Affirmer qu’un mal-être absolu s’est emparé de la société israélienne serait un euphémisme, à la lumière des profondes divisions et de la fragmentation qui y règnent. Il s’agit probablement de la plus grande menace à laquelle Israël fait actuellement face, en grande partie cyniquement orchestrée par le Premier ministre, Benjamin Netanyahou.
Cela peut sembler comme un argument incertain, quinze jours seulement après que l’Iran a lancé trois cent cinquante drones et missiles sur Israël, alors que la guerre à Gaza n’est pas terminée et que les hostilités avec le Hezbollah à la frontière libanaise n’ont fait que s’intensifier – mais permettez-moi de m’expliquer. Ces conflits montrent que l’expérience israélienne en matière de construction d’un État et d’une nation se trouve face à un chemin semé d’embûches.
Les guerres ont tendance à estomper les différences au sein de la société et, peu de temps après le 7 octobre, la société israélienne s’est rassemblée, en partie à cause du choc et du traumatisme, mais aussi parce que la nécessité de réagir exigeait que les habitants mettent de côté leurs différences. Cependant, il s’est vite avéré que les personnes au pouvoir qui avaient provoqué cette calamité, en particulier le Premier ministre, refusaient avec arrogance d’assumer leurs responsabilités. Et, au fil du temps, ils ont commencé à faire porter avec audace, aux forces libérales et progressistes qu’ils appellent commodément et de manière désobligeante la «gauche» (synonyme de «traîtres» pour la droite israélienne), la responsabilité du manque de préparation à la guerre du pays.
Cela signifie que les lignes de démarcation étaient clairement définies entre les défenseurs d’Israël en tant que démocratie libérale et ceux de l’actuel gouvernement de coalition qui sont déterminés à ce que le pays devienne une démocratie uniquement sur papier, mais qu’il vive par l’épée à jamais.
«L’unité d’Israël a été être de courte durée et suivie de critiques généralisées, voire de colère, face aux échecs du gouvernement.»
- Yossi Mekelberg
L’intensité des événements des six derniers mois aurait pu rapidement effacer le souvenir des mois qui ont précédé le 7 octobre, lorsque de grandes manifestations avaient lieu régulièrement en Israël. Ces manifestations ont incité les forces progressistes et libérales à résister aux tentatives du sixième – et espérons-le, dernier – gouvernement de Netanyahou nouvellement formé et composé de certains des éléments les plus ultranationalistes, messianiques et religieux de la politique israélienne d’affaiblir l’indépendance du pouvoir judiciaire pour que le gouvernement et ses activités ne soient pas soumis à son contrôle.
Il s’agissait d’une attaque manifeste contre les principes d’équilibre et de séparation des pouvoirs, qui sont les piliers de toute démocratie libérale. Lorsque les membres de la coalition à la Knesset et au Cabinet ont été mis en garde contre ces actions répréhensibles, qui légitiment la mauvaise gouvernance et la corruption et tournent en dérision le principe d’un gouvernement responsable, ils ont ignoré cette situation. Au lieu de cela, ils se sont lancés dans des attaques venimeuses contre leurs détracteurs et ils ont de plus en plus déchaîné la violence policière contre les manifestants.
Dans son ignorance et son sectarisme, ce gouvernement de coalition refuse de comprendre que, sans un système judiciaire indépendant, Israël en tant qu’État, les hommes politiques et les membres des forces de sécurité auraient depuis longtemps comparu devant les tribunaux internationaux pour les actes qu’ils ont commis dans les territoires occupés après 1967.
Aux premiers jours de la guerre actuelle, Israël était uni dans le chagrin et la détermination de s’en prendre au Hamas. Mais le chagrin est une émotion puissante qui, à cette occasion, a conduit à un désir de vengeance écrasant et destructeur, qui a déformé la pensée stratégique et a par conséquent infligé des massacres et des destructions aveugles à Gaza.
L’unité d’Israël a été de courte durée, suivie par ailleurs de critiques généralisées, voire de colère, face à l’incapacité du gouvernement à empêcher l’attaque du Hamas et à ne pas donner la priorité à la libération des otages. De manière constante, les sondages indiquent désormais que les électeurs aspirent à un nouveau leadership, même si cela ne signifie pas un déplacement du soutien vers la gauche ou vers le camp de la paix; en réalité, nombreux sont ceux qui seraient favorables à une évolution dans la direction opposée.
Chaque jour qui passe est une preuve supplémentaire que le gouvernement actuel fourmille de ministres égoïstes et corrompus, pour ne pas dire incompétents. Ainsi, malgré la poursuite de la guerre à Gaza et le danger toujours présent d’une escalade des affrontements avec l’Iran et ses mandataires, les manifestations ont repris dans les rues.
«Les tentatives désespérées de Benjamin Netanyahou de s’accrocher au pouvoir au moins pendant la durée de son procès pour corruption éclipsent toute autre considération.»
- Yossi Mekelberg
Cette fois, le thème fédérateur est d’exiger la libération des otages et que le gouvernement assume la responsabilité des six pires mois de l’Histoire du pays et démissionne, malgré la volonté de M. Netanyahou de prolonger le mandat de cette Knesset jusqu’à fin 2026. Ses tentatives désespérées de s’accrocher au pouvoir au moins pendant la durée de son procès pour corruption éclipsent toute autre considération. Pour y parvenir, lui et ses partisans sont prêts à intimider les témoins et les procureurs, à attaquer les manifestants – y compris les membres des familles des otages – à la fois verbalement et physiquement et à prolonger la guerre, tout en affirmant qu’il n’y a pas de temps pour organiser des élections ou mener une enquête sur les échecs du 7 octobre alors que le pays est plongé dans un conflit sur plusieurs fronts.
Mais rien n’est moins vrai. De nouvelles élections et la création d’une commission d’État chargée d’enquêter sur les échecs du 7 octobre, qui ont fait mille deux cents morts et deux cent cinquante otages, sont des mesures vitales qu’Israël doit prendre pour entamer son processus de rétablissement et se libérer du misérable gouvernement actuel. Les manifestants exigent, à juste titre, la vérité et la responsabilisation.
Et il convient de rappeler que, le mois dernier, l’actuel Premier ministre a été reconnu par une commission d’État, avec d’autres hauts membres de son gouvernement de l’époque, comme étant personnellement responsable de la catastrophe du mont Méron en 2021, qui a coûté la vie à quarante-cinq hommes et enfants lors d’une célébration religieuse publique. Inutile de dire que Benjamin Netanyahou ne s’est ni excusé ni engagé à en porter la responsabilité. Au lieu de cela, il tentait de persuader l’État de financer la rénovation de la piscine de sa maison privée ou, dans sa lâcheté, se cachait la nuit de la récente attaque iranienne dans le bunker de son ami milliardaire. Dans le même temps, la plupart des Israéliens n’ont accès à aucun abri contre les missiles et les drones.
Cependant, la démonstration la plus puissante de la faillite morale de son gouvernement et de son incapacité à atteindre les objectifs qu’il s’est fixés est l’attaque sans scrupules contre les familles des otages. S’il y a une cause qui unit ceux qui s’opposent à ce gouvernement, quelles que soient leurs convictions politiques, c’est la profonde conviction qu’Israël aurait dû être inébranlable dans son engagement en faveur de la libération des otages.
Dans cette épreuve décisive de l’alliance entre un peuple et son gouvernement, ce dernier a échoué, délibérément et cyniquement. C’est pour cette raison, et pour presque tout le reste, que les citoyens ordinaires en Israël ne peuvent pardonner à M. Netanyahou et à son gouvernement et exigent leur démission.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House.
X: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com