Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a mis en garde la semaine dernière contre un «été tendu» avec le Liban. Il a déclaré que le Hezbollah avait été repoussé des zones frontalières, mais qu’il n’avait pas «disparu». Cela suppose qu’Israël se dirigera, après Rafah, vers le nord et qu’il frappera le Liban dans l’espoir d’affaiblir le Hezbollah et de l’empêcher de se reconstituer, au moins à court et moyen terme. Cependant, le Hezbollah n’est pas le Hamas. Il est bien plus puissant, et il est également bien plus important que le Hamas aux yeux de l’Iran. Tout cela signifie qu’une guerre avec le Liban se transformerait en guerre régionale.
Une guerre a de nombreuses conséquences imprévisibles. Les conflits sont généralement empreints d’un degré élevé d’incertitude. En ce qui concerne le Hezbollah, l’incertitude bat son plein pour Israël. Malgré les différents rapports et les évaluations des services de renseignement, personne ne connaît réellement les capacités du Hezbollah. Le groupe disposerait de 200 000 missiles, dont beaucoup sont des missiles guidés de grande précision. Est-ce que quelqu’un sait comment le groupe exploite son arsenal? Peut-il tirer simultanément les missiles, submergeant ainsi le système de défense israélien du Dôme de fer? Quelle est la portée des missiles du Hezbollah? Peuvent-ils atteindre Haïfa ou Tel-Aviv? Personne ne le sait vraiment.
Mener une guerre serait très risqué, surtout si l’Iran dotait le Hezbollah de ses défenses aériennes. Jusqu’à présent, l’Iran a conservé son système de défense aérienne sur son propre territoire. Cependant, à la fin de l’année dernière, des informations ont commencé à apparaître selon lesquelles l’Iran prévoyait de fournir son système de missiles de défense aérienne avancé à moyenne et haute altitude Khordad-15 à ses mandataires en Syrie et au Liban. Si cela s’avère aussi efficace que l’Iran le prétend, cela changerait la donne de l’ensemble du combat potentiel avec Israël. Une chose est sûre: pour l’Iran, le Hezbollah constitue sa première ligne de défense contre Israël. Protéger le Hezbollah, c’est protéger l’Iran. Téhéran mobilisera le Hezbollah en cas d’attaque et utilisera également toutes ses capacités pour protéger le groupe.
Une guerre contre le Liban ne serait certainement pas de tout repos. Ce que tout observateur peut déduire, c’est que le Hezbollah ne veut pas la guerre. Cependant, les parties entrent généralement en guerre non pas parce qu’elles le souhaitent ou parce que c’est dans leur intérêt de le faire, mais parce qu’elles n’ont pas d’autre choix.
Il est très peu probable qu’une offensive contre le Liban élimine définitivement la menace posée par le Hezbollah.
Dr Dania Koleilat Khatib
L’Iran ne voudra pas voir sa principale force de dissuasion détruite. Il mobilisera ses forces. Le rapport sur le transfert de son système de défense aérienne montre que l’Iran n’épargnera aucun outil pour défendre le groupe. Les États-Unis devraient donc veiller à apprivoiser Israël. Jusqu’à présent, Israël semble ébranlé. Malgré les appels à ne pas entrer dans Rafah, Tel-Aviv a fait abstraction des injonctions des États-Unis et mène désormais une attaque. La semaine dernière, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a réprimandé sans ambages le président américain, Joe Biden, et a déclaré qu’Israël mènerait l’incursion avec ou sans la bénédiction des États-Unis.
Une guerre régionale ne serait certainement pas bénéfique pour Biden lors de la prochaine élection présidentielle. Un récent sondage mené par The New York Times montre que Biden est à la traîne derrière Trump dans cinq États clés. En effet, les électeurs jeunes et non blancs ne sont nullement satisfaits de l’économie et de sa gestion de la guerre à Gaza. Par conséquent, les États-Unis devraient contraindre Israël à arrêter la guerre, ou au moins à empêcher une offensive contre le Liban. Une attaque contre le Liban conduirait à une guerre régionale et n’éradiquerait pas le Hezbollah. C’est à peine si cela accorderait à Israël cinq à dix ans de tranquillité d’esprit. Après une offensive israélienne, le groupe pourrait être occupé à se reconstituer et à gérer ses divisions internes, mais il ne disparaîtrait pas.
Par conséquent, une offensive contre le Liban entraînerait des conséquences graves sur la région et les États-Unis. Dans le même temps, il est très peu probable qu’elle parvienne à éliminer définitivement la menace posée par le Hezbollah.
Les États-Unis devraient faire de leur mieux pour contenir la situation. Jusqu’à présent, au-delà des discours, les États-Unis ne freinent pas vraiment Netanyahou. S’ils sont incapables de l’empêcher d’entrer à Rafah, où la population civile est concentrée et n’a nulle part où aller, seraient-ils disposés et capables de l’empêcher d’entrer au Liban? Peut-être pas. Cependant, l’enjeu est très important pour les États-Unis et pour Biden à titre personnel.
Les États-Unis devraient inviter un État fort à constituer le noyau de toute zone tampon entre le Liban et Israël.
Dr Dania Koleilat Khatib
Même si les États-Unis et leurs alliés régionaux ne veulent pas que la guerre s’étende au Liban, ils ne veulent pas donner la victoire à l’Iran. Ils ne veulent absolument pas voir le Hamas ou le Hezbollah en sortir victorieux. D’autre part, les Israéliens pourraient dire qu’ils ont besoin d’avoir la garantie que ce qui s’est passé le 7 octobre ne se reproduira jamais à leur frontière nord. À cet égard, les États-Unis devraient travailler dur pour s’assurer qu’il existe entre Israël et le Hezbollah une zone tampon solide qui ne peut être rompue et qui restreindra la liberté du groupe d’opérer dans le sud du Liban, tout en contenant Israël.
Il faudrait peut-être se souvenir du modèle du Kosovo. Le Kosovo a réussi parce qu’il disposait d’un État fort et prêt à se déployer: les États-Unis. Par conséquent, personne ne voulait s’en prendre aux Américains. Les États-Unis devraient inviter un État fort à constituer le noyau de toute zone tampon entre le Liban et Israël. Il serait également le garant de la sécurité, ce qui contraindrait le Hezbollah à se garder d’utiliser ses armes et empêcherait Israël d’attaquer le Liban ou de violer son espace aérien.
Les risques sont trop élevés et le dispositif actuel, dirigé par la Force intérimaire des nations unies au Liban (Finul), n’est pas suffisant. Si quelque chose en venait à briser le statu quo, qui en serait tenu responsable? L’ONU? Les observateurs individuels? La mission de l’ONU ne peut à elle seule garantir que les deux parties respectent la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU. Il faut un garant de sécurité.
J’ai suggéré dans un article précédent que la Turquie pourrait jouer ce rôle. Cela contribuerait également à équilibrer l’influence iranienne. En un mot, les États-Unis devraient s’assurer d’imposer une zone tampon qui élimine la possibilité d’une guerre contre le Liban. Encore une fois, si une guerre était lancée contre le Liban, ce ne serait pas seulement l’avenir du Liban qui serait en jeu, mais celui de toute la région.
Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com