Poutine soufflera bientôt la deuxième bougie de «l’opération militaire spéciale»

La ville d’Avdiivka, dans la partie placée sous contrôle russe de la région de Donetsk, le 19 février 2024 (Photo, AFP).
La ville d’Avdiivka, dans la partie placée sous contrôle russe de la région de Donetsk, le 19 février 2024 (Photo, AFP).
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Publié le Dimanche 25 février 2024

Poutine soufflera bientôt la deuxième bougie de «l’opération militaire spéciale»

Poutine soufflera bientôt la deuxième bougie de «l’opération militaire spéciale»
  • Poutine a le droit de se réjouir parce qu’il est passé maître dans l’art de contourner les sanctions occidentales
  • Le maître du Kremlin, qui est aussi maître des missiles, devrait prendre conscience des capacités considérables de l’Occident

Les grands maîtres du métier nous ont appris à ne pas nous effondrer sous le poids de l’événement, à ne pas tirer de conclusions hâtives et à recontextualiser la scène en tenant compte de l’histoire et de la géographie. Nous devons prêter attention à l’esprit profond qui règne, à l’arsenal de haine et à la tentation de vengeance. C’est la raison pour laquelle nous ressentons une certaine anxiété face aux coups d’État et aux tremblements de terre.

Je faisais partie d’une délégation de presse peu après le déclenchement de la guerre Iran-Irak. Du côté iranien de la frontière, j’ai vu deux soldats irakiens escorter un vieil Iranien «vers un endroit sûr», de sa maison, où il se cachait. Le visage de cet homme montrait des signes de peur et d’humiliation et je me demandais comment l’Iran se vengerait lorsqu’il en aurait l’occasion.

Des décennies plus tard, le monde a vu le général Qassem Soleimani danser avec les milices irakiennes après le retrait des forces américaines qui avaient fait tomber le régime de Saddam Hussein.

J’étais également inquiet lorsque l’armée américaine a attaqué le régime de Saddam en se basant sur des informations selon lesquelles il entretenait des liens avec Al-Qaïda et possédait des armes de destruction massive. Certaines victoires portent en elles les signes de leur éventuel effondrement, surtout lorsque le parti qui détient un pouvoir considérable ne comprend pas ce qui se passe en marge de sa victoire.

J’ai par ailleurs ressenti une certaine anxiété à l’issue d’une réunion avec un responsable syrien, lorsque j’ai reçu un message qui m’annonçait que Rafic Hariri avait été assassiné à Beyrouth.

J’étais inquiet lorsque j’ai voyagé du Moyen-Orient pour assister à la chute du mur de Berlin. Ce n’était un secret pour personne que le mur était à la fois une frontière étatique et impériale. Les empires ne disparaissent généralement pas sans des fêtes sanglantes, même si elles sont retardées. Je ne savais pas ce jour-là qu’un jeune officier du KGB avait rapidement détruit ses documents près de l’endroit où il était en poste, à proximité du mur, avant de s’enfuir en Russie. Cet homme-là, c’était Vladimir Poutine.

Je me suis souvenu des leçons des grands maîtres en marchant dans la rue Arbat, à Moscou, sous Boris Eltsine. La vue des uniformes des officiers de l’Armée rouge exposés avec leurs médailles pour une poignée de dollars était cruelle et terrible. L’histoire est un professeur des plus sévères. La Russie panse ses blessures sous la neige puis se redresse pour provoquer un grand incendie. C’est bel et bien ce qui s’est passé.

Dans quelques jours, Poutine soufflera la 2e bougie de «l’opération militaire spéciale» qu’il a lancée le 24 février 2022 pour rectifier à la fois l’histoire et la géographie. Il a envoyé l’Armée rouge pour chasser les «nazis» en Ukraine, un pays qui, selon lui, n’aurait pas existé sans une erreur commise par Staline.

Après le départ des conseillers, il sera seul à célébrer. Le tsar est toujours seul. Il sourira de manière sarcastique. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a ordonné la semaine dernière à ses forces de se retirer de la ville d’Avdiivka face aux forces russes, après que l’aide et les munitions ont été retardées en raison des «guerres» qui font rage dans les couloirs du Congrès américain.

«La Russie panse ses blessures sous la neige puis se redresse pour provoquer un grand incendie. C’est bel et bien ce qui s’est passé.»

 

Ghassan Charbel

La position de Zelensky me rappelle une remarque faite par feu le président égyptien Hosni Moubarak à l’ancien ministre irakien des Affaires étrangères Hochyar Zebari selon laquelle «celui qui est couvert par les Américains est nu». Poutine pourrait dire la même chose à Zelensky.

Poutine a le droit d’être sarcastique. Les dirigeants occidentaux n’ont pas accepté qu’il ne puisse pas perdre… au point qu’il s’est rendu en Ukraine pour punir l’Occident tout entier et lancer un grand coup d’État contre un monde né de l’effondrement du mur et de la disparition de l’Union soviétique.

Il tournera sans doute également en dérision les «camarades» qui ont rapidement capitulé et ont permis à leurs pays de sauter facilement hors du train soviétique. Il se moquera également de ceux qui dansaient de joie en rejoignant le paradis de l’Otan sous l’ère américaine. Il a le droit de ridiculiser ceux qui, au lendemain de l’invasion du territoire ukrainien par ses forces, ont vite cru qu’il avait commis l’erreur de sa vie et que son échec près de Kiev le pousserait à accepter un accord pour garder la face.

Poutine a le droit de se moquer de ceux qui ont afflué vers la capitale ukrainienne, estimant que le moment était venu d’imposer des sanctions à l’homme assis sur le trône de Staline. Il a également le droit de se moquer de ceux qui ont assiégé la Russie avec des révolutions de couleur et des experts de l’Otan. Aujourd’hui, ils découvrent qu’il avance pour les assiéger en manipulant les frontières de la carte ukrainienne.

Il a le droit de se réjouir parce qu’il est passé maître dans l’art de contourner les sanctions occidentales, de cacher à son peuple le nombre de victimes russes… parce que les performances de l’économie de son pays ont dépassé les attentes des experts… parce que sa capacité à produire des munitions dépasse de loin celle du continent vieillissant, rongé par la crainte d’un éventuel retour de Donald Trump dans le Bureau ovale.

Il n’y a aucun mal à ce que le maître du Kremlin ait recours à l’arsenal de l’héritier de Kim Il-sung ou aux drones des pays des successeurs de l’ayatollah Khomeini. En temps de guerre, la seule mission est de gagner. Il a brillamment exploité l’énorme arsenal nucléaire de son pays pour dissuader l’Occident de s’engager dans l’aventure de la victoire. Un arsenal nucléaire est utile même quand on n’y recourt pas. Ce message est extrêmement dangereux pour l’avenir du monde.

Un journaliste surveille ce qui se passe dans le monde et en informe les lecteurs. Serions-nous en train d’exagérer en disant que le monde se trouve actuellement à un tournant très dangereux? Comment pouvons-nous nous sentir rassurés dans un monde qui observe depuis des mois cet horrible massacre à Gaza sans pour autant réussir à freiner la machine de mort israélienne?

Par ailleurs, la fragilité du Moyen-Orient n’a pas besoin d’être démontrée. Il n’existe pas de police internationale garantissant la liberté de navigation en mer Rouge. La légitimité internationale n’a pas la capacité d’empêcher les missiles et les drones de voler dans de nombreuses directions.

Les frappes russes à travers l’Ukraine s’accompagnent également d’un coup d’État mené par le dirigeant nord-coréen près des poudrières asiatiques. Alors, si le monde concède à Poutine le droit de redessiner la carte ukrainienne, comment peut-il refuser à la Chine le droit de récupérer Taïwan? La crise à Gaza a également montré l’ampleur du coup d’État iranien au Moyen-Orient. L’Iran trouble les États-Unis et Israël à travers quatre pays arabes.

Poutine a le droit de faire la fête. Mais j’aimerais qu’il s’inquiète un peu. Il a entraîné son pays dans une terrible course aux armements avec l’Occident, qui ne cesse d’augmenter ses budgets de défense. Le maître du Kremlin, qui est aussi maître des missiles, devrait prendre conscience des capacités considérables de l’Occident, notamment en termes de puissance technologique. L’Union soviétique n’a pas été assassinée lors d’une guerre, mais lors d’une bataille pour le modèle et la prospérité.

Poutine a le droit de faire la fête. Le leader du groupe Wagner est mort. Alexeï Navalny est mort. La Russie a la mémoire courte.

 

Ghassan Charbel est le rédacteur en chef du quotidien Asharq al-Awsat.

X: @GhasanCharbel

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com