Le camp de la paix israélien, marginalisé, a la possibilité de se reconstruire

Un soldat israélien se tient sur un char à Gaza, dans un contexte de conflit entre Israël et le Hamas, le 16 janvier 2024. (Reuters)
Un soldat israélien se tient sur un char à Gaza, dans un contexte de conflit entre Israël et le Hamas, le 16 janvier 2024. (Reuters)
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Publié le Vendredi 19 janvier 2024

Le camp de la paix israélien, marginalisé, a la possibilité de se reconstruire

Le camp de la paix israélien, marginalisé, a la possibilité de se reconstruire
  • Le camp de la paix est désormais relégué aux marges de la société et de la politique israéliennes
  • Après la disparition de dirigeants du camp de la paix, comme Rabin et Peres, certains ont succombé à la fatigue et au désespoir et le mouvement pour la paix s’est retrouvé sans chef et sans gouvernail

La simple idée d’écrire à propos du camp de la paix en Israël peut sembler ridicule. Après tout, la société israélienne tout entière est encore traumatisée par l’attaque meurtrière du Hamas du 7 octobre, tandis que la plupart des Israéliens juifs ne manifestent que peu ou pas de sympathie pour les souffrances actuelles de la population de Gaza, confrontée à l’assaut militaire le plus sanglant jamais mené par l’armée israélienne.

Pendant ce temps, la situation sécuritaire en Cisjordanie se détériore, soulevant la question de savoir s’il est possible de convaincre les Israéliens que la paix est leur meilleure garantie de sécurité et de prospérité, ou même s’il existe un espace intellectuel permettant de jeter les bases conceptuelles de la paix et de la réconciliation avec les Palestiniens.

Pourtant, plus que jamais, cette situation désastreuse pourrait et devrait conduire à une nouvelle réflexion et permettre au camp de la paix en Israël, décimé, de renaître, tel le phénix, des cendres de cette guerre dévastatrice.

Ce que les trois derniers mois ont démontré sans aucun doute, c’est qu’en l’absence de paix, ce sont les extrémistes qui dominent non seulement le discours mais aussi les événements, ce qui entraîne des conséquences catastrophiques. En outre, si le discours ne passe pas de la guerre et de l’hostilité à la paix et à la coexistence, les deux parties tireront les mauvaises leçons de la guerre actuelle et s’enracineront encore plus dans leur vision négative de l’Autre et, par conséquent, se radicaliseront davantage.

Il est donc primordial d’insuffler de l’espoir dans la société, en s’appuyant sur des politiques et des programmes solides. Cela permettrait de remplacer la dangereuse approche actuelle gagnant-perdant par un horizon où les deux parties bénéficieraient d’une coexistence pacifique, même si cela implique de faire des compromis sur certaines aspirations historiques.

Le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens a connu son heure de gloire au début des années 1990. Après la signature des accords d’Oslo, le camp de la paix en Israël a prospéré et bénéficié d’un large soutien. Il se sentait disculpé lorsque la paix avec les Palestiniens, fondée sur une solution à deux États, était non seulement souhaitable, mais semblait également possible. Toutefois, la situation a évolué au point que le camp de la paix est désormais relégué aux marges de la société et de la politique israéliennes.

Toutefois, il existe toujours une importante minorité qui estime qu’une solution à deux États doit être la voie à suivre, et cela devrait être utilisé de manière efficace. Pendant trop longtemps, les ennemis d’une paix fondée sur un compromis historique de partage de la Palestine mandataire ont été autorisés à monopoliser les sphères politiques et sociales et à utiliser tous les moyens à leur disposition, y compris le terrorisme, pour faire dérailler le processus de paix.

Du côté israélien, après des mois d’incitations contre le gouvernement et les accords d’Oslo orchestrés par Benjamin Netanyahou, alors chef de l’opposition, le Premier ministre Yitzhak Rabin, a été assassiné par un extrémiste de droite. Cet acte a marqué le début de la fin du processus de paix et, avec lui, le déclin progressif et la quasi-disparition du camp qui le soutenait.

Il y a quelque chose dans l’approche du camp de la paix israélien qui le place intrinsèquement dans une position relativement défavorable par rapport aux faucons et surtout à la communauté des colons. Non seulement ses membres sont convaincus que leur cause est juste, mais ils ne comprennent pas pourquoi les autres ne peuvent pas le voir. On dénote un élément d’arrogance qui découle d’une croyance déterministe infondée selon laquelle la paix basée sur une solution à deux États est évidemment la démarche question et juste, les gens sont censés à la soutenir, du moins à terme.

Cette attitude est également associée à l’idée que les accords de paix sont conclus entre les élites, qu’elles soient politiques, économiques ou intellectuelles. Si l’argument en faveur du rôle des dirigeants et des élites a un certain poids, mais nécessite encore le soutien d’une grande partie de la société, l’argument selon lequel les bonnes choses se produisent... parce qu’elles sont bonnes est à la fois naïf et arrogant et ne s’appuie sur aucune preuve empirique.

Un autre coup dur pour le camp de la paix a été l’échec des négociations de paix de Camp David en 2000, qui ont été immédiatement suivies par l’éruption de la seconde Intifada, au détriment de toute négociation de paix future et de la consolidation d’un mouvement de paix important et suffisamment engagé.

Tout d’abord, le Premier ministre israélien de l’époque, Ehud Barak, soutenait l’idée qu’Israël présentait aux Palestiniens l’offre la plus généreuse jamais faite et qu’ils l’ont rejetée, preuve ultime qu’il n’y avait pas de partenaire palestinien pour la paix et que l’équipe de négociation israélienne n’était pas responsable de l’échec de ces négociations.

Pire encore, le déclenchement de la seconde Intifada a donné lieu à l’affirmation selon laquelle, au lieu d’accepter cette offre de paix généreuse, ils – cela inclut tous les Palestiniens qui ont répondu par la violence, qu’ils soient ou non impliqués dans le terrorisme – ont vu leur volonté d’instaurer paix mise en doute.

À ces deux conclusions biaisées s’en ajoute une autre, qui soutient que, lorsqu’Israël se retire de territoires – sans parler de territoires qui n’auraient jamais dû être occupés, comme cela a été le cas avec le retrait du Liban ou le désengagement de la bande de Gaza –, il est «récompensé» par des tirs de roquettes et de missiles. Si la réaction d’Israël à ses menaces militaires a été trop simplifiée, il s’agit là d’un des exemples les plus inquiétants.

Après la disparition des dirigeants du camp de la paix, comme Rabin et Shimon Peres, certains ont succombé à la fatigue et au désespoir, et le mouvement pour la paix s’est retrouvé sans chef et sans gouvernail, sans nouveaux cadres de soutien. Pire encore, il n’avait pas d’idées nouvelles pour s’adapter à l’évolution de la situation, ce qui a permis au discours de la droite sur la sécurité et les colons de prendre le dessus.

«Cette situation désastreuse pourrait et devrait conduire à une nouvelle réflexion et permettre au camp de la paix en Israël, décimé, de renaître»

- Yossi Mekelberg

L’essentiel de la réflexion et de l’action en faveur de la paix a été laissé à la société civile, au parti Meretz et à ceux qui représentent les citoyens palestiniens d’Israël à la Knesset. Pendant ce temps, le Parti travailliste, qui était aux commandes lorsque les accords d’Oslo ont été conclus, a évité à tort la question, la considérant comme un facteur susceptible de lui faire perdre des voix.

Pour l’instant, l’attaque du Hamas du 7 octobre, qui a fait un grand nombre de victimes parmi les militants pacifistes, a laissé très peu de place pour parler de paix, de réconciliation et de coexistence. Au lieu de ça, on ne parle que de «détruire le Hamas», quel que soit le prix à payer par les Palestiniens. Cependant, ce segment marginalisé de la société israélienne, qui croit encore à une paix fondée sur une solution à deux États, a l’occasion de se reconstruire sur le plan des idées, du leadership et de l’attrait qu’il exerce sur une plus grande partie de la population.

L'alternative s’est avérée catastrophique pour tous les aspects de l’existence d’Israël et a porté un coup fatal à sa réputation internationale. Il est grand temps de rétablir un discours de paix avec les Palestiniens, car il s’agit d’une nécessité existentielle et morale à long terme. Si ce n’est pas maintenant, quand?

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord au sein du groupe de réflexion sur les affaires internationales Chatham House.

X : @YMekelberg

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com