L’immigration est à l’origine de la montée du populisme en Occident

Un nouveau projet de loi d’urgence sur le Rwanda, proposé par le gouvernement Sunak, a suscité des critiques. (AFP)
Un nouveau projet de loi d’urgence sur le Rwanda, proposé par le gouvernement Sunak, a suscité des critiques. (AFP)
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Publié le Jeudi 21 décembre 2023

L’immigration est à l’origine de la montée du populisme en Occident

L’immigration est à l’origine de la montée du populisme en Occident
  • De nombreux pays sont aux prises avec un afflux incontrôlable qui a bouleversé le débat public et permis à davantage de partis d’extrême droite d’entrer dans les Parlements et les gouvernements
  • La volonté de limiter l’immigration constitue depuis longtemps un point de ralliement pour la droite et l’extrême droite britanniques

Alors que l’année 2023 touche à sa fin, le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, s’attend à ce que l’année 2024 commence avec le même problème: essayer, sans succès, d’empêcher les petites embarcations de transporter des migrants ou des demandeurs d’asile vers les côtes britanniques. Même si son projet d’envoyer certains d’entre eux au Rwanda obtiendra le feu vert du Parlement l’année prochaine, il est de plus en plus clair que les problèmes d’immigration et de réfugiés ne sont pas près de disparaître, non seulement en Grande-Bretagne mais aussi dans toute l’Europe.

De nombreux pays sont aux prises avec un afflux incontrôlable qui a bouleversé le débat public et permis à davantage de partis d’extrême droite d’entrer dans les Parlements et les gouvernements, normalisant ainsi la ligne dure, le populisme et le discours incendiaire sur l’immigration. Ce discours s’est aujourd’hui imposé, sans qu’aucune tentative raisonnable n’ait été faite pour trouver un dénominateur commun qui permettrait de revoir et de réformer sobrement les lois sur l’asile et l’immigration.

Après s’être entretenu avec la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, afin de promouvoir des réformes globales du système d’asile, M. Sunak a averti que le nombre de migrants pourrait bientôt «submerger» l’Europe, dans un discours que le chef du parti conservateur britannique a prononcé lors d’un rassemblement du parti d’extrême droite de Mme Meloni, les Frères d’Italie. Dans ce discours, il a averti que certains États «ennemis» conduisaient délibérément des personnes vers les côtes britanniques «pour tenter de déstabiliser nos sociétés». Bien qu’il n’ait pas repris les propos de l’ancien président américain Donald Trump selon lesquels les immigrants «empoisonnent le sang de notre pays», M. Sunak a plutôt insisté sur le fait que la résolution de ce problème «exige que nous mettions à jour nos lois et que nous menions la conversation internationale afin de modifier les cadres de l’après-guerre en matière d’asile».

Le Premier ministre britannique — sous le feu des critiques de son propre parti, sans parler d’un électorat lassé par le chaos du Parti conservateur — a salué l’approche de Mme Meloni en matière de lutte contre l’immigration clandestine, tout en annonçant qu’ils étaient convenus de cofinancer un projet visant à aider les migrants tunisiens à retourner dans leur pays d’origine.

Bien que peu de détails aient été révélés sur le plan concernant les migrants tunisiens, il me semble qu’il s’agit d’une nouvelle tentative de dépenser l’argent des contribuables sur un problème complexe, en espérant qu’il le fasse disparaître. Les politiques de M. Sunak et de Mme Meloni font déjà l’objet de vives critiques, le premier pour son projet d’envoyer les demandeurs d’asile au Rwanda et la seconde pour ses efforts visant à limiter les activités des navires de sauvetage des organisations caritatives en Méditerranée.

Le projet britannique d’envoi des demandeurs d’asile au Rwanda, formulé pour la première fois en avril 2022 par Boris Johnson, alors Premier ministre, visait à dissuader les migrants d’entreprendre la dangereuse traversée de la Manche depuis la France et à démanteler le modèle économique des trafiquants d’êtres humains. Selon ce plan, toute personne arrivant illégalement au Royaume-Uni après le 1er janvier 2022 risquait d’être expulsée vers le Rwanda. Toutefois, les premiers vols ont été bloqués par une décision de la Cour européenne des droits de l’homme, que la Cour suprême du Royaume-Uni a approuvée le mois dernier. La décision était fondée sur des motifs de sécurité, par crainte que les demandeurs d’asile renvoyés ne soient envoyés par le Rwanda vers d’autres pays peu sûrs. Londres a déjà versé au Rwanda 240 millions de livres sterling (1 livre sterling = 1,16 euro) pour ce programme, dont la capacité maximale est de 500 demandeurs d’asile.

«De nombreux pays sont aux prises avec un afflux incontrôlable qui a bouleversé le débat public.»

Mohamed Chebaro

Un nouveau projet de loi d’urgence sur le Rwanda, proposé par le gouvernement Sunak, a suscité des critiques de la part de tous les membres du Parti conservateur au pouvoir, ainsi que de l’opposition. Ce projet de loi vise à répondre à l’arrêt de la Cour suprême qui empêche toute personne d’être renvoyée ailleurs qu’en Grande-Bretagne et à affirmer que le Rwanda est un pays sûr. Il désapprouve certaines sections du Human Rights Act britannique et permet aux ministres d’avoir le dernier mot quant au respect des injonctions de la Cour européenne des droits de l’homme.

La volonté de limiter l’immigration constitue depuis longtemps un point de ralliement pour la droite et l’extrême droite britanniques. La «reprise du contrôle» des frontières du pays et la fin de la liberté de circulation ont été des facteurs clés dans le vote de 2016 en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Cela reste l’une des questions les plus importantes pour les électeurs. Cependant, les gouvernements qui se sont succédé au cours des treize dernières années n’ont pas réussi à limiter l’immigration nette à moins de 100 000 personnes par an, comme le Parti conservateur avait promis de le faire en 2010. En 2022, ce chiffre atteindra 745 000, en partie grâce à de nouvelles règles de visa pour les arrivants d’Ukraine et de Hong Kong.

M. Sunak estime qu’une série de mesures annoncées ce mois-ci permettra de réduire le nombre d’arrivées de 300 000 par an, tout en espérant que le projet d’envoi des demandeurs d’asile au Rwanda contribuera à faire baisser le nombre d’arrivées par petites embarcations en deçà des 45 000 enregistrés l’année dernière.

L’idée d’envoyer les demandeurs d’asile dans un pays lointain trotte depuis longtemps dans la tête de nombreuses personnes, les dirigeants populistes ne cessant d’insister sur la menace que les migrants représentent pour la population autochtone. Récemment, cette idée est devenue un moyen pour les futurs dirigeants de gagner facilement des voix. Toutefois, ce problème ne disparaîtra pas simplement en adoptant des politiques de dissuasion peu convaincantes, d’autant plus que tous les chiffres indiquent une pénurie de main-d’œuvre et un besoin de travailleurs étrangers dans divers secteurs des économies occidentales.

Au cours de mes dizaines d’années de travail sur l’immigration et les réfugiés en Europe, ce problème a souvent fait partie de la conversation sur les avantages que les nouveaux arrivants apportent aux économies des nations, malgré la pression qu’ils exercent sur les services publics qui ont souvent été privés de ressources en raison de plus d’une décennie d’austérité, comme c’est le cas au Royaume-Uni. La question a longtemps été utilisée comme un leurre par des politiciens et des partis politiques concurrents.

Ces dernières années, cependant, la montée des sentiments nationalistes anti-immigrés au Royaume-Uni et dans plusieurs pays de l’UE, dont l’Italie, la Suède et les Pays-Bas, a suscité un regain d’intérêt. Divers acteurs politiques d’extrême droite ont saisi cette occasion pour accroître leur capital en promouvant un discours clivant et souvent haineux sur les migrants. Les électeurs mécontents ont été amenés à croire que le contrôle des tendances en matière d’immigration et d’asile était la réponse à tous les maux qui, depuis des années, remettent en cause leur sentiment de sécurité et de prospérité.

Au lieu d’écouter des discours creux qui ne font que nuire à la cohésion sociale et, dans de nombreux cas, aux secteurs économiques qui dépendent fortement des travailleurs migrants, les pays d’Europe et d’ailleurs devraient s’efforcer d’améliorer leur filtrage et leur contrôle des demandeurs d’asile et des migrants illégaux, tout en respectant les principes du droit humanitaire international. De cette manière, ceux qui sont jugés inadmissibles peuvent être rapidement renvoyés dans leur pays d’origine ou de transit, tandis que ceux qui restent peuvent être aidés à s’intégrer et à devenir des contributeurs positifs à leur nouvelle société d’adoption.

Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d'expérience de couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l'actualité et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com