La presse ne s’est pas trompée: elle a vu dans le fiasco de la loi sur l’immigration à l’Assemblée nationale l’échec définitif de la politique du «en même temps», une marque de fabrique qui, jusque-là, avait été plutôt efficace. Mais le président ne pouvait séduire durablement la gauche et la droite sans risquer de se retrouver dans une impasse. Cela a été le cas avec de nombreuses thématiques,mais le fameux article 49.3 de la Constitution avait camouflé ses limites tout en montrant l’absence criante de majorité.
Pour bien mesurer l’importance de l’échec du gouvernement à discuter et à adopter le texte sur l’immigration, il faut rappeler deux éléments essentiels qui furent à l’origine de l’élaboration de cette loi, qui est venue s’ajouter à un arsenal juridique déjà bien fourni. D’abord, le président Macron avait proposé cette démarche aux Français comme une réponse à leurs angoisses sécuritaires.
Les récents attentats terroristes qui ont ensanglanté la France ont presque tous été commis par de jeunes immigrés ou des individus issus de l’immigration. Cela a permis à l’opposition de la droite et de l’extrême droite de lier directement immigration et terrorisme. Une loi encore plus dure qui gérerait avec davantage de restrictions la question migratoire était présentée comme une thérapie destinée à rassurer des Français inquiets de la dégradation de leur situation sécuritaire.
Ensuite, il y a la course-poursuite politique entamée par Emmanuel Macron dans le but de barrer la route à l’extrême droite, animée par le trio Marine Le Pen, Marion Maréchal et Éric Zemmour. Cette dernière a vu récemment ses scores s’envoler et sa crédibilité s’est renforcée auprès des Français. Un groupe massif de députés a investi l’Assemblée nationale, ce qui a rendu possible l’idée d’une victoire de Marine Le Pen lors de la prochaine présidentielle, en 2027. La Constitution n'autorise pas Emmanuel Macron à prétendre à un troisième mandat.
Monopole des angoisses sécuritaires
Lorsque le président français a fait le choix de concentrer l’attention de son gouvernement sur cette crise migratoire, le but assumé était de ne pas laisser à l’extrême droite le monopole des angoisses sécuritaires des Français. D’où le choix de confier cette mission à Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, un homme issu du parti Les Républicains et qui rappelle – jusqu’à dans ses tics et ses réflexes – la personnalité de Nicolas Sarkozy. Il s’est d’ailleurs employé à parler «cash» pour ne pas laisser à l’extrême droite l’exclusivité de la revendication sécuritaire.
Avec l’échec de la loi sur l’immigration, Emmanuel Macron vit un moment politique particulièrement difficile. L’Élysée avait fait savoir que, en cas de refus de cette loi, même en recourant à la commission mixte paritaire, le gouvernement ne ferait pas appel à l’arsenal d’exception qu’est le 49.3. Elle est donc menacée de retrait pur et simple. Cette séquence donne l’image d’un second mandat à bout de souffle alors même qu’il n’a pas entamé sa seconde année.
Récemment, la presse française s’est fait l’écho de cette atmosphère de fin de règne (bien qu’il reste trois ans et demi avant le prochain scrutin présidentiel) qui caractérise la situation politique dans l’Hexagone. La question qui hante les différents cénacles politiques est la suivante: que pourra faire Emmanuel Macron pour donner une nouvelle dynamique à son second mandat? Une dissolution de l’Assemblée nationale et de nouvelles élections législatives dans le but d’obtenir une hypothétique majorité absolue? Un changement de Premier ministre – mais qui remplacera Élisabeth Borne et qui pourra faire mieux qu’elle dans des conditions semblables?
Avant même la mésaventure de cette loi sur l’immigration au Parlement, Emmanuel Macron avait promis aux Français un grand rendez-vous politique au début du mois de janvier 2024. Cette annonce avait été comprise à l’époque comme une décision de changer le locataire de Matignon.
Ironie de l’histoire: si Gérald Darmanin avait réussi à arracher une majorité parlementaire à sa loi sur l’immigration, il aurait été le candidat naturel pour succéder à Élisabeth Borne. Or, son échec maintient la confusion politique; en outre, il réduit la marge de manœuvre d’Emmanuel Macron. Que peut encore faire le président français pour surprendre et pour donner l’impulsion nécessaire afin de redorer à son mandat et de mettre fin à la routine ainsi qu’à l’interminable attente de la fin de mandat?
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.