Le courageux secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a invoqué la semaine dernière l’article 99 de la Charte des Nations unies pour demander un cessez-le-feu à Gaza afin de préserver la paix et la sécurité internationales. Cet article n'avait pas été invoqué depuis plus de cinquante ans. Les États-Unis ont été les seuls à y opposer leur veto au Conseil de sécurité de l’ONU.
Les États-Unis ont pris un grand risque en opposant leur veto à l’appel à un cessez-le-feu. L’Assemblée générale de l’ONU a voté mardi à une écrasante majorité en sa faveur. Si les craintes d’Antonio Guterres se réalisent et que le système humanitaire à Gaza s’effondre, ou si la situation dégénère en guerre régionale, tout le monde accusera les États-Unis. Les États-Unis s’enfoncent avec Israël dans cette guerre. Israël semble diriger la politique américaine au Moyen-Orient, et non l’inverse. Plus l’administration Biden transfère d’armes vers Israël, plus elle se rend coupable de ce meurtre de masse. Le président Joe Biden a contourné le Congrès samedi, en approuvant d’urgence le transfert d’obus de chars vers Israël.
Malgré les reportages des médias affirmant que les États-Unis ont donné à Israël jusqu'en janvier pour terminer sa campagne militaire, les allégations de différends à huis clos, ainsi que les timides critiques américaines selon lesquelles le gouvernement Netanyahou n'en fait pas assez pour réduire le nombre de morts parmi les civils, ce que nous constatons aujourd'hui est un indéfectible soutien américain au comportement incontrôlé d'Israël. La guerre est menée sans aucune stratégie de sortie ni aucune vision politique. Israël n’accepte rien d’autre que la défaite totale du Hamas, ce qui est irréaliste. Les combattants du Hamas se battront jusqu’à la mort s’ils y sont acculés, et ce n’est dans l’intérêt de personne.
Le temps ne joue pas en faveur d’Israël, mais en faveur du Hamas. Plus Israël assassine de civils innocents, plus l’opinion publique mondiale se retournera contre lui. Plus il y aura de soldats israéliens qui rentreront chez eux dans des cercueils, plus le peuple israélien sera en colère. Plus les jours passent où le gouvernement israélien ne parvient pas à sauver des otages, plus la colère grandit parmi les Israéliens et plus ces derniers deviennent méfiants envers leur État. Et à mesure que le temps passe et que le Hamas tient bon, il prouve sa force et sa ténacité.
Les Houthis commencent maintenant à attaquer tous les navires se dirigeant vers les ports israéliens. Au début, ces frappes ont toutes été interceptées, mais un pétrolier norvégien a été touché par un missile lundi, et en cas d'erreur de calcul à l'avenir, la situation pourrait devenir incontrôlable. Le même scénario se produit sur le front nord. Même si Israël et le Hezbollah souhaitent garder la confrontation sous contrôle, une escalade pourrait survenir. Un cessez-le-feu est dans l’intérêt de tous. Néanmoins, tout cessez-le-feu doit être accompagné d’un plan pour l’avenir.
Les États-Unis devraient faire pression en faveur d’un cessez-le-feu et d’un plan pour Gaza. Ils devraient faire pression maintenant, avant qu’un scénario des lendemains ne soit plus possible. Israël est en train de transformer Gaza en un autre Stalingrad. Ses bombardements rendent la bande de Gaza inhabitable. On craint de plus en plus un exode massif de Gaza vers l’Égypte, ce qui compliquerait encore davantage le problème. Une expulsion des Palestiniens vers le Sinaï – un projet défendu par plusieurs politiciens israéliens – entraînerait d’énormes retombées en Égypte. Cela pourrait déstabiliser le pays et peut-être conduire à une guerre. Les États-Unis devraient donc agir avant qu’un exode de facto ne se produise.
«Un cessez-le-feu est dans l’intérêt de tous. Néanmoins, tout cessez-le-feu doit être accompagné d'un plan pour l’avenir»
Dr Dania Koleilat Khatib
Pour y parvenir, la Maison Blanche devrait se montrer pragmatique et pousser Israël à abandonner ses objectifs maximalistes. Biden a averti mardi qu’Israël perdait du soutien, mais cela ne suffit pas: il devrait pousser Tel Aviv à accepter la réalité. Même si Israël devait remporter la victoire, ce serait une victoire à la Pyrrhus dont il ne se remettrait jamais. Les États-Unis, au lieu d’accéder aux demandes des Israéliens, devraient leur faire comprendre que le Hamas ne peut pas être vaincu militairement. Le groupe peut toutefois être démantelé par une solution politique, comme cela a été le cas pour de nombreux autres mouvements de résistance armée au cours de l’Histoire.
Un cessez-le-feu devrait être associé à un accord avec le Hamas prévoyant une sortie en toute sécurité pour les dirigeants du groupe et une amnistie pour ses combattants. Un accord devrait être conclu avec le Qatar et avec l’Iran. Doha peut mener la médiation et éventuellement offrir un refuge aux dirigeants. Téhéran aurait besoin de motivations pour mettre un terme à son soutien militaire aux Brigades Al-Qassam. Cet accord pourrait inclure l'arrêt total des activités d'Al-Qassam en échange d'une promesse d'organiser des élections dans les dix-huit mois à venir pour un nouveau gouvernement de transition. Ce gouvernement négocierait ensuite sur les questions du statut final d'un État palestinien.
Entre-temps, Gaza pourrait être gouvernée par une force de dissuasion arabo-islamique sous l’égide de l’ONU, qui travaillerait également à la construction de structures de gouvernance dans l’enclave. Il est très important que les forces qui prennent le contrôle de Gaza aient une légitimité parmi la population gazaouie, sinon elles se heurteront à une résistance. Ici aussi, les États-Unis ne devraient pas se plier aux caprices d’Israël. Washington devrait faire comprendre aux Israéliens que ce ne sont pas eux qui choisiront à leur gré qui gouvernera Gaza, et qu’ils n’ont pas non plus le droit d’y entrer et d’en sortir à leur guise.
La même chose devrait être appliquée en Cisjordanie. L’armée israélienne devrait progressivement se retirer et être remplacée par une force multilatérale. Israël devrait dans un premier temps arrêter la construction de colonies, avant de les démanteler en second lieu pour permettre la création d’un État palestinien souverain et indépendant.
Israël n’apprécierait certainement pas ce scénario et utiliserait son groupe de pression intérieur aux États-Unis pour le contrecarrer. Cependant, l’administration américaine devrait résister à de telles pressions, car une guerre régionale nuirait à l’intérêt national des États-Unis et anéantirait toute perspective de réélection de Biden.
Israël met actuellement les autres parties dos au mur. Il vient de lancer un avertissement au Hezbollah au Liban. S’il agit en conséquence, l’Iran va-t-il garder le silence? J'en doute. Peut-il cibler les intérêts américains dans le Golfe? C’est tout à fait possible. Il est désormais temps pour les États-Unis de montrer leur détermination et de contraindre Israël à accepter un cessez-le-feu. Sinon il sera trop tard, et ce sera l’Oncle Sam qui en supportera les conséquences.
La Dr Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, en particulier sur les groupes de pression. Elle est cofondatrice du Research Center for Cooperation and Peace Building (Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix), une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la diplomation parallèle (Track II).
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com