Il est primordial pour l’Irak de maintenir des liens solides avec les États-Unis

Les forces antiterroristes irakiennes montant la garde devant l’ambassade américaine à Bagdad, en Irak, le 30 mai 2021 (Photo, Getty Images).
Les forces antiterroristes irakiennes montant la garde devant l’ambassade américaine à Bagdad, en Irak, le 30 mai 2021 (Photo, Getty Images).
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Publié le Vendredi 15 décembre 2023

Il est primordial pour l’Irak de maintenir des liens solides avec les États-Unis

Il est primordial pour l’Irak de maintenir des liens solides avec les États-Unis
  • Le Premier ministre irakien, Mohammed Chia al-Soudani, a exprimé sa profonde préoccupation face aux salves de roquettes ayant visé l’ambassade américaine
  • La rupture des liens entre les États-Unis et l’Irak pourrait entraîner un accroissement de l’instabilité politique, susceptible d’exacerber les conflits internes et la violence dans le pays

Compte tenu du conflit actuel entre Israël et le Hamas, une série d’évolutions préoccupantes sont apparues en Irak, où des milices soutenues par l'Iran ont lancé de nombreuses attaques contre l'ambassade américaine à Bagdad et visé d'autres infrastructures où se trouvent les forces armées américaines.

Au-delà de la simple représentation diplomatique, les États-Unis maintiennent une présence d’environ 2 500 soldats en Irak, leur mission étant d’offrir conseils et appui aux forces locales engagées dans la lutte contre Daech.

Le Département d’État américain a fermement condamné la semaine dernière les récentes attaques à la roquette, exprimant sa profonde inquiétude concernant la menace que ces milices pro-iraniennes représentent pour la sécurité et la stabilité de l’Irak.

Le Premier ministre irakien, Mohammed Chia al-Soudani, a également dénoncé le ciblage des ambassades comme intolérable, soulignant la nécessité de traduire les responsables en justice. Il a exprimé sa profonde préoccupation face aux salves de roquettes lancées contre l’ambassade américaine, et a appelé les forces de sécurité irakiennes à déployer tous les efforts possibles pour retrouver les coupables de ce grave délit.

Dans une démarche ironique caractéristique des administrations irakiennes successives, Al-Soudani a enclenché une réaction à plusieurs niveaux face à la situation. Il a tout d’abord ordonné une enquête approfondie sur les milices responsables de ces attaques. Ce dispositif de vérification viserait à déterminer quels sont les individus et groupes impliqués dans l'orchestration et l'exécution de ces attaques à la roquette et, à terme, à garantir que les responsables soient tenus responsables de leurs actions.

En outre, le Premier ministre a entrepris un changement organisationnel en remplaçant le régiment de sécurité au sein de la Zone verte hautement fortifiée de Bagdad. Cette décision visait à renforcer les mesures de sécurité au sein de cet important périmètre, qui abrite des missions diplomatiques et des infrastructures gouvernementales vitales.

Les déclarations et les actions entreprises par le dirigeant irakien peuvent sembler appréciables à première vue, dans la mesure où il cherche à projeter l’image d’une maîtrise du paysage sécuritaire au sein de son pays, et à démontrer son engagement à demander des comptes aux milices pro-iraniennes responsables de ces infractions commises à l’encontre des intérêts  étrangers et nationaux. Cependant, un examen plus approfondi de ces mesures soulève des questions pertinentes quant à leur efficacité et à leurs profondes motivations.

L’ouverture d’une enquête, apparemment destinée à découvrir et appréhender les responsables de ces attaques, incite à réfléchir sur sa signification. Il est préoccupant de se demander si de telles enquêtes donneront des résultats significatifs, surtout à la lumière des rapports indiquant que le dirigeant irakien connaît déjà l’identité des coupables.

Cette apparente contradiction suscite des inquiétudes sur l’efficacité et la sincérité de telles enquêtes, car elle amène à se demander si elles constituent avant tout des gestes symboliques plutôt que des actions concrètes visant à ce que les responsables rendent des comptes.

Paradoxalement, les dirigeants des principales factions irakiennes, comme le chef de la milice Kata’ib Sayyid al-Shuhada, ont publiquement rejeté toute idée de cessation ou de réduction de leurs opérations. Leur ferme engagement dans les conflits actuels est lié de façon claire aux événements externes, notamment à la guerre à Gaza. Ces déclarations soulignent la complexité de la situation et les motivations profondément ancrées qui nourrissent les actions de ces milices, rendant de plus en plus difficile la résolution effective des problèmes sous-jacents par les seules enquêtes.

En outre, de hauts responsables de Kata’ib Hezbollah, une autre puissante milice, ont juré de façon résolue de continuer à cibler les structures américaines en Irak. Cette position intransigeante défie non seulement les instructions du dirigeant irakien, mais souligne également la persistance de revendications qui continuent d’alimenter les conflits.

Le plus inquiétant est peut-être le défi ouvert lancé par ces milices aux dirigeants irakiens eux-mêmes. Elles prétendent que les membres des forces de sécurité irakiennes qui coopèrent avec les forces américaines sont «complices de leurs crimes». Cette affirmation tendancieuse sape non seulement l’autorité du gouvernement irakien, mais contribue également à exacerber les divisions internes, compliquant toute perspective de réconciliation ou de règlement de la situation.

Un examen rapide des émissions de télévision irakiennes fournit la preuve indubitable que les dirigeants des milices pro-iraniennes font preuve d’un mépris flagrant de l’autorité conférée au Premier ministre, et de l’État de droit en Irak. Ce mépris inquiétant vis-à-vis des structures de gouvernance en place suscite des préoccupations quant à la possibilité que ces milices exercent une influence considérable, dans la mesure où elles pourraient potentiellement saper le pouvoir d’Al-Soudani si l’Iran choisissait d’exercer une telle influence. 

Les actions et le discours des chefs de milices pro-iraniennes véhiculent le message qu’ils opèrent en dehors des limites de la loi et agissent en toute impunité, remettant en question les fondements mêmes de la gouvernance démocratique et de l’État de droit que l’Irak aspire à faire respecter.

La possibilité que Téhéran choisisse d’utiliser ces milices comme instruments de sa politique étrangère ou pour exercer une pression sur le gouvernement irakien par leur intermédiaire est un scénario profondément inquiétant. Cela soulève des questions pressantes sur la souveraineté de l’Irak et sa capacité à prendre des décisions de manière indépendante face aux pressions extérieures. Cela souligne également la nature instable et précaire du paysage politique et sécuritaire en Irak, où les acteurs non étatiques soutenus par des puissances externes ont la capacité de perturber et de remettre en question la stabilité et la gouvernance du pays.

Le régime iranien cherche indéniablement à nuire aux relations bilatérales entre Bagdad et Washington. S’il y réussissait, cela aurait des conséquences désastreuses pour l’Irak, influant profondément sur la dynamique politique, économique et sécuritaire du pays.

La rupture des liens entre les États-Unis et l’Irak pourrait entraîner un accroissement de l’instabilité politique dans le pays, susceptible d’exacerber les conflits internes et la violence, alors que diverses factions se disputent le pouvoir. L’Irak présente un paysage politique fragile, caractérisé par de multiples divisions ethniques et sectaires. L’engagement des États-Unis a joué un rôle dans le maintien d’un semblant de stabilité, en servant de médiateur entre les différentes factions. Couper les liens entre les deux pays pourrait accroître l’instabilité politique, exacerbant potentiellement les conflits internes et pouvant même conduire à la violence.

Les États-Unis aident également l’Irak dans sa lutte contre divers groupes extrémistes, notamment Daech. Leur complet désengagement pourrait affaiblir la capacité de l’Irak à combattre efficacement ces menaces. Cela pourrait potentiellement permettre aux groupes extrémistes de se regrouper et de se renforcer, ce qui constituerait un danger pour l'Irak mais aussi pour la sécurité régionale et mondiale.

«La rupture des liens entre les États-Unis et l’Irak pourrait entraîner un accroissement de l’instabilité politique, susceptible d’exacerber les conflits internes»

Dalia al-Aqidi

Par ailleurs, l’économie irakienne est étroitement liée à celle des États-Unis à travers les relations commerciales, les investissements et les exportations de pétrole. La perturbation de ces relations financières pourrait entraîner des difficultés économiques en Irak.

Les conséquences ont également une dimension humanitaire. Washington a fourni une aide et une assistance humanitaires au gouvernement central, notamment un soutien aux populations déplacées, ainsi qu’un travail de reconstruction. L’arrêt de ces programmes aurait un impact important sur ces actions et pourrait aggraver la situation humanitaire déjà désastreuse dans certaines régions de l’Irak.

Il est impératif que Mohammed Chia al-Soudani et les autres dirigeants politiques irakiens restent parfaitement conscients des ambitions iraniennes, et fassent preuve de circonspection pour prévenir toute détérioration des relations avec Washington. Tout manquement en ce sens pourrait avoir des conséquences désastreuses, le grand perdant étant le peuple irakien. Il est dans l’intérêt supérieur de l’Irak de maintenir des relations internationales harmonieuses et constructives, pour la prospérité et la stabilité de la nation.

Dalia al-Aqidi est chercheuse principale au Center for Security Policy.
X: @DaliaAlAqidi

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com