La droite israélienne blâme la gauche pour tout, y compris pour le 7 octobre

Sans que l’on puisse en entrevoir la fin, il est devenu évident que la guerre actuelle à Gaza déchire la société israélienne (Photo, AFP).
Sans que l’on puisse en entrevoir la fin, il est devenu évident que la guerre actuelle à Gaza déchire la société israélienne (Photo, AFP).
Short Url
Publié le Vendredi 01 mars 2024

La droite israélienne blâme la gauche pour tout, y compris pour le 7 octobre

La droite israélienne blâme la gauche pour tout, y compris pour le 7 octobre
  • Pour Benjamin Netanyahou et ses alliés, plus rien n'est sacré, et entre eux, la motivation est soit de rester au pouvoir, soit d'utiliser la guerre comme tremplin pour appliquer l’idéologie religieuse de l'extrême droite la plus radicale
  • M. Netanyahou sera bientôt, et de façon inéluctable, contraint démocratiquement de quitter ses fonctions, mais son héritage de division sera beaucoup plus difficile à déraciner

Plus de quatre mois après le début de la guerre à Gaza, et sans que l’on puisse en entrevoir la fin, il est devenu évident que cette tragédie persistante déchire la société israélienne. 

On s’attendrait à ce qu’un pays en pleine guerre, en particulier après le choc et le traumatisme à la suite de l’attaque du Hamas le 7 octobre, s’unisse dans la douleur et dans une optique commune. Cela s’est produit durant une très brève période, mais les fissures ont ensuite commencé à apparaître, en grande partie dues au caractère discordant de l’actuel gouvernement de coalition. En tête de ceux qui gouvernent en créant des dissensions dans la société figure le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, qui cherche à servir ses propres intérêts, en conservant le pouvoir indéfiniment. 

Pour M. Netanyahou et ses alliés, plus rien n'est sacré, et entre eux, la motivation est soit de rester au pouvoir malgré leur échec monumental à empêcher le désastre que leur a infligé leHamas, soit d'utiliser la guerre comme tremplin pour appliquer l’idéologie religieuse de l'extrême droite la plus radicale, qui n’hésite pas à exiger qu’Israël occupe à nouveau Gaza en la repeuplant, tout en annexant également la Cisjordanie. 

Conserver le poste le plus puissant du pays permet à Benjamin Netanyahou de faire échouer plus facilement son procès pour corruption, en affaiblissant continuellement les juges. Sa soif de pouvoir concorde avec celle de ses partenaires de la coalition qui s’opposent idéologiquement à l’indépendance du pouvoir judiciaire, et méprisent l’idée d’une démocratie libérale chère aux esprits les plus progressistes. Aussi, ces derniers sont-ils devenus la cible d’accusations de ne pas être assez juifs, d’être généralement faibles et, dans leurs relations avec les Palestiniens, d’être soit naïfs, soit tout simplement traîtres. 

«Si cette tendance se poursuit, la violence politique, voire la guerre civile, deviendra du domaine du possible.» 

Yossi Mekelberg 

D’une façon éhontée, ce même gouvernement, qui n’a pas réussi à défendre ses citoyens lors de cette journée connue sous le nom de «sabbat noir», en rejette désormais la faute sur ceux qui ont manifesté en faveur de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il se retourne également contre les familles des otages qui exigent que le gouvernement conclue un accord avec leHamas pour la libération de leurs proches. Le gouvernement accuse ainsi les deux parties d'empêcher l'armée de mener à bien sa mission à Gaza. 

La guerre a fait ressortir le pire du chœur sans scrupules de la droite –son gouvernement et les médias qui lui sont fidèles– en attaquant frontalement les dirigeants des partis d’opposition, ainsi que ceux qui ont mené les manifestations en faveur de la démocratie. À un moment donné, un député du Likoud –oui, un député élu– a révélé sur X que le mari de l’une des personnes qui encadraient les manifestations, Shikma Bresler, était un haut responsable du Shin Bet (service de renseignement intérieur israélien), et en dépit de la loi qui l’interdit, a publié son nom. Sans fournir aucune preuve, le député a affirmé que quelques jours seulement avant l'attaque du Hamas, il s'était entretenu au téléphone avec Yahya Sinwar, le chef du Hamas àGaza, laissant entendre qu'il y avait une conspiration entre le Hamas et les forces de sécurité israéliennes pour permettre cette attaque, dans le seul but de renverser le gouvernement actuel. En d’autres termes, les accuser de trahison et les mettre, eux et leurs familles, en danger, en révélant leurs noms. 

En raison de ces incitations virulentes et constantes qui inondent les réseaux sociaux, il n’est pas surprenant qu’une enquête récente ait conclu qu’un juif israélien sur cinq pense que la gauche israélienne est responsable de l’échec à empêcher le Hamas de commettre des exactions contre les communautés le long de la frontière avec Gaza et qu’elle empêche également les forces armées israéliennes d'atteindre leurs objectifs. Si cette tendance se poursuit, la violence politique, voire la guerre civile, deviendra du domaine du possible. 

Les tentatives visant à délégitimer les forces sociales et politiques libérales-progressistes enIsraël ne sont pas nouvelles, sachant que depuis l’arrivée au pouvoir du Likoud en 1977, les extrémistes de droite n’ont pas non plus renoncé à la violence politique. Certes, les violences politiques réelles ont été sporadiques, même si en 1995 elles ont coûté la vie au Premier ministre, Yitzhak Rabin, assassiné par un membre de l'extrême droite qui a reconnu avoir commis cet acte pour mettre fin au processus de paix après la signature des accords d'Oslo. 

Mais si la violence politique n’est pas courante, les propos au vitriol de la pire espèce, l’intimidation et la volonté de délégitimer l’opposition ont atteint leur paroxysme depuis la formation du sixièmegouvernement Netanyahou, l’administration la plus ultranationaliste, messianique et religieuse de l’Histoire du pays, établie il y a un peu plus d’un an. Après une courte pause, à la suite du 7 octobre, elle a repris ce type de comportement avec encore plus de férocité. 

«Les propos au vitriol de la pire espèce, l’intimidation et la volonté de délégitimer l’opposition ont atteint leur paroxysme.» 

Yossi Mekelberg 

Il est indéniable que la diffusion et la rapidité de l’information grâce aux multiples chaînes de télévision et de radio, et en particulier aux réseaux sociaux, contribuent à rompre l’équilibre entre les faits et le mensonge, ainsi qu’entre les opinions bien étayées et argumentées et la pure propagande ayant un programme politique évident. M. Netanyahou a été l’un des premiers enIsraël à comprendre que contrôler les médias, ou au moins certains journalistes et rédacteurs en chef, et les rendre loyaux envers lui à n’importe quel prix, lui permettrait de contrôler le discours. Cette situation lui permet également de répandre des demi-vérités, voire de purs mensonges, pour autant qu’ils servent son discours, et lorsque cela est nécessaire, de se déchaîner contre les opposants politiques, le pouvoir judiciaire, de même que d’autres médias plus critiques. 

À titre d’exemple, contrôler le contenu du discours permet à Benjamin Netanyahou et à son gouvernement de promouvoir leur législation antidémocratique, et de la présenter de façon mensongère comme une réforme visant à améliorer la démocratie israélienne. Contrôler le contenu du discours lui permet de légitimer la version ultranationaliste et religieuse la plus méprisable du sionisme, dont les groupes violents de colons, de les faire entrer au cœur de son gouvernement et de décrire ce dernier comme le premier véritable gouvernement de droite à l’abri de toute influence étrangère. 

Contrôler le contenu du discours, c’est aussi rejeter sur l’opposition la responsabilité de l’échec total de M. Netanyahou à empêcher l’attaque meurtrière du Hamas, et à libérer les otages, ou à vaincre le Hamas, tout en présentant le Premier ministre comme irréprochable. Cela ne tient pas compte du fait que c'est lui qui a eu l'idée de permettre le transfert de grandes sommes d’argent au Hamas et, par ce biais, de renforcer le groupe. 

Chaque fois que Benjamin Netanyahou est dos au mur, il a recours à l’artifice le plus ancien et le plus sale du manuel de jeu de l’extrême droite: trouver un bouc émissaire sous la forme d’un ennemi fictif, tout en calomniant sans vergogne ses opposants politiques, et en remettant en question leur attachement envers le pays. M. Netanyahou sera bientôt, et de façon inéluctable, contraint démocratiquement de quitter ses fonctions, mais son héritage de division sera beaucoup plus difficile à déraciner. Cela menace le tissu déjà fragile de la société israélienne. 

Par conséquent, la tâche primordiale du prochain gouvernement sera de remédier à cette division, tout en œuvrant également pour la paix avec les Palestiniens, deux tâches titanesques, étroitement liées et tout aussi importantes.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord du groupe de réflexion sur les affaires internationales Chatham House. X: @YMekelberg    

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com