Les manifestations propalestiniennes de longue durée, organisées dans certaines des universités les plus prestigieuses des États-Unis, notamment à Yale, Columbia et Princeton, ont cédé la place à des sit-in de masse et à des demandes d’arrêt des investissements en Israël et de la fabrication d’armes. Les manifestants à Columbia ont déclaré: «Nous n’abdiquerons que lorsque Columbia se désengagera de l’apartheid israélien et que les Palestiniens, ainsi que tous les peuples opprimés du monde entier, seront libres.»
Des centaines d’étudiants et d’universitaires ont été arrêtés au sein des campus à travers les États-Unis pour avoir exercé pacifiquement leurs libertés démocratiques. Des policiers de l’État en tenue antiémeute ont envahi l’université du Texas, arrêtant des dizaines de personnes sur ordre du gouverneur d’extrême droite Greg Abbott, qui a déclaré: «Ces manifestants ont leur place en prison.» Une purge policière contre le «campement de solidarité avec Gaza» de l’université de Columbia, le 18 avril, a inspiré une multitude de sit-in ailleurs. «L’ironie est que, en essayant de calmer la situation et d’affirmer son contrôle sur le camp, l’administration a déclenché cette tempête», a fait remarquer un professeur. Des manifestations parallèles ont vu le jour en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Autriche, au Canada et ailleurs.
La passion de ces étudiants et l’incidence de leurs manifestations ont poussé le Premier ministre déconcerté, Benjamin Netanyahou, à prendre une brève pause dans son projet de massacre et à dénoncer avec colère les manifestations qui, selon lui, «rappellent ce qui s’est passé au sein des universités allemandes dans les années 1930». Le sénateur américain Bernie Sanders, qui est juif, a fermement répliqué: «N’insultez pas l’intelligence du peuple américain en essayant de nous distraire des politiques immorales et illégales de votre gouvernement extrémiste et raciste. […] Il n’est pas antisémite de vous tenir pour responsable de vos actions.»
Les commentateurs des médias ont tourné les étudiants en dérision, adoptant une attitude condescendante à leur égard, les qualifiant de naïfs et considérant que leurs opinions politiques étaient façonnées par TikTok. D’autres ont décrit, avec désinvolture, les manifestations comme des façades pour les «islamistes radicaux». Mais ces étudiants des grandes universités américaines se distinguent par une intelligence excessive. Leurs opinions à l’égard de la Palestine sont façonnées par un débat intense et consciencieux. Alors que le nombre de Palestiniens morts à Gaza avoisine les 40 000 morts, la vraie question est de savoir pourquoi tout le monde ne manifeste pas.
Lorsque j’étais lycéenne puis étudiante à l’université à Beyrouth, j’ai vécu des moments déterminants et stimulants en protestant en faveur de causes mondiales: j’ai probablement passé plus de temps à marcher dans les rues que dans les salles de cours. La participation à ces événements a consolidé mon point de vue sur l’importance de la liberté d’expression, nous plaçant avec assurance du bon côté de l’histoire. Les étudiants ont peut-être une compréhension évolutive de la politique mondiale, mais ils possèdent habituellement une boussole morale d’une précision enviable pour distinguer le bien du mal. La capacité des étudiants à exploiter la technologie et les réseaux sociaux afin de mobiliser et de diffuser leur message déconcerte les réactionnaires qui cherchent à les faire taire.
La droite dénonce les manifestations et les qualifie d’antisémites, mais cela consiste à faire abstraction de l’importante communauté juive au sein de ces mouvements de protestation. L’intimidation des étudiants juifs et musulmans est malheureusement fréquente, mais il existe d’innombrables exemples d’étudiants qui bannissent ceux qui utilisent des slogans antisémites et d’innombrables exemples d’agitateurs pro-israéliens qui provoquent violence et perturbations. À l’université Northeastern de Boston, les médias ont largement rapporté le slogan «Tuez les Juifs» fréquemment scandé – jusqu’à ce que des preuves vidéo montrent que ces propos offensants émanaient de provocateurs pro-israéliens cherchant à galvaniser la foule.
«On assiste, partout dans le monde, à une bataille du bien contre le mal et de la justice contre l’injustice, alors que les étudiants, les travailleurs, les avocats, les éducateurs et les fonctionnaires redécouvrent l’engagement politique.»
Baria Alamuddin
Les observateurs estiment que le militantisme étudiant n’améliorera probablement rien à Gaza, mais les historiens affirment que ces manifestations comptent parmi les plus importantes des temps modernes. Elles sont comparables au mouvement des droits civiques et à l’activisme étudiant des années 1960. Les manifestations menées par les étudiants ont secoué la planète, de la place Tian’anmen au monde arabe et de l’Amérique latine à l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid. Personne ne devrait considérer que ces manifestations sont sans importance.
Yale, Harvard et Columbia servent de médiateurs pour atteindre les plus hauts niveaux de la politique américaine, de la fonction publique, des affaires et du milieu juridique. Les militants de ces universités mondiales de premier plan seront les élites de demain. Si ces élites étaient auparavant définies par des sentiments instinctifs pro-israéliens, à quoi devrions-nous nous attendre lorsque les vétérans du mouvement de protestation propalestinien de 2024 envahiront les plus hauts niveaux de direction, dans une société plus large horrifiée par le mépris flagrant des règles de la guerre par Israël? L’aile progressiste du Parti démocrate se définit par son affiliation propalestinienne, avec des personnalités qui s’expriment ouvertement comme Pramila Jayapal, Alexandria Ocasio-Cortez, Cori Bush et Rashida Tlaib. Dans une Amérique de plus en plus diversifiée, elles représentent l’avenir de la politique américaine.
Sept mois après le début du conflit à Gaza, des centaines de milliers de manifestants continuent de remplir les rues de Londres, de Paris, de New York et d’ailleurs. Bien que les libertés inscrites dans la Constitution soient un principe central des démocraties européennes, les politiciens de droite ont cherché à agir contre ce qu’ils qualifient de «marches de la haine». Mais le droit de manifester doit être garanti pour tous, y compris pour les voix pro-israéliennes. Nancy Pelosi a fait remarquer la semaine dernière que les manifestations sur les campus étaient un mode de vie aux États-Unis et qu’il était tout à fait justifié de s’opposer au massacre à Gaza: «Ce qui se passe à Gaza remet en question la conscience du monde», a-t-elle déclaré.
Les intérêts particuliers, les voix partisanes et les élites bien établies ont toujours détesté les protestations étudiantes parce qu’elles concernent directement ce qui est bien et ce qui ne l’est pas – des jeunes passionnés qui agissent selon leur conscience, court-circuitent les désirs commodes pour étouffer les cris des peuples opprimés. La justice et les droits de l’homme sont universels et ne peuvent être monopolisés par une seule partie dans un conflit.
On assiste, partout dans le monde, à une bataille du bien contre le mal et de la justice contre l’injustice, alors que les étudiants, les travailleurs, les avocats, les éducateurs et les fonctionnaires redécouvrent l’engagement politique. Après des décennies au cours desquelles les étudiants ont souvent été accusés d’être apathiques et apolitiques, nous pouvons être profondément fiers de cette génération – nos dirigeants de demain –, alors qu’ils risquent l’arrestation, l’inscription sur liste noire et l’expulsion du monde universitaire pour défendre les droits et l’humanité de ceux qui sont confrontés au génocide, à l’oppression et à l’injustice.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com