L'année 2020 a été rude pour les pays du Sahel : économies fragiles frappées de plein fouet, pandémie galopante, dans un climat d'insécurité aggravée qui a laminé les vestiges des institutions étatiques en place.
Cette zone qui est la ligne médiane sensible entre l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne risque fort de constituer dans l'avenir proche le grand défi stratégique pour les puissances européennes impliquées dans les enjeux géopolitiques africains et en premier lieu la France, ancienne puissance coloniale de la région.
Le Sahel présente en effet trois particularités distinctives qui sont:
- l'entrecroisement d’espaces géographiques et culturels divers centrés sur le grand désert saharien et les lacs du Niger et du Tchad sur lesquels se sont forgés par le passé des empires multiséculaires et toute une économie-monde florissante
- l'émergence d’entités politiques souveraines fragiles qui se sont partagé l'espace sahélien à l'issue des politiques de décolonisation française entamées depuis les célèbres «réformes Debré» de 1958 visant à octroyer l'indépendance aux anciennes colonies africaines
- l’irruption de régimes militaires, souvent dans des contextes de guerres civiles larvées alimentées par les demandes et luttes de reconnaissance communautaires. Les changements militaires ont pris couramment l'aspect de sortie salvatrice d'une crise politique inextricable.
Avec les dynamiques d'ouverture démocratique des années 1990, les pays sahéliens ont vécu une alternance cyclique continue entre des régimes militaires transitoires et des gouvernements frêles issus d’élections pluralistes souvent controversées.
Le phénomène de terrorisme violent qui a secoué toute la région durant la dernière décennie a été à la fois la planche de projection des dysfonctionnements des systèmes de gouvernance politique sahéliens et le détonateur d'un état de crise structurelle qui nécessite une nouvelle approche qui rompt avec les arrangements antérieurs inopérants.
Les efforts conjugués des cinq pays du Sahel, regroupés dans un système d'alliance et de coopération pour endiguer le fléau terroriste, n'ont eu que des résultats mitigés. La spirale de violence continue à tourner, les antagonismes communautaires se renforcent, les conditions de vie économique se détériorent, la classe politique se déchire, et les horizons transitoires n'enchantent plus les acteurs politiques.
La France, engagée depuis 2013 dans une vaste initiative de sécurisation du Sahel qui implique l'intervention militaire directe contre les cibles terroristes et le renforcement des capacités des armées sahéliennes, finit aujourd'hui par reconnaître les limites objectives de cette stratégie faiblement soutenue par ses alliés européens et américains. Le président Macron, qui a été jusqu'à une période récente intransigeant vis-à-vis du dialogue avec les mouvements armés radicaux, a entériné dernièrement l'optique d’un dialogue inclusif et inconditionnel défendu par le nouveau chef de gouvernement malien.
Ce développement notoire augure une réelle impasse dans les stratégies de lutte contre le terrorisme, au moment même où la France cherche à réduire son dispositif militaire au Sahel.
Il y a lieu de conjurer l'amalgame récurrent entre les impératifs de résolution pacifique des conflits interethniques ou intercommunautaires qui font souvent le lit des mouvements terroristes et le phénomène terroriste en soi qui relève d'une dynamique de criminalisation du jeu politique non réductible aux facteurs sociopolitiques.
Le terrorisme sahélien, tout en ayant ses déterminants endogènes, est étroitement lié au contexte global où sévissent des situations de violence permanente qui constituent une menace sérieuse sur la pérennité des États nationaux et sur les équilibres géopolitiques régionaux.
Affronter sereinement les défis internes de cohésion sociale et d'intégration citoyenne ne pourrait nullement justifier les mesures de compromission vis-à-vis des mouvements radicaux terroristes.
Si le dialogue avec les extrémistes fanatiques conduits par les leaders religieux peut, dans des contextes donnés, produire des résultats effectifs, le radicalisme violent ne peut être traité comme un courant d'opinion ou comme une tendance politique légitime.
Entretenir la confusion entre les deux registres peut s'avérer fatal pour les stratégies de lutte contre le terrorisme, et c'est ce que redoutent actuellement les gouvernements sahéliens inquiets des nouveaux choix du gouvernement de transition malien.
Le pire des scénarios à craindre est que les arrangements tactiques avec les entrepreneurs de violence occultent les demandes sociopolitiques légitimes revendiquées par les courants nationalistes marginalisés par les forces extrémistes qui occupent le devant de la scène.
Ce scénario a été expérimenté au Mali en 2015, les accords d'Alger conclus à cette époque entre le gouvernement de Bamako et la coalition des mouvements d'Azawad sont restés lettre morte. Dès lors, les groupes radicaux ont occupé le terrain et se sont imposés comme les interlocuteurs uniques dans les initiatives de dialogue national.
En résumé, si la stratégie de pacification du Sahel passe nécessairement par la résolution des problèmes politiques internes, le phénomène terroriste en soi ne peut être considéré comme un enjeu politique.
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.