes britanniques à Israël. Le Parti travailliste devra calibrer soigneusement son engagement à reconnaître le statut d’État palestinien en tant que contribution à un processus de paix renouvelé visant à aboutir à une solution à deux États. Toutefois, il devra éviter de risquer d’aliéner l’administration Biden en prenant des mesures unilatérales à l’approche des élections américaines de novembre, ainsi que ses électeurs juifs britanniques.

Si les élections au Royaume-Uni et ailleurs nous ont appris quelque chose, c’est la facilité avec laquelle une campagne transfrontalière peut influencer la composition d’un parlement ou d’un gouvernement. Les pertes du Parti travailliste, bien que mineures cette fois-ci, sont en grande partie dues à une campagne intitulée “The Muslim Vote” (le vote musulman), qui affirme sur son site web qu’elle s’efforce de soutenir les intérêts des musulmans. Bien que certains membres de la communauté musulmane britannique puissent se sentir satisfaits et enhardis par le succès du groupe, le Parti travailliste reste la principale référence pour les électeurs musulmans et les autres minorités.

À la suite de l’invasion de l’Irak en 2003, les électeurs musulmans ont sanctionné les travaillistes, mais leur défection n’a pas été permanente. Cette fois-ci, les choses pourraient être différentes. Si les travaillistes veulent consolider leur emprise sur le pouvoir et ouvrir la voie à plus d’un mandat à Downing Street, ils doivent s’efforcer d’apaiser les craintes d’une partie de l’électorat dans un monde de plus en plus instable et interconnecté.

 

Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l’actualité et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com