Le paradoxe de la politique américaine sur la guerre à Gaza arrive à son terme

Robert Wood, représentant suppléant des États-Unis à l’ONU, vote contre l’appel du Conseil de sécurité de l’ONU à un cessez-le-feu à Gaza, le 8 décembre 2023. (Photo, AFP)
Robert Wood, représentant suppléant des États-Unis à l’ONU, vote contre l’appel du Conseil de sécurité de l’ONU à un cessez-le-feu à Gaza, le 8 décembre 2023. (Photo, AFP)
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Publié le Mardi 19 décembre 2023

Le paradoxe de la politique américaine sur la guerre à Gaza arrive à son terme

Le paradoxe de la politique américaine sur la guerre à Gaza arrive à son terme
  • Les États-Unis ont utilisé leur droit de veto, l’un de leurs outils diplomatiques les plus puissants pour empêcher l’adoption d'une résolution contraignante de l’ONU appelant à un cessez-le-feu à Gaza
  • Avec l’augmentation du nombre de morts dans la bande de Gaza, les États-Unis seront de plus en plus isolés sur la scène internationale et complices des massacres perpétrés par Israël

Tous les conflits sont ponctués de moments cruciaux qui révèlent les véritables intentions des principaux protagonistes et rendent les eaux troubles de la guerre un peu plus claires. Dans ce contexte, qu’avons-nous appris du vote du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a eu lieu la semaine dernière, sur une proposition de résolution présentée par les Émirats arabes unis appelant à un cessez-le-feu immédiat dans la guerre à Gaza, et du vote similaire qui a suivi au sein de l’Assemblée générale de l’ONU dans son ensemble?

Nous avons appris que la grande majorité des pays présents dans ces deux instances de l’ONU soutiennent les appels à un cessez-le-feu immédiat et à la reprise de l’aide humanitaire. Malheureusement, nous avons également appris que les États-Unis étaient prêts à bloquer la résolution en utilisant leur droit de veto au Conseil de sécurité. Cela soulève la question suivante: Quelles sont les véritables intentions de Washington?

D’une part, les responsables américains expriment de vives inquiétudes sur la manière dont Israël mène sa guerre contre le Hamas en utilisant des méthodes qui provoquent une dévastation et des souffrances inimaginables pour les Palestiniens de Gaza, non-combattants, et qui entraînent la mort d’un nombre insoutenable de personnes.

D’autre part, les États-Unis ont utilisé l’un de leurs outils diplomatiques les plus puissants pour empêcher l’adoption d'une résolution contraignante de l’ONU appelant à une cessation immédiate des hostilités.

S’agit-il d’un paradoxe inhérent que l’administration actuelle ne parvient tout simplement pas à comprendre? Ou s’agit-il plutôt d’une tactique délibérée visant à donner plus de temps à Israël pour mener sa guerre à Gaza?

Le monde entier s’accorde à dire que les conditions humanitaires à Gaza sont intolérables. Le Conseil de sécurité, qui compte 15 membres, a voté la résolution sur le cessez-le-feu par 13 voix contre 1, les États-Unis ayant voté contre et le Royaume-Uni s’étant abstenu. La décision des États-Unis d’opposer leur veto à la résolution est en totale contradiction avec les préoccupations exprimées par le secrétaire d’État, Antony Blinken, au sujet de l’augmentation du nombre de morts à Gaza. Il a déclaré que «l’intention» d’Israël de limiter les pertes civiles dans la bande de Gaza ne s’est pas toujours «manifestée». «Nous le constatons tant en terme de protection des civils que d’aide humanitaire», a-t-il ajouté.

Dans des déclarations plus explicites, il a admis que le nombre de victimes était inacceptable et qu’«il est impératif qu’Israël accorde une grande importance à la protection des civils».

Toutefois, tant que cela ne se traduira pas par une politique contribuant à mettre fin aux combats, les États-Unis seront de plus en plus isolés sur la scène internationale et complices des massacres perpétrés par Israël dans la bande de Gaza. De même, cela crée un désaccord évident avec le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui est devenu la référence morale la plus en vue et la plus vocale dans ses demandes de cessez-le-feu.

Le 7 octobre, Israël a subi la pire perte de vies humaines en une seule journée depuis la création du pays. Par conséquent, non seulement disposait-il de la supériorité morale, mais il était tout à fait en droit de réagir, mais uniquement contre les responsables du massacre de ce jour-là. La plupart des pays du monde l’ont compris et beaucoup l’ont soutenu. Cependant, sur la base des expériences passées, ils ont craint que la réponse ne soit totalement disproportionnée. Ces craintes se sont rapidement concrétisées.

Si le conflit persiste, ses conséquences ne feront qu’empirer, ce qui s’explique en grande partie par le fait que le gouvernement israélien n’a pas de plan clair pour la guerre, ni pour le lendemain. Cela signifie que la situation actuelle reste ouverte et que la population de Gaza paye un lourd tribut.

«Le monde entier s’accorde à dire que les conditions humanitaires à Gaza sont intolérables»

Yossi Mekelberg

Au Conseil de sécurité, Robert Wood, représentant suppléant des États-Unis auprès de l’ONU, a pris une position qui reflète l’approche incohérente de l’administration Biden sur la question, une approche qui nuit non seulement aux efforts pour mettre fin à la guerre mais aussi aux intérêts américains, alignant complètement son pays sur le gouvernement d’Israël, un pays dirigé par un Premier ministre discrédité au niveau international, Benjamin Netanyahou, dont le propre peuple ne lui fait plus confiance et demande son départ.

M. Netanyahou a expliqué que les États-Unis avaient bloqué la résolution proposée pour donner à Israël une chance de «briser le cycle de la violence incessante afin que l’Histoire ne se répète pas» et qu’un cessez-le-feu «ne ferait que planter les graines de la prochaine guerre, car le Hamas n’a aucun désir de voir une paix durable». «Notre objectif ne devrait pas être d’arrêter la guerre pour aujourd’hui, mais d’arrêter la guerre pour toujours», a-t-il souligné.

Il ne s’agit pas seulement d’un vœu pieux, voire d’une fantaisie totale, mais d’une idée dangereuse en faveur d’une nouvelle guerre sans fin – et qui a plus d’expérience que les États-Unis en matière de participation à de telles guerres?

Outre le fait que cette approche prolonge une guerre sans stratégie de sortie définie, elle met en danger la vie des derniers otages détenus par le Hamas et entraîne une intensification des combats dans la zone de plus en plus restreinte de Gaza, où se concentre désormais la majeure partie de la population du territoire qui a été contrainte de fuir. C’est la recette d’une catastrophe humanitaire encore plus grave que celle que nous avons connue jusqu’à présent, entraînant encore plus de haine et de radicalisation.

Dans l’incohérence de cette approche américaine de la guerre, sans doute hypocrite, qui donne à Israël plus de temps pour atteindre ses objectifs militaires, Washington signale en même temps aux Israéliens que son soutien ne durera pas éternellement et qu’il est à bout de patience.

Néanmoins, chaque jour qui passe, voire chaque semaine ou mois de bombardements dévastateurs, est horrible pour la population locale et pourrait conduire, comme l’a suggéré M. Guterres, à une rupture totale de l’ordre civil, entraînant un exode massif de réfugiés vers l’Égypte.

Implicitement, pour certains membres de la coalition au pouvoir en Israël plutôt ouvertement, c’est peut-être précisément ce que les autorités israéliennes souhaiteraient voir se produire. Cependant, elles devraient faire attention à ce qu’elles souhaitent, car une telle issue compromettrait inévitablement les relations avec l’Égypte et d’autres pays de la région, sans parler du fait qu’elle équivaudrait à un nettoyage ethnique.

La tension entre M. Guterres et les États-Unis n’arrange rien. Le premier est exaspéré par le refus du second de reconnaître que la capacité de l’ONU à continuer à fournir une aide humanitaire significative à Gaza diminue rapidement, tandis que Washington considère le secrétaire général lui-même comme un obstacle aux efforts d’Israël pour éliminer le Hamas.

En prenant la décision courageuse et correcte d’invoquer l’article 99 de la Charte des Nations unies, qui lui permet de porter directement à l’attention du Conseil de sécurité une menace perçue pour la sécurité mondiale, M. Guterres a peut-être exaspéré Washington, mais il a rendu son rôle et celui du Conseil de sécurité plus pertinents qu’ils ne l’avaient été depuis très longtemps. En revanche, les États-Unis se sont retrouvés de plus en plus isolés et sans pertinence dans ce conflit.

Par conséquent, compte tenu de ce qui se passe sur le terrain à Gaza et de la fureur internationale suscitée par le veto de Washington, la prochaine étape doit consister à soumettre cette résolution au Conseil de sécurité pour un nouveau vote, en espérant cette fois que personne ne s’y opposera.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House.

X: @YMekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com