Dans le feu de l’action, à Gaza, les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) préviennent que l’Iran a multiplié par trois son enrichissement d’uranium, le rendant plus proche que jamais de la bombe.
L’ambassadeur de France à l’ONU et les responsables du renseignement américain préviennent que Téhéran est «à quelques semaines» de l’étape finale d’enrichissement d’une quantité suffisante d’uranium pour trois armes nucléaires. Il s’agit d’un revirement radical par rapport à il y a quelques mois, lorsque les États-Unis croyaient complaisamment avoir conclu un accord avec l’Iran pour limiter l’enrichissement.
Pendant ce temps, Téhéran utilise ses mandataires régionaux pour exacerber le conflit. Mon livre publié il y a deux ans sur les factions transnationales soutenues par l’Iran – État milice – mettait en garde contre les risques liés à l’implantation d’entités paramilitaires dans des passages obligés économiques majeurs comme Bab al-Mandab, le détroit d’Ormuz, la Méditerranée orientale et les sources du golfe Arabiques. En raison des attaques des Houthis contre les navires, le commerce de la mer Rouge a diminué d’environ un tiers, perturbant gravement l’économie mondiale, les États arabes comptant parmi les plus touchés.
Bien que le ministre britannique des Affaires étrangères, David Cameron, ait affirmé que ne pas agir reviendrait à accepter que de telles attaques pourraient «pratiquement fermer une voie maritime vitale avec une relative impunité», les frappes aériennes américaines et britanniques ont gardé intactes au moins 75% des capacités de tir de missiles des Houthis. En effet, les renseignements occidentaux ont du mal à identifier d’autres cibles viables. Quoi qu’il en soit, Téhéran a toujours été prompt à réapprovisionner ses mandataires – à la vue des satellites espions américains – et les Houthis sont aguerris par des décennies de conflit.
Le retrait des Houthis de la liste des groupes terroristes par l’administration Biden est la preuve de l’absence chronique de réflexion stratégique au sein des administrations américaines successives pendant des décennies. Les représailles largement symboliques de l’Occident jouent en faveur des Houthis en augmentant leur visibilité régionale. Une coalition multinationale a été constituée pour protéger le transport maritime et contrer la menace houthie. Le seul participant arabe qui bénéficie du statut d’observateur est Bahreïn, qui accueille depuis longtemps la cinquième flotte des États-Unis.
La semaine dernière, le porte-parole des Brigades du Hezbollah (Kataeb Hezbollah) en Irak, Jafar al-Husseini, a menacé d’attaquer les bases américaines dans toute la région du Golfe et les militants du Hachd al-Chaabi ont déjà organisé des dizaines d’attaques contre les positions américaines en Irak et en Syrie, avec une tendance croissante aux représailles américaines. «Nous ne sommes intéressés par un conflit d’aucune sorte», a déclaré le porte-parole de la Maison-Blanche, John Kirby. Toutefois, les États-Unis et leurs alliés sont déjà impliqués dans un conflit au Moyen-Orient, qu’ils le veuillent ou non. Les frappes aériennes israéliennes et américaines en Syrie, en Irak et au Liban ont tué des dizaines de membres de la force Al-Qods, du Hezbollah et des paramilitaires, y compris des dirigeants.
Une telle théâtralité mégalomane des Houthis, de Daech, de l’Iran et du Hachd ne fait que détourner l’attention du carnage à Gaza
Baria Alamuddin
La raison d’être fondamentale de ces vastes armées paramilitaires soutenues par l’Iran consiste à contrer la présence des États-Unis et des autres ennemis régionaux de Téhéran – quelle que soit la manière dont les pays arabes sont pris entre deux feux. Si les milices du Hachd parvenaient à atteindre leur objectif de forcer les troupes américaines à quitter l’Irak, cela offrirait des possibilités d’expansion à Daech, qui exploite déjà impitoyablement l’effusion de sang à Gaza pour recruter et réaffirmer son importance mondiale.
La semaine dernière, Daech a diffusé une vidéo qui montre ses combattants en train de massacrer des chrétiens dans le nord du Cameroun. Un commandant de Daech se tenait au-dessus des cadavres, incitant à de nouvelles atrocités contre «les juifs et les chrétiens» afin de «venger les musulmans de Gaza». Il ne s’agit là que d’une des cent attaques revendiquées dans le monde par le groupe dans le cadre de ce qu’il appelle une campagne de «solidarité» avec Gaza.
Une telle théâtralité mégalomane des Houthis, de Daech, de l’Iran et du Hachd ne fait que détourner l’attention du carnage à Gaza. Pour la première fois depuis des mois, les bulletins d’information se concentrent sur le Yémen et la géopolitique régionale et non sur les souffrances effroyables des citoyens de Gaza. Israël ne pourrait espérer mieux!
La dernière ruée de l’Iran pour acquérir des capacités nucléaires militaires nous rappelle une fois de plus à quel point ce conflit pourrait s’aggraver. Les États-Unis oseraient-ils menacer Téhéran et ses mandataires si des représailles nucléaires étaient un scénario crédible? Israël possède également des capacités nucléaires. Ainsi, si l’un ou l’autre camp était mis au pied du mur, certains accepteraient de déployer des armes aussi redoutables. En effet, immédiatement après les attaques du Hamas du 7 octobre, de manière horrible, le ministre israélien de la Justice a proposé de larguer une bombe nucléaire sur Gaza en guise de solution au conflit.
Plus de cent jours après le début de la guerre, les arguments en faveur du génocide avancés par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice étaient détaillés et convaincants: le massacre de plus de 23 000 Palestiniens et environ 8 000 autres ensevelis sous les décombres à la suite du largage aveugle par Israël de bombes de plus de 900 kilos. Bilan: environ 10 000 enfants tués, plus de 60 000 blessés et mutilés, une population entière déplacée de force, des villes entières ainsi que des camps de réfugiés détruits et tous les hôpitaux de Gaza mis hors service. Le cas de l’Afrique du Sud met également en évidence les répercussions psychologiques et le traumatisme inimaginable, avec d’innombrables enfants blessés sans aucun membre survivant de leur famille pour leur prodiguer des soins ni leur apporter leur soutien, sans parler des conséquences de la malnutrition et de la maladie. Cette guerre a fait du mal aux innocents, infiniment plus que toutes les pertes subies par le Hamas.
Quelle que soit la décision juridique finale, le fait qu’Israël ait été traduit devant ce tribunal sur la base d’arguments juridiques solides en faveur du génocide nuit de manière incommensurable et permanente à la réputation internationale d’Israël – ce pays qui était jusque-là perçu comme diplomatiquement intouchable.
Les États-Unis et l’Iran prétendent vouloir mettre fin à l’effusion de sang à Gaza et empêcher la régionalisation de la guerre, mais bon nombre de leurs actions vont dangereusement dans la direction opposée. Les États-Unis, avec leur énorme influence sur Israël, possèdent l’atout ultime: Israël doit être stoppé dans son élan. Si Téhéran souhaite éviter que les feux du conflit ne l’atteignent, il devra de toute urgence faire tout son possible pour maîtriser ses mandataires bellicistes. Au lieu de développer ses activités nucléaires, il devrait se positionner comme l’ardent défenseur d’une région entièrement dépourvue d’armes nucléaires – y compris Israël.
Personne ne tirerait profit de davantage de haine, de violence et de cadavres, encore moins Israël, qui ne fait que perpétuer ce conflit vieux de plusieurs décennies. Pour cela, nombreux sont ceux qui se tournent vers la Cour internationale de justice dans l’espoir d’obtenir un mandat juridique qui exige, a minima, l’arrêt des hostilités. Les tueries doivent cesser rapidement, avant que les provocations mutuelles d’Israël et des mandataires de l’Iran ne réussissent à déclencher quelque chose de bien pire.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice qui a reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com