Suppression du droit du sol à Mayotte: l’immigration, inoxydable enjeu politique en France

Des oiseaux survolent le port du quartier Majicavo à Mamoudzou sur l'île française de Mayotte dans l'océan Indien, le 19 février 2024. (AFP).
Des oiseaux survolent le port du quartier Majicavo à Mamoudzou sur l'île française de Mayotte dans l'océan Indien, le 19 février 2024. (AFP).
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Publié le Jeudi 22 février 2024

Suppression du droit du sol à Mayotte: l’immigration, inoxydable enjeu politique en France

Suppression du droit du sol à Mayotte: l’immigration, inoxydable enjeu politique en France
  • La dédiabolisation de Marine Le Pen est acquise, concomitante à la diabolisation de Jean-Luc Mélenchon
  • Bien sûr, de la suppression du droit du sol, les LR et le RN tenteront de tirer profit pour les élections européennes et depuis l’annonce de M. Darmanin, les surenchères à droite vont bon train

Une étape semble franchie. Le Rassemblement… le Front national triomphera aux élections européennes de juin, avec près de 30% des suffrages, selon les sondages. Quels écueils pourraient, à moins de quatre mois du scrutin, déjouer la perspective? Les planètes sont alignées.

De plus, on sent cette chape de plomb qui pèse sur le pays, une colère sourde chez les infirmières, enseignants, agriculteurs, étudiants, cheminots, retraités, des banlieues aux zones rurales… qui semble profiter inexorablement au parti d’extrême droite, parti des colères de France. La dédiabolisation de Marine Le Pen est acquise, concomitante à la diabolisation de Jean-Luc Mélenchon. Il ne sert à rien à LR et aux autres formations de droite de braconner sur les territoires, terres et terroirs labourés par le RN.

Les électeurs préfèrent encore et toujours l’original à la copie. Le désastre de la loi «immigration» a attesté la lepénisation des esprits en décembre dernier. Marine Le Pen s’était vantée de cette «victoire idéologique» que représentait l’entrée dans l’agenda du gouvernement de la «préférence nationale». Récemment, elle s’est de nouveau réjouie de la suppression du droit du sol initié par le ministre Darmanin à Mayotte le 11 février, afin qu’il «ne soit plus possible de devenir Français si l’on n’est pas soi-même enfant de parents français».

Le droit du sol est, à Mayotte et ailleurs, présenté depuis des années comme un appel d’air pour l’immigration irrégulière, alors que, selon les experts, il ne produit pas d’effet d’attraction. Cependant, le supprimer relève d’une nette rupture avec l’article 1er de la Constitution qui fait de la France une république indivisible et qui garantit l’égalité devant la loi. Alors quoi? Cette dernière sortie du ministre de l’Intérieur intervient à un moment critique de l’agenda politique du nouveau gouvernement.

Alors qu’un sondage des Échos de janvier 2024 révèle que le pouvoir d’achat et les hausses des prix apparaissent aux premiers plans des préoccupations des électeurs – devant la sécurité et l’immigration – l’exécutif annonce un texte pour supprimer le droit du sol à Mayotte et une loi d’urgence pour… le 22 mai en Conseil des ministres. Les Français subiront donc de nouveau de longues semaines de débats sur… l’immigration. On n’en finit plus. On se souvient que pour la loi «immigration», les sages avaient in fine retoqué les dispositions de la droite. À peine ce marathon achevé, l’exécutif remet le couvert.

Le droit du sol est, à Mayotte et ailleurs, présenté depuis des années comme un appel d’air pour l’immigration irrégulière, alors que, selon les experts, il ne produit pas d’effet d’attraction; cependant, le supprimer relève d’une nette rupture avec l’article 1er de la Constitution qui fait de la France une république indivisible et qui garantit l’égalité devant la loi.

Bien sûr, de la suppression du droit du sol, les LR et le RN tenteront de tirer profit pour les élections européennes et depuis l’annonce de M. Darmanin, les surenchères à droite vont bon train. Du pain bénit! Le président des Républicains, Éric Ciotti, a proposé de supprimer le droit du sol sur tout le territoire national, tout comme Marion Maréchal du parti Reconquête! d’Éric Zemmour. «La nationalité française s’hérite ou se mérite», a resservi Marine Le Pen. La rengaine est inoxydable. Clairement, à l’approche des élections, le gouvernement a choisi d’enflammer de nouveau le pays sur le thème de l’immigration, comme pour enrayer la submersion migratoire française que dénonce l’extrême droite.

À Mayotte, où la crise migratoire est réelle, au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen avait signé son plus gros score dans l’archipel de l’océan Indien: 43 % des suffrages! La déjà-candidate à l’élection présidentielle de 2027 sait que son programme sur l’immigration est en résonance avec l’opinion d’une bonne partie des Français: 85% jugent que l’autorité est bafouée; 66% qu’il y a trop d’étrangers en France; 65% que les chômeurs (1) préfèrent rester assistés, etc.

Au passage, on devrait garder en tête que le RN bénéficie de très bons scores chez les jeunes et au sein des catégories populaires sensibilisés par un demi-siècle de discours sur «l’étranger», «les étrangers», les Arabes, les musulmans, les immigrés… systématiquement invités à l’approche d’élections à revêtir le costume d’épouvantail et brandir leur menace sur la sécurité, les emplois, les services publics… des «Français de souche française». Il reste un peu plus de trois mois avant le 9 juin, et la Macronie se retrouve sous la pression de la droite et de l’extrême droite.

Au passage, on devrait garder en tête que le RN bénéficie de très bons scores chez les jeunes et au sein des catégories populaires sensibilisés par un demi-siècle de discours sur «l’étranger», «les étrangers», les Arabes, les musulmans, les immigrés… systématiquement invités à l’approche d’élections à revêtir le costume d’épouvantail et brandir leur menace sur la sécurité, les emplois, les services publics… des «Français de souche française»

À quel prix pourra-t-elle s’assurer du soutien des LR pour faire adopter sa révision constitutionnelle, gérer la surenchère du RN? Une fois de plus, la focalisation sur l’immigration risque d’en faire le thème exclusif, appauvri – il a un fort potentiel émotionnel, surtout celui de la haine et des peurs – dans le débat public, une aubaine pour l’extrême droite. Une morbide mécanique est enclenchée. En son temps, Nicolas Sarkozy avait fait fructifier son vil hameçonnage «immigration choisie, non subie» pour draguer l’électorat du FN. En 2006-2007, il n’avait pas hésité à créer un ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration!

La période était mortifère pour la fraternité française. M. Sarkozy était alors le chantre de la banalisation de l’islamophobie, de la diabolisation de l’immigration et de la stigmatisation des jeunes – «les racailles» – des banlieues. Hier, ô ironie de l’Histoire, l’ancien chef de l’État a écopé de six mois de prison ferme, en comparution en appel dans l’affaire Bygmalion, accusé de dépenses excessives lors de sa campagne présidentielle en 2012.

Cette peine devrait être aménagée, et son emprisonnement ferme converti en jours-amende, en travaux d’intérêt général! Il pourrait aussi demander un bracelet électronique au juge. Il doit de surcroît comparaître en 2025 pour des soupçons de financement libyen dans sa campagne de 2007. Dans la banlieue de Lyon, à Vénissieux, où hier je faisais classe à des lycéens, haut lieu de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, ceux qui se souviennent encore de lui sont persuadés qu’il n’ira jamais en prison. La détention n’est pas faite pour les puissants, disent-ils! Ils parlent d’une justice à deux vitesses, de deux poids deux mesure, de la mafia au pouvoir, avec un rictus coincé entre les lèvres.

Ils sont Français. Nés en France. Pas sûr qu’ils se déplacent pour voter aux élections européennes en juin prochain. Pas sûr non plus qu’ils aient une carte d’électeur. De toute façon, comme ils disent, du Rassemblement National, ils n’ont pas peur. Ils ignorent encore qu’ils ont tout à perdre de leur grand repli. Ils sont les boucs émissaires de notre démocratie. Aux élections de juin prochain, la commune connaîtra encore 90% d’abstention.

(1) Enquête réalisée par Ipsos pour Le Monde, le Cevipof, la fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne en septembre 2023.

 

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.

Twitter: @AzouzBegag

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.