Dans un moment de réflexion, peut-être d’autodérision, dans le roman « Don Quichotte » de Cervantes, Sancho Panza réalise que servir un maître inutile fait de lui « un plus grand fou ». Cela rappelle le proverbe: « Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es ».
Cette réflexion résonne étrangement avec la situation actuelle d'Israël, notamment le flirt de la droite israélienne avec les mouvements d'extrême droite en Europe - et leur joie mal placée face au succès de leurs représentants lors des récentes élections européennes. Cette alliance imprudente fait écho à celle, tout aussi contestable, nouée avec les évangélistes américains. Dans les deux cas, Israël semble ignorer que ces soutiens de circonstance ne servent pas ses intérêts et à ceux de son peuple à long terme.
Un virage à droite s'’observe simultanément dans l'UE et aux États-Unis, touchant des pays aux profils variés que ce soit au niveau économique, culturel ou politique. Ce phénomène inquiétant est souvent vu comme une réaction à la mondialisation par les laissés-pour-compte, ceux qui ont vu leurs emplois délocalisés. Il traduit aussi un malaise face aux économies de plus en plus inégalitaires, générant anxiété et insécurité et une hostilité envers le libéralisme et l'immigration. L'évolution démographique vers des sociétés plus diverses et multiculturelles est perçue comme une menace par certains segments de la société.
Le conflit à Gaza a creusé les divisions en Europe sur la question israélo-palestinienne, opposant la gauche progressiste libérale à la droite dure. Malheureusement, les deux camps adoptent une vision manichéenne, ignorant la complexité de la situation et diabolisant l'adversaire.
Paradoxalement, l'extrême droite, terreau historique de l'antisémitisme, affiche aujourd'hui un soutien quasi inconditionnel à Israël, teinté d'islamophobie. Israël, dirigé par des socialistes et des sociaux-démocrates durant les premières décennies de son indépendance, avait cultivé des relations étroites avec les partis sociaux-démocrates qui représentaient les éléments les plus progressistes de la politique et de la société européennes. Cependant, l'occupation prolongée des territoires palestiniens en Cisjordanie et à Gaza a progressivement tendu ces liens.
La fin de l'hégémonie travailliste en Israël en 1977 et l'émergence de la droite ont marqué un tournant dans ses alliances européennes. Sous l'ère Netanyahu, la perspective d'une solution à deux États s'est éloignée, aliénant les progressistes européens et poussant Israël vers l'extrême droite.
La montée des mouvements populistes en Europe, farouchement opposés à l'immigration et au multiculturalisme avec de fortes tendances islamophobes, a été perçue par la droite israélienne comme une opportunité. Sa vision simpliste d'un monde arabo-musulman, uniformément hostile et souhaiterait voir la fin du pays l'a conduite dans les bras de l'extrême droite européenne, sans nuance ni sens de l'ironie tragique.
Après les attaques du 7 octobre, l'extrême droite européenne a bruyamment pris parti pour Israël. Mais ce soutien pourrait s'avérer à double tranchant. Si Israël y voit un moyen d'alléger les pressions internationales, cette stratégie pourrait se révéler désastreuse à long terme.
Bien que plus habiles à masquer leur antisémitisme que leurs prédécesseurs, de nombreux leaders d'extrême droite européens conservent des racines douteuses, comme le négationnisme de l'Holocauste dissimulé derrière des euphémismes et l'emploi de tactiques dites de « dog whistle ».
Le fondateur et chef historique du Front National français, Jean-Marie Le Pen, a été condamné en 1996 pour incitation à la haine raciale après avoir déclaré que les chambres à gaz utilisées pour tuer les Juifs pendant l'Holocauste n'étaient qu'un « détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale ». Le parti Alternative pour l'Allemagne, qui jouit d'un soutien populaire croissant, compte des éléments fortement antisémites dans ses rangs, tandis que le Premier ministre hongrois Viktor Orban utilise des tropes antisémites pour faire avancer ses objectifs politiques dans son pays. Un député hongrois a même appelé à l'établissement d'un registre des Juifs hongrois - un rappel des jours sombres de l'Europe centrale pendant la Seconde Guerre mondiale.
Et devinez qui a assisté à un événement à Budapest il n'y a pas si longtemps, organisé par un historien hongrois accusé de déformer la mémoire de l'Holocauste et étroitement associé au gouvernement de droite d'Orban? Nul autre que le fils aîné du Premier ministre israélien Netanyahu.
De même, Amichai Chikli, dont le titre officiel est ministre des Affaires de la diaspora et de la lutte contre l'antisémitisme et qui est devenu, ironiquement, un habitué des conventions d'extrême droite, était l'un des principaux orateurs d'Europa Viva 24, une conférence tenue à Madrid en mai et organisée par le parti d'extrême droite Vox.
En retour, Israël obtient le soutien de partis comme Vox en Espagne, avec son leader Santiago Abascal exprimant son opposition à la reconnaissance par l'Espagne de l'État palestinien. Geert Wilders des Pays-Bas et son Parti pour la liberté ont fait de même. Ils ont également signé un accord de coalition qui inclut un "examen" du déplacement de l'ambassade néerlandaise en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem, à la manière de Donald Trump. L'AfD allemande appelle même à réduire l'aide aux Palestiniens depuis le 7 octobre.
Ces positions ravissent la droite israélienne, qui espère les voir devenir majoritaires en Europe, anéantissant ainsi les perspectives de paix basées sur deux États. Pour y parvenir, les politiciens de droite israéliens sont prêts à s'allier avec des mouvements aux racines antisémites, trahissant ainsi les principes fondateurs du sionisme.
Plus que tout, ce rapprochement avec l'extrême droite illustre la faillite morale du gouvernement Netanyahu et de ses partisans. En engageant Israël sur une voie anti-libérale et antidémocratique, ils bafouent la mémoire de toutes les victimes de l'antisémitisme.
• Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. X: @YMekelberg