La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est rendue au Liban avec le président chypriote la semaine dernière. L’Union européenne (UE) a proposé au pays un milliard d’euros à décaisser jusqu’en 2027. Même si cette contribution est censée aider le Liban, elle a pour objectif, en réalité, d’acheter l’accord de ses dirigeants pour garder 1,5 million de réfugiés syriens dans le pays.
La classe politique libanaise est très habile lorsqu’il s’agit d’utiliser la question des réfugiés pour faire chanter la communauté internationale et lui soutirer des fonds. Elle se trouve au pied du mur. Le pays n’a pas pu rembourser sa dette en mars 2020, ce qui signifie qu’il ne peut plus émettre d’obligations afin de financer ses dépenses. Le système de collecte d’impôts est plein de lacunes. Les maigres impôts ne peuvent pas couvrir les dépenses publiques. Bien entendu, la classe politique n’est pas disposée à mener des réformes étant donné qu’elle prospère grâce à la corruption et au clientélisme. Il ne reste plus qu’à faire chanter la communauté internationale; la classe politique libanaise maîtrise cet art.
Chaque fois qu’ils ont besoin d’argent, ces dirigeants libanais incitent à la haine contre les réfugiés. Ils multiplient les mesures de sécurité abusives contre eux, et développent leur discours public. Plus ils exercent une pression sur les réfugiés, plus ces derniers tentent de quitter le pays. Étant donné que le retour en Syrie est impossible, la seule issue est de traverser la Méditerranée. Il s’agit d’une menace pour l’Europe. C’est pour cette raison que les Européens cèdent devant la classe politique et qu’ils renoncent à leurs exigences de réformes en échange de fonds et de subventions.
Ce que les Européens ne comprennent pas, cependant, c’est que, loin de résoudre le problème, ils l’aggravent en alimentant le comportement prédateur de la classe politique. Ils optent pour la solution de facilité. La solution qu’ils proposent n’est que temporaire et ne fera qu’aggraver le problème à l’avenir. Si le chantage fonctionne, la classe politique y aura recours chaque fois qu’elle aura besoin d’une nouvelle injection d’argent.
«Loin de résoudre le problème, les Européens l’aggravent en alimentant le comportement prédateur de la classe politique.»
- Dr Dania Koleilat Khatib
En donnant de l’argent à la classe politique libanaise, l’Europe n’aide ni les Libanais ni les Syriens. Les Libanais ont besoin de la communauté internationale pour les aider à se débarrasser de la classe politique corrompue. Mais l’injection de liquidités lui servira de bouée de sauvetage et permettra à la classe politique d’éviter de mettre en place des réformes. D’un autre côté, maintenir les Syriens au Liban n’est pas une solution au problème syrien. La solution au problème syrien consiste à faire pression sur le gouvernement Al-Assad pour qu’il fasse des concessions et autorise le retour des réfugiés.
Jusqu’à présent, Al-Assad a subtilement utilisé ses alliés au sein de la classe politique libanaise pour faire pression sur la communauté internationale. Jamil al-Sayyed, une personnalité politique prosyrienne, a attaqué la classe politique pour avoir accepté l’argent de l’UE en échange du maintien des réfugiés au Liban. Il a déclaré que, au lieu de prendre l’argent, le gouvernement libanais aurait dû faire pression sur les Européens afin qu’ils rétablissent leurs relations avec Bachar al-Assad. C’est le mantra du camp politique prosyrien, mieux connu sous le nom de «moumanaa». Il utilise les réfugiés comme moyen de pression sur la communauté internationale au nom d’Al-Assad. Il alterne entre cette technique et l’utilisation des réfugiés pour obtenir de l’argent.
Même si les Européens sont conscients qu’ils font l’objet d’un chantage, le spectre de l’immigration clandestine plane. Selon le ministère chypriote de l’Intérieur, entre le 1er janvier et le 4 avril, 2 140 migrants sont arrivés sur l’île par bateau, contre 78 à la même période en 2023. La grande majorité d’entre eux étaient des Syriens venus du Liban. Si cette tendance se poursuit, elle constituera une menace pour l’Europe.
L’Europe ne peut plus accueillir de nouveaux réfugiés. Elle est submergée par ceux qui ont fui l’Ukraine. Au fardeau économique s’ajoute l’aspect culturel de la migration. En 2015, l’afflux de Syriens a entraîné une vague de gains électoraux pour les partis d’extrême droite. Une telle migration remet même en question le projet européen.
Lors de sa visite la semaine dernière, Najib Mikati, le Premier ministre par intérim du Liban, a de nouveau avancé l’argument pro-Assad en affirmant que les Syriens avaient fui leur pays pour des raisons économiques. Ce n’est pas vrai, car les réfugiés sont partis principalement en raison de la situation sécuritaire ainsi que des massacres d’Al-Assad et de ses alliés. Le président syrien utilise également les réfugiés comme carte de négociation avec la communauté internationale et arabe et n’a pas réellement l’intention de les autoriser à revenir. Même la normalisation arabe de l’année dernière avec Al-Assad n’a pas entraîné un retour des réfugiés.
«Même si les Européens sont conscients qu’ils font l’objet d’un chantage, le spectre de l'immigration clandestine plane.»
- Dr Dania Koleilat Khatib
Les Européens tentent de nouveau de panser hâtivement une blessure profonde qui nécessite une intervention chirurgicale. Ils ne veulent pas s’attaquer correctement au problème Al-Assad et tentent simplement de contenir, tant bien que mal, les retombées. Face au soutien de l’Iran et de la Russie, la communauté internationale n’a pas réussi à renverser Al-Assad. Par ailleurs, le président syrien ne fait preuve d’aucune flexibilité: il n’est disposé à faire aucune concession pour être accepté et réintégré dans la communauté internationale. En conséquence, la communauté internationale essaie simplement d’accueillir les réfugiés indéfiniment, sans véritable plan pour leur avenir.
Les réfugiés sont un bouc émissaire commode pour la classe politique libanaise. Cette dernière les accuse de toutes les calamités auxquelles le pays se trouve confronté. Elle continue d’exagérer le coût des réfugiés pour l’économie libanaise. Elle omet de mentionner que les allocations que les réfugiés reçoivent de l’Agence des nations unies pour les réfugiés sont injectées dans l’économie libanaise. Elle oublie de dire que le soutien que le Liban reçoit pour ses écoles publiques est assuré par l’Europe, puisque la communauté internationale souhaite maintenir les enfants réfugiés dans les écoles. Ainsi, l’enseignant libanais reçoit un salaire parce que les enfants réfugiés syriens apprennent dans les écoles publiques aux côtés d’élèves libanais.
Il existe un consensus selon lequel les réfugiés sont un fardeau pour le pays et ses infrastructures en ruine, avec une main-d’œuvre syrienne en concurrence avec les Libanais sur un marché limité en pleine crise financière. Toutefois, les dirigeants politiques libanais ne cherchent nullement à résoudre le problème. Au contraire, ils veulent en tirer profit.
Certes, pour l’Europe, l’immigration constitue un danger manifeste et imminent, mais ses dirigeants devraient reconnaître que, en cédant aux exigences des dirigeants politiques libanais, ils ne font que s’exposer à davantage de chantage. Toute aide au Liban, indépendamment de la présence de réfugiés, devrait être subordonnée à des réformes tangibles.
Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com