L’expansion de l’Otan est entre les mains du Parlement turc

La relation de l’Otan avec la Turquie est sans doute plus importante qu’elle ne l’a jamais été (Photo, Reuters).
La relation de l’Otan avec la Turquie est sans doute plus importante qu’elle ne l’a jamais été (Photo, Reuters).
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Publié le Mardi 02 janvier 2024

L’expansion de l’Otan est entre les mains du Parlement turc

L’expansion de l’Otan est entre les mains du Parlement turc
  • La semaine dernière, la commission des Affaires étrangères du Parlement turc a approuvé l’adhésion de la Suède à l’Otan
  • Cependant, le processus global d’approbation turque n’est pas terminé tant que le Parlement n’a pas ratifié la décision

Le conflit en Ukraine a mis l’adhésion à l’Otan sous le feu des projecteurs. Par ailleurs,l’expansion de l’organisation vers l’est sur 1 600 kilomètres depuis la fin de la guerre froide est l’une des principales raisons de la mobilisation russe. Comme c’est souvent le cas, l’avenir de l’alliance est actuellement compromis par deux États non frontaliers de l’Atlantique Nord, à savoir la Suède et la Turquie.

Quelques mois seulement après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la Suède a abandonné des siècles de non-alignement pour demander son adhésion à l’Otan – le conflit montrant l’ampleur de la menace qui pèse sur la stabilité européenne. Bien que la demande d’adhésion parallèle de son voisin finlandais ait déjà été ratifiée, l’adhésion de la Suède a été retardée. La perspective de l’adhésion de l’impressionnante armée suédoise au bloc a été retardée par la Turquie, qui a utilisé son rôle croissant au sein de l’organisation pour atteindre ses propres objectifs en matière de politique étrangère et de sécurité.

La semaine dernière, la commission des Affaires étrangères du Parlement turc a approuvé l’adhésion de la Suède à l’Otan. Cependant, le processus global d’approbation turque n’est pas terminé tant que le Parlement n’a pas ratifié la décision. L’adhésion de la Suède est au point mort en raison de deux conditions fixées par la Turquie. Le pays appelle Stockholm à prendre des mesures contre le Parti des travailleurs du Kurdistan, connu sous le nom de PKK et, deuxièmement, il souhaite que le Canada mette fin à son embargo sur les ventes d’armes à la Turquie, alors que les États-Unis approuvent la demande d’Ankara d’acheter des avions de combat F-16.

L’implication de la Suède dans la question kurde n’est pas surprenante. Abritant une communauté kurde importante et hautement politisée, la Suède accueille plusieurs exilés kurdes de premier plan et le PKK bénéficie d’un soutien international, politique et financier important de la diaspora. Six députés kurdo-suédois sont l’incarnation visible d’un bloc politique plus large et actif dans la politique suédoise. Il est dirigé par Amineh Kakabaveh, une Iranienne d’origine kurde, farouche critique du président turc Recep Tayyip Erdogan.

Elle a tellement critiqué le président que la Turquie a demandé à plusieurs reprises son extradition – une perspective peu probable étant donné la réticence suédoise à remettre ses citoyens. Cependant, en signe de rapprochement entre les deux pays et pour accélérer ses négociations avec l’Otan, la Suède a récemment emprisonné un homme reconnu coupable de financement du PKK.

Les relations turco-américaines ont traversé diverses phases sous l’administration Trump et ne se sont par ailleurs pas améliorées sous le président Joe Biden. Le principal sujet de préoccupation reste l’achat par la Turquie du système de défense aérienne avancé S-400 auprès de la Russie, qui n’a pas été bien accueilli par les États-Unis et les autres membres de l’Otan. En conséquence, Washington a suspendu la participation de la Turquie au projet dechasseurs F-35, faisant part de ses inquiétudes concernant le partage potentiel de fonctionnalités et de technologies classifiées avec la Russie, ce qui constituerait un futur défi pour les intérêts de sécurité nationale américaine.

«La Turquie a utilisé son rôle croissant au sein de l’organisation pour atteindre ses propres objectifs en matière de politique étrangère et de sécurité.»

Zaid M. Belbagi

La coopération entre la Turquie et la Russie en matière de défense a également été retardée: le projet d’achat de 40 avions de combat F-16 et de 80 kits de modernisation associés pour sa flotte existante a été reporté. Ces négociations sont devenues plus tendues lorsque la Turquie a rejeté une proposition américaine visant à transférer ses systèmes de défense de fabrication russe en Ukraine dans le cadre des efforts de l’Otan à améliorer les défenses du pays. Compte tenu de l’opposition initiale de l’Otan à l’achat par la Turquie du système S-400 à la Russie, il n’est pas surprenant que la Turquie considère ce système comme faisant partie intégrante de sa sécurité nationale et non cohérent avec les systèmes de l’Otan.

Compte tenu de l’importance de la Turquie pour la sécurité de l’Europe de l’Est, en tant qu’interlocuteur de la Russie, et étant donné la taille de son armée dans une alliance confrontée à une baisse des ressources européennes, des progrès évalués à 20 milliards de dollars (1 dollar = 0,91 euro) sur la commande de F-16 sont attendus, en particulier lorsque la Turquie acceptera l’adhésion de la Suède.

Bien que la Turquie ait rejoint l’Otan il y a plus de soixante ans, son rôle s’est accru parallèlement à son influence internationale et à sa force militaire croissante. La situation géostratégique du pays revêt toujours une très grande importance, comme en témoigne l’invasion russe de l’Ukraine et son rôle dans la surveillance de la mer Noire et la sécurisation de l’exportation des approvisionnements essentiels en céréales de la zone de conflit.

Ankara dispose de la deuxième plus grande force armée au sein de l’organisation. En effet, l’Otan ne peut se permettre d’ostraciser la Turquie à un moment où l’ensemble de son flanc oriental est confronté à une agression et à une ingérence constantes par la Russie. Les divergences de politique étrangère sur l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Méditerranée orientale au sens large ont mis à rude épreuve les relations de l’Otan avec la Turquie, qui sont sans doute plus importantes qu’elles ne l’ont été auparavant. En outre, l’alliance fait face à la menace la plus grave pour sa stabilité depuis la fin de la guerre froide. Il est donc essentiel que l’organisation recherche un terrain d’entente avec Ankara.

L’approbation par la commission turque des Affaires étrangères est une évolution prometteuse dans le contexte de l’expansion de l’Otan; cependant, cela illustre également l’influence diplomatique de la Turquie sur la Suède et les États-Unis. Bien que le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, ait confirmé en juillet que l’administration Biden était prête à approuver l’achat par la Turquie des avions F-16 et des kits de modernisation, cet accord n’a pas encore été conclu. Dans ce contexte, le Parlement turc continuera de retarder son approbation de l’adhésion de la Suède à l’Otan, tout en retardant la décision de la Hongrie sur cette question, qui est liée à celle d’Ankara.

La question suédoise actuelle n’est pas sans précédent. Tout comme l’époque où Charles XII de Suède chercha refuge auprès du sultan Ahmed III après sa défaite face à la Russie en 1709, la Turquie redevient arbitre dans les relations entre Est et Ouest.

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG. 

X: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com