J'ai écrit de nombreux articles sur le couloir iranien vers la Méditerranée qui traverse les territoires irakiens et syriens. Il s’agit d’un ancien projet iranien à travers lequel le régime cherche à étendre son influence, son contrôle et ses gains tout au long d’une route qui relie l'Iran aux pays méditerranéens du Levant et de la région environnante.
Les efforts que fait l’Iran pour menacer les intérêts commerciaux des États arabes en tirant parti de son alliance avec la Chine renforcent ce projet malveillant. En effet, l’Iran tente de convaincre Pékin de modifier le tracé initial de la nouvelle Route de la soie et de détourner une partie importante de son parcours afin qu'il traverse l'Iran plutôt que de passer par la péninsule Arabique. La Chine a déjà versé une somme énorme pour financer sur le long terme son projet d'investissement iranien, selon les termes de l'accord de partenariat irano-chinois.
Si Pékin n'a pas confirmé ce fait, elle ne l'a pas nié pour autant. Ce projet n'échappe pas au domaine des possibles, et pour deux raisons. Premièrement, la politique pragmatique de Pékin, notamment en ce qui concerne ses intérêts économiques, s’allie à sa volonté de diriger l’économie mondiale à l’avenir, en particulier en ce qui concerne le commerce via les lignes de chemin de fer à grande vitesse qui relient la Chine au reste du monde. L'Iran et l'Irak possèdent à l’heure actuelle des réseaux ferroviaires qui nécessitent clairement d’être développés et reliés à un réseau ferroviaire plus large, et la Chine dispose des fonds nécessaires pour que cela se produise.
Deuxièmement, le régime iranien a pris des mesures pratiques pour s’étendre dans des pays riverains de la Méditerranée, qui l’ont conduit à réaliser de multiples gains au cours des dernières décennies. Les experts iraniens ont évoqué publiquement ce projet expansionniste dans les médias locaux, usant d’euphémismes tels que «les gains de la politique de résistance iranienne», et insistant sur le droit incontesté que possèderait l'Iran pour mener des projets de reconstruction qui, en Syrie, s’élèvent à 400 milliards de dollars (cela pour reconstruire une bonne partie de ce que Damas a détruit avec le soutien de l'Iran). Nous mettrons ici davantage l'accent sur la clarification des projets iraniens, sur les étapes qu'ils ont franchies, ainsi que sur la responsabilité arabe, pleine de promesses, qui garantira le fait que la région ne succombe pas à ces projets.
Ce projet expansionniste du régime iranien a commencé par une politique d’établissement et de déploiement de mandataires en Irak, en Syrie et au Liban à une échelle intensive après la chute du régime de Saddam Hussein en 2003. Le régime a accéléré cette politique à l’issue du prétendu «printemps arabe» d’après 2010. Si le régime des Frères musulmans n'avait pas été renversé en Égypte, l'Iran se serait également emparé de ce pays comme une base afin d’étendre son influence à travers l'Afrique du Nord.
Après avoir réussi à ancrer ses ailes militaires alliées tout au long du couloir transrégional, le régime iranien a commencé sa phase de récolte, tirant profit des vols et de l’exploitation des ressources naturelles de la Syrie. En outre, il a ouvert des sociétés commerciales à destination d’entreprises liées au Corps des gardiens de la révolution islamique sous couvert de «reconstruction». Enfin, l'Iran a répété le scénario syrien en Irak, inondant le marché irakien de produits iraniens de qualité inférieure et utilisant la dette comme levier pour faire pression sur le gouvernement irakien afin qu'il importe du gaz et de l'électricité iraniens.
Une fois que l'Iran s'est assuré que ses projets portaient leurs fruits, il a annoncé à la fin de 2019 que le port de l'imam Khomeini, situé au sud de l'Iran sur le golfe Persique, serait en relation avec le port syrien de Lattaquié, qui se trouve sur la Méditerranée. Cela a coïncidé avec le lancement d’un projet visant à relier la ville iranienne de Shalamcheh à Bassorah en Irak, rattachant ainsi l’Iran au vaste réseau ferroviaire irakien. Ce projet permet d’augmenter encore les exportations iraniennes vers l'Irak et d'autres pays dans ce qu'on appelle le «commerce de transit» vers la Syrie et le Liban. En outre, il contribuera potentiellement à ouvrir de nouveaux marchés dans les pays arabes et européens du pourtour méditerranéen et pourra même mener à des visas touristiques gratuits entre ces pays afin de maximiser le commerce et le tourisme.
En plus de réaliser des gains économiques grâce aux projets d’interconnexion des chemins de fer, le régime iranien a des objectifs à long terme bien plus importants et plus dangereux. Les wagons des trains, compte tenu des centaines de passagers qu'ils rassemblent en un seul endroit, ressemblent à une micro-communauté. Cette dernière favorise, au fil du temps, les échanges culturels, intellectuels et même linguistiques qui servent les objectifs expansionnistes du régime iranien, comme l'exportation de ses principes révolutionnaires et idéologiques sectaires et totalitaires dans d'autres pays, ce qui rend bien plus difficile de s'y opposer plus tard.
Cependant, les projets d’interconnexion des chemins de fer du régime iranien se sont développés lentement en raison des sanctions américaines sévères qui ont conduit à des crises financières et économiques paralysantes dans le pays. Ces plans nécessitent d’urgence une aide financière et technique, ce qui ouvre toute grande la porte à une coopération de la Chine avec l'Iran.
Il ne fait aucun doute que le rapprochement irano-chinois s’est intensifié ces dernières années et que la Chine reste le principal partenaire commercial de l’Iran. Cela ne signifie pas pour autant que ce rapprochement est éternel et irréversible. Pékin cherche à réaliser des gains économiques importants en encourageant une plus grande coopération internationale. Cet enthousiasme chinois pour la coopération économique signifie que la porte est également ouverte à de nombreux États arabes afin de profiter de la sensibilisation chinoise. Ces derniers peuvent, d’une part, maximiser leurs intérêts communs avec Pékin et, d’autre part, contrer les stratagèmes iraniens malveillants, qui cherchent à marginaliser leur rôle et leurs intérêts vitaux.
En plus de réaliser des gains économiques grâce aux projets d’interconnexion des chemins de fer, le régime iranien a des objectifs à long terme bien plus importants et plus dangereux.
Dr Mohammed Al-Sulami
La péninsule Arabique était un maillon essentiel de la Route de la soie d'origine, qui partait de Gerrha (l'actuelle ville saoudienne orientale d'Al-Hofuf) et rejoignait Oman et le Yémen à travers La Mecque et Médine, ainsi que les villes situées sur la côte ouest du Royaume comme Djeddah, et même Alexandrie en Égypte.
Voici une considération qui autorise un optimisme prudent sur cette question: les États arabes ont déjà pris des mesures pratiques pour contrer les stratagèmes malveillants du régime iranien. En 2019, en effet, l'Arabie saoudite a signé un accord historique ayant pour objectif d’exporter de l'électricité vers l'Irak – un besoin irakien prioritaire dont l'Iran tire profit. Et, au mois de novembre, le Royaume a rouvert le passage frontalier d'Arar entre les deux pays. Il s’agit d’un passage vital pour le commerce entre tous les États du Golfe et l'Irak, y compris la Syrie à l'avenir.
L'Égypte a également signé le mois dernier un accord similaire pour exporter de l'électricité vers l'Irak, ainsi qu'un accord clé pour l'intégration industrielle et commerciale avec ce pays. Cela affaiblira le contrôle de l’Iran sur les secteurs pharmaceutique et pétrochimique de l’Irak, ainsi que sa monopolisation des infrastructures et des projets de reconstruction irakiens.
La poursuite de ces importantes initiatives arabes, ainsi que la coordination continue avec Pékin pour renforcer les intérêts communs, pourraient être une garantie suffisante pour maximiser les intérêts entre les Arabes et contrecarrer les projets iraniens attendus, qui visent à nuire aux intérêts arabes et à écraser les âmes arabes.
Le Dr Mohammed al-Sulami est à la tête de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).
Twitter: @mohalsulami
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com