La majorité des observateurs s’accordent à dire que les accrochages frontaliers entre le Hezbollah et Israël, qui ont débuté le 8 octobre, se poursuivront tant que le front de Gaza restera enflammé.
Il est vrai que le rythme des affrontements est encore faible en comparaison avec la guerre qui se déroule à Gaza. Mais il est vrai aussi que les deux parties concernées font preuve d'une certaine retenue pour éviter une guerre totale. Si cela devait arriver, elle serait plus grave et plus dangereuse que la guerre en cours à Gaza. Car le Hezbollah, milice pro-iranienne, possède une force militaire plus importante que le Hamas à Gaza, et il bénéficie d'un armement plus puissant à différents niveaux. Il jouit en outre d'approvisionnements iraniens massifs transitant par la Syrie.
Il est important, d’autre part, de signaler que les émissaires étrangers qui se sont rendus au Liban pour alerter ses dirigeants politiques, et à travers lui le Hezbollah, ont évoqué auprès des autorités libanaises l'ampleur des dangers auxquels le Liban est confronté.
La ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, qui s'est rendue au pays du Cèdre la semaine dernière, a tenu des propos d’une grande franchise: «La situation est bien plus dangereuse que vous ne l'imaginez. Le danger pour le Liban est très grand.» Elle a ajouté: «Il ne suffit pas de nous assurer, en tant que communauté internationale, que le Hezbollah ne cherche pas à s’impliquer dans une guerre ouverte avec Israël. Admettons que les intentions côté libanais soient bonnes, cela ne signifie pas qu’il y va forcément de même côté israélien.»
Selon des sources officielles libanaises, Mme Colonna aurait également déclaré à ses interlocuteurs à Beyrouth: «Nous devons admettre que nous ne savons pas vraiment ce que pensent les niveaux politique, militaire et sécuritaire en Israël. Par conséquent, ne donnez aucun prétexte à Israël pour lancer une guerre contre le Liban.» Elle a conclu: «Si la guerre éclate, elle sera si destructrice que le Liban ne s’en remettra pas.»
Les propos de la ministre, troisième émissaire français au Liban chargé par le président, Emmanuel Macron, de délivrer des messages dramatiques et forts, mettent en garde contre les conséquences de l'entraînement du Liban dans une guerre. Selon le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et le ministre de la Défense, Yoav Galant, celle-ci sera une copie exacte de la guerre contre Gaza.
C’est dans ce contexte que les développements à la frontière entre le Hezbollah et Israël doivent être évalués. La vérité est que la situation se détériore quotidiennement. Elle a atteint au cours des deux derniers jours le stade d'un danger extrême, d'autant plus que l’armée israélienne a entrepris de cibler violemment les villages libanais adjacents à la frontière, où se retranchent les militants du Hezbollah. Résultat, des dizaines de maisons et carrés résidentiels ont été détruits.
Plus grave encore, l’armée israélienne a commencé à mener, sur la base d'informations précises, des frappes visant les maisons des familles de militants du Hezbollah.
À la suite de cette escalade, le Hezbollah s'est empressé en début de semaine de lancer plus de cent vingt missiles sur les colonies et villes frontalières israéliennes causant d’importants dommages aux habitations. Il est même allé plus loin en visant les environs des villes d'Acre et de Haïfa, bien loin des lignes de front. De son côté, l’armée de l'air israélienne avait auparavant mené des raids sur des infrastructures appartenant au Hezbollah, se situant à plus de trente-cinq kilomètres de la frontière entre le nord d’Israël et le sud du Liban.
Nous sommes donc confrontés à une réalité de plus en plus dangereuse sur le front nord d’Israël. Les efforts diplomatiques peinent à stopper la détérioration militaire sur le terrain. Mais le problème est que le Hezbollah fait partie de ce qu’on appelle «l’axe de la résistance» mené par l’Iran. Il en dépend largement. Quant à Israël, il est plongé dans une guerre qu’il qualifie d’«existentielle» dans la bande de Gaza et, en même temps, il envisage sérieusement (selon les messages diplomatiques internationaux envoyés au Liban) la possibilité de recourir à la guerre sur le front nord pour se débarrasser du danger d'être exposé à une opération similaire au «Déluge d'Al-Aqsa». Cette dernière serait menée par le Hezbollah.
L’insistance israélienne et internationale à repousser le Hezbollah à quarante kilomètres de la frontière, au-delà du fleuve Litani, constitue peut-être la base de la crise actuelle. Mais la poursuite de la guerre à Gaza, l’état d’esprit des milieux politique et militaire en Israël ainsi que de l’opinion publique pourraient éliminer bon nombre des réserves qui empêchent une décision de partir en guerre contre le Liban.
Quant au Hezbollah, il souhaite maintenir le statu quo. Non seulement il refuse d’appliquer l’article 8 de la résolution 1 701 du Conseil de sécurité, qui stipule que la zone d’opération de la Force intérimaire des nations unies au Liban (Finul) dans le sud doit être totalement démilitarisée, mais il demande des conditions impossibles (dont il sait d’avance qu’elles ne sont pas sur la table), exigeant que la résolution 1 701 soit amendée en établissant une zone démilitarisée du côté israélien.
En conclusion, le Liban reste extrêmement menacé. Les deux parties ne se soucient guère de ce que veut l’opinion publique libanaise. Israël est préoccupé par la sécurité de sa frontière nord. De son côté, le Hezbollah est préoccupé par son rôle régional. Quant au Libanais ordinaire, il est livré à son sort.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban. Twitter: @AliNahar
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.