Israël face à la CIJ: Le pire moment de l'histoire du pays

Des partisans pro-palestiniens font le pied de grue devant la Haute Cour du Cap, en Afrique du Sud, le 11 janvier 2024 (Photo, AP).
Des partisans pro-palestiniens font le pied de grue devant la Haute Cour du Cap, en Afrique du Sud, le 11 janvier 2024 (Photo, AP).
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Publié le Lundi 22 janvier 2024

Israël face à la CIJ: Le pire moment de l'histoire du pays

Israël face à la CIJ: Le pire moment de l'histoire du pays
  • Il est tout à fait paradoxal qu'Israël, dont la création a été soutenue par la communauté internationale en réponse à l'horrible génocide dont le peuple juif a été victime de la part des nazis, soit aujourd'hui lui-même accusé du crime de génocide
  • Quelle que soit la motivation de l'Afrique du Sud pour mener ces poursuites, Israël devrait s'engager dans un véritable exercice d'introspection et se demander comment il est arrivé à ce niveau lamentable de l'histoire du pays

Je ne suis pas juriste international et je n'ai aucune idée de ce que sera la décision provisoire de la Cour internationale de justice en réponse à la plainte déposée par l'Afrique du Sud contre Israël, qui prétend que ce dernier se livre à des « actes génocidaires » à Gaza.

Je ne sais même pas quelle décision pourrait accélérer la fin de la guerre et contribuer à alléger les souffrances incommensurables de la population de Gaza.

Je suis bien plus certain que, quelle que soit la motivation de l'Afrique du Sud pour mener ces poursuites, Israël devrait s'engager dans un véritable exercice d'introspection et se demander comment il est arrivé à ce niveau lamentable de l'histoire du pays. Accuser le reste du monde d'antisémitisme n'est pour lui qu'un moyen d'éviter la tâche urgente de mettre de l'ordre chez lui.

Il est tout à fait paradoxal qu'Israël, dont la création a été soutenue par la communauté internationale en réponse à l'horrible génocide dont le peuple juif a été victime de la part des nazis, soit aujourd'hui lui-même accusé du crime de génocide.

Dans les années d'après-guerre, à la fin des années 1940, l'objectif était de rassembler les survivants de cette atrocité de masse et de construire un havre de paix et une patrie culturelle où le peuple juif n'aurait plus jamais à subir de telles horreurs.

Le mot « génocide » lui-même a été inventé par Raphael Lemkin, un avocat polonais d'origine juive, dans son livre de 1944 intitulé « Axis Rule in Occupied Europe », en réponse à l'extermination horrible et systématique du peuple juif par la machine à tuer nazie. De tous les crimes de guerre possibles, le génocide est probablement la pire accusation à laquelle un pays puisse être confronté.

Pourtant, de nombreux Israéliens se contentent de hausser les épaules en réponse aux procédures judiciaires en cours à La Haye. Ils sont le plus souvent agacés par l'accusation, la qualifient d'antisémitisme et soulignent qu'il y a deux poids, deux mesures, alors que d'autres pays qui commettent des atrocités contre leur propre peuple ou ceux qui se trouvent au-delà de leurs frontières ne font jamais l'objet d'une telle mise en accusation.

Il est indéniable que l'antisémitisme existe et que certains remettent en question le droit même de l'État d'Israël à exister. Mais si la société israélienne s'en sert comme excuse pour justifier la manière dont l'armée nationale mène la guerre à Gaza, quel que soit le verdict final de la CIJ, elle évite de réfléchir sérieusement à la manière dont Israël, par ses propres actions avant et pendant la guerre, a créé les conditions propices à des accusations de crimes de guerre.

Au lendemain des atrocités commises par le Hamas le 7 octobre, Israël a bénéficié de la solidarité de la plupart des pays du monde. Pourtant, trois mois plus tard, en raison de la manière dont il mène sa guerre contre Gaza et tue des milliers de civils palestiniens innocents, ainsi que des commentaires de hauts responsables politiques israéliens qui pourraient être interprétés comme génocidaires, même s'ils ne sont pas attribuables à ceux qui sont directement en charge de la prise de décision, Israël a perdu une grande partie de ce soutien.

Les Israéliens affirment généralement que ce qui a conduit leur pays sur le banc des accusés de La Haye pour génocide, c'est le langage irresponsable de certains membres de la coalition gouvernementale actuelle, voire d'un cabinet génocidaire par nature, comme l'affirme l'équipe d'accusation sud-africaine.

Un appel à la fin de la guerre durcirait-il la position d'Israël et l'inciterait-il à accuser la Cour de se ranger du côté du Hamas ? Ou bien Israël assouplirait-il sa position en réponse à cet appel ?

Yossi Mekelberg

Selon cette ligne de défense, de tels propos ne reflètent pas la politique officielle. Il est vrai que, du moins aux yeux d'un non-juriste, certaines de ces références sont plus typiques du langage nationaliste intempestif, odieux et répugnant que l'on entend souvent en temps de guerre, que d'un plan visant à commettre des actes « dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, racial ou religieux », comme le stipule la définition du crime de génocide.

Mais les détenteurs du pouvoir devraient savoir que lorsqu'ils se lancent dans une campagne militaire qui implique le meurtre de milliers de civils, le déplacement de la majeure partie de la population et le bombardement de ses infrastructures pour les réduire à l'état de ruines, de telles déclarations seront interprétées différemment.

Au début de la guerre, par exemple, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a utilisé un langage biblique comparant la Palestine à Amalek, une nation rivale de l'ancien Israël. Des passages de la Bible hébraïque racontent comment les Israélites ont reçu l'ordre de détruire les Amalécites.

Un ministre a suggéré qu'Israël lance une bombe nucléaire sur la bande de Gaza. Un autre a demandé que le territoire soit rasé. Même le président Itzhak Herzog, considéré comme l'un des hommes politiques israéliens les plus modérés, a rejeté la responsabilité de l'attaque du 7 octobre sur tous les habitants de Gaza.

« C'est toute une nation qui est responsable. Cette théorie selon laquelle les civils ne sont pas au courant, ne sont pas impliqués, n'est absolument pas vraie. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu se battre contre ce régime diabolique », a-t-il déclaré, donnant ainsi le ton d'une assimilation de tous les habitants de Gaza au Hamas.

D'aucuns pourraient dire que de telles déclarations devraient être considérées comme typiques, même si elles sont plutôt ignobles, imprudentes et inexcusables, en temps de guerre, et rien de plus. Cependant, la raison pour laquelle la communauté internationale s'inquiète et se méfie des intentions du gouvernement israélien est que plus de 24 000 Palestiniens ont été tués, la grande majorité d'entre eux n'étant pas des combattants, y compris des milliers d'enfants. Cela s'ajoute à l'énorme traumatisme infligé à tous les habitants de Gaza et à la demande de certains hauts responsables politiques israéliens de les transférer ailleurs.

Cela conduit certains membres de la communauté internationale à penser, à tort ou à raison, qu’il y a un objectif plus important en jeu que la simple destruction du Hamas. Et pour cela, les Israéliens doivent prendre leurs responsabilités.

La semaine dernière, à La Haye, Israël a défendu vigoureusement ses actions et il est presque impossible de prédire si le tribunal rendra une décision provisoire appelant à la cessation immédiate des hostilités ou s'il s'abstiendra de le faire.

Dans l'intervalle, il reste à savoir comment Israël, et dans une large mesure son principal allié, les États-Unis, pourraient réagir à l'une ou l'autre de ces questions. Un appel à la fin de la guerre durcirait-il la position d'Israël et l'inciterait-il à accuser la Cour de se ranger du côté du Hamas ? Ou bien Israël assouplirait-il sa position en réponse à cet appel ?

Que se passerait-il si la Cour ne rendait pas une telle décision provisoire ? Israël y verrait-il une approbation de ses actions, du moins du point de vue du droit international, et poursuivrait-il la guerre ?

L'une ou l'autre de ces éventualités me laisse penser qu'il aurait été préférable de concentrer tous les efforts internationaux sur l'obtention d'un cessez-le-feu, l'arrêt des massacres et la libération des otages avant de chercher à obtenir une décision de justice.

En même temps, quelle que soit la décision du tribunal, il faudra à Israël beaucoup de temps pour redorer son blason aux yeux de la communauté internationale, car jamais l'affirmation du pays selon laquelle son armée est « la plus morale du monde » n'a sonné plus creux.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord au sein du groupe de réflexion sur les affaires internationales Chatham House.

X : @YMekelberg

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com