Lorsque les armes se tairont enfin à Gaza et que l'ampleur de la dévastation sera pleinement révélée, il sera également urgent de s'attaquer à l'impact moins visible, mais tout aussi néfaste, sur la santé mentale de centaines de milliers de personnes innocentes des deux côtés de la frontière. Une attention particulière devra être accordée aux nombreux enfants qui ont subi un traumatisme inimaginable et qui, sans soins adéquats, porteront ces séquelles toute leur vie, avec des répercussions négatives sur eux-mêmes, mais aussi leurs sociétés.
Les sociétés israélienne et palestinienne ont été traumatisées par le passé et continuent de l’être, ce qui entraîne chez de nombreux enfants et adolescents des troubles de stress post-traumatique qui se manifestent de différentes manières. En effet, les conséquences à long terme ne laissent aucun doute quant à leur impact sur leur perception de la paix, de la réconciliation et de la coexistence entre les deux peuples. L’une des tragédies les plus déchirantes de la guerre est que ce sont les personnes les plus vulnérables de la société qui subissent les conséquences les plus graves de ces hostilités, tant sur le plan physique que psychologique. Selon l'organisation de défense des droits humains Save the Children, 68 millions d'enfants, soit plus d'un sur six dans le monde, vivent dans des zones touchées par des conflits armés, et ce chiffre est en augmentation. En outre, les enfants sont beaucoup plus susceptibles de mourir des suites d'un conflit que les acteurs armés.
Grâce aux médias visuels, nous pouvons désormais assister en temps réel aux horreurs qui se déroulent pendant les conflits et qui infligent des souffrances insoutenables aux civils, en particulier aux enfants. Dans la bande de Gaza, près de la moitié de la population a moins de 18 ans et subit de plein fouet les horreurs de la guerre. Depuis près de huit mois, nous sommes confrontés chaque jour aux violences cruelles et brutales perpétrées par le Hamas le 7 octobre, puis par la réponse de l'armée israélienne. Même sans un seul coup de feu tiré ou une seule bombe larguée, il suffit qu'un enfant entende constamment le vrombissement des avions de chasse ou l’avancée des chars, ou qu’il voie des soldats entièrement armés dans les rues pour être terrorisé, voire traumatisé, en particulier lorsqu'il est exposé à ces scènes jour et nuit pendant des mois. Mais, dans le cas de la guerre à Gaza, avec toute son intensité, il ne s'agit pas de voir ou d'entendre les machines de guerre, mais d'être directement exposé à leur puissance de feu et d'être pris dans les tirs croisés entre deux ennemis jurés.
«L'exposition à un traumatisme pendant l'enfance peut avoir des répercussions sur le comportement à l'âge adulte.»
- Yossi Mekelberg
Chaque jour, des enfants paient de leur vie le prix du conflit, et beaucoup d’entre eux portent des blessures physiques et mentales qui les hanteront toute leur vie. Au début de ce mois, l'ONU estimait à 7 797 le nombre d'enfants tués à Gaza depuis le début de la guerre, et ce chiffre continue d’augmenter quotidiennement. Cependant, au-delà de la terrible tragédie de ces vies brisées, ce sont également leurs familles ainsi que leurs jeunes frères, sœurs et amis qui restent traumatisés par la peur et la culpabilité, craignant d'être les prochaines victimes et se sentant coupables d'avoir survécu.
Des recherches menées par le gouvernement britannique ont confirmé que l'exposition au traumatisme pendant l'enfance peut avoir des répercussions sur le comportement à l'âge adulte, et que, dans les cas de traumatismes prolongés, les enfants peuvent développer un stress toxique qui peut devenir biologiquement enraciné. D'autres études ont révélé que la prévalence des problèmes de santé mentale dans les zones de conflit est extrêmement élevée: 47% des enfants présentent des symptômes de stress post-traumatique et 43% de dépression. Bien que ces chiffres soient alarmants, ils ne devraient pas surprendre étant donné que ces enfants vivent, comme nous le constatons à Gaza, la perte de leurs proches, des blessures liées à la guerre et d'autres formes de violences traumatisantes.
Même avant le déclenchement de la guerre actuelle, les données révélaient que 71% de la population de Gaza souffraient de dépression, tandis que 80% déclaraient être dans un état perpétuel de peur, d'inquiétude, de tristesse et de deuil. Les trois quarts des enfants souffraient de problèmes d’énurésie liés à la peur, alors qu'un nombre croissant d'entre eux développaient un mutisme réactif. Dès lors, il est facile d'imaginer les chiffres actuels, après des mois de bombardements quotidiens et de déplacements constants, sans accès aux soins médicaux et sans certitude quant à leur prochain repas et l’accès à l'eau potable ou à des installations sanitaires. D'une part, l'état mental de nombreux enfants se détériore et les besoins de traitement augmentent. D'autre part, le système de santé mentale à Gaza s'est effondré, avec des établissements psychiatriques endommagés ou épuisés, de graves pénuries de médicaments, sans compter les perturbations d'Internet qui empêchent même l'accès à la téléthérapie.
«L'obligation morale de protéger les enfants ne nécessite guère d’explications.»
- Yossi Mekelberg
L'obligation morale de protéger les enfants ne nécessite guère d’explications. La Convention des nations unies relative aux droits de l'enfant est un accord international juridiquement contraignant qui établit les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de chaque enfant indépendamment de sa race, de sa religion ou de ses capacités. Cette convention a été ratifiée par 196 pays, dont Israël. Elle les engage à défendre la vie, la survie et le développement des enfants ainsi qu’à les protéger contre la violence, les abus et la négligence. À l’heure actuelle, à Gaza, aucun enfant ne peut raisonnablement croire que ses droits tels qu'ils sont consacrés dans ces conventions sont respectés, même vaguement.
On pourrait soutenir que l'argument moral devrait suffire à mobiliser la communauté internationale pour protéger les enfants contre les atrocités des guerres, mais, malheureusement, ce n'est souvent pas le cas dans la plupart des conflits. Cependant, il existe également des raisons politiques pour protéger les enfants de l'horreur des guerres, car l'une des conséquences en est la radicalisation. En effet, les jeunes, même les enfants, dans leur détresse et leur colère, deviennent un terrain fertile pour la radicalisation et sont manipulés pour participer à la violence politique. Des recherches récentes publiées dans The Lancet, l'une des revues médicales les plus respectées, soutiennent que «la détresse psychologique qui en découle peut accroître la susceptibilité des enfants et des jeunes à la radicalisation, car les groupes extrémistes exploitent souvent les sentiments de désespoir». On peine à imaginer une situation qui générerait davantage de désespoir que celle de Gaza, même avant le début de la guerre – et que serait-ce depuis?
Négliger la souffrance des enfants en temps de guerre porte gravement atteinte à notre humanité. Peu importe la justification de la guerre, la protection des enfants devrait demeurer intouchable. À la suite du conflit actuel à Gaza, l'une des tâches les plus urgentes et les plus cruciales consistera à garantir aux enfants un soutien psychologique et les outils nécessaires pour surmonter les épreuves épouvantables qu'ils endurent. Nous leur devons cela pour le bien-être de leurs sociétés et pour la promotion de la paix, lorsque cette dernière arrivera enfin.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord au sein du groupe de réflexion sur les affaires internationales Chatham House.
X: @YMekelberg
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com