PARIS: Ni retrait du texte, ni démission ministérielle, mais la poursuite du parcours législatif en "commission mixte paritaire": le piteux épisode de la loi immigration illustre l'engluement de la majorité relative macroniste, au risque de nourrir un sentiment d'impuissance politique dans l'opinion.
Lundi, après le rejet du texte grâce aux voix de son groupe associées à celles de la gauche et de LR, Marine Le Pen ironisait: "Se faire donner des leçons de débat par un gouvernement qui en est à son vingtième 49.3? Il faut quand même un poil manquer de décence..."
Car depuis dix-huit mois que la macronie n'a plus qu'une majorité relative à l'Assemblée nationale, les accusations de "passage en force" fleurissent, désormais appliquées au choix de réunir une commission mixte paritaire pour faire aboutir la loi immigration.
"Ce n'est pas nouveau: en majorité relative, il n'y a que deux issues, le compromis ou le passage en force", note Anne-Charlène Bezzina, maître de conférence en droit public à l'université de Rouen. Mais si Michel Rocard, Premier ministre entre 1988 et 1991 avait lui aussi dû activer plusieurs outils constitutionnels en raison d'une majorité relative, "aujourd'hui, entre LFI et le RN, cela apparaît un peu plus brutal", observe-t-elle.
"Le 49.3 a enraciné une pratique vue comme très verticale, un déni démocratique, ce qui n'était pas du tout le cas auparavant", abonde le directeur de l'Ifop, Frédéric Dabi. Le politologue estime toutefois que si "le sentiment d'autoritarisme" mis en évidence dans les études d'opinion "est associé" à l'accusation de pratiques anti-démocratiques, "c'est plutôt l'absence de résultats" qui provoque ce discours.
"Le principal grief reste l'absence de cap, le sentiment que le +en même temps+ est signe de paralysie: c'est davantage cela qui joue", poursuit le sondeur, qui estime que l'"entre deux eaux, le brouillard nourrissent le désintérêt du politique et sa capacité à changer les choses".
Le diagnostic est d'ailleurs partagé dans la majorité: "On n'est pas clair sur nos convictions, en tergiversant par exemple autour des régularisations. Il faut qu'on soit ferme, quitte à perdre, et on gagnera plus la confiance des électeurs", plaide ainsi une députée Renaissance. L'un de ses collègues, Charles Sitzenstuhl, appelait lui-aussi lundi soir à "ne pas être dans le déni", en exhortant à "prendre un peu de temps" pour "retravailler le texte" sur l'immigration.
L'«alternance» Le Pen
À qui profite cette situation? "Les électeurs considérant que le gouvernement fait de moins en moins la loi, cela peut générer une abstention ou un vote en faveur des extrêmes, surtout Marine Le Pen", considère le politologue Jean-Yves Camus.
Pour la triple candidate malheureuse à la présidentielle, soucieuse d'apparaître "respectueuse des institutions", il s'agit de manier la nuance afin d'apparaître comme "une forme d'alternance", sans "hurler", résume l'un de ses proches, le secrétaire général du groupe RN à l'Assemblée, Renaud Labaye.
"La séquence est très instructive: on apprend ce qu'il ne faudra pas faire lorsqu'on sera au pouvoir: ne pas mépriser ses oppositions, mais les traiter, les écouter", développe le même, se bornant à critiquer les attitudes sans s'en prendre aux prérogatives constitutionnelles de l'exécutif.
Anne-Charlène Bezzina, selon qui l'exécutif est face à "une crise de la pratique politique", bien davantage qu'"une crise institutionnelle", observe par ailleurs que si le président de la République "est friand des nouveaux outils comme le Grand débat, le Conseil national de la refondation ou les Rencontres de Saint-Denis", "il utilise très peu les outils constitutionnels à sa disposition".
Parmi lesquels, deux mécanismes redoutables: le référendum, réclamé par LR ou le RN, et la dissolution, demandée par les seuls lepénistes.
Réputées explosives, ces armes se sont retournées contre leur auteur lors de leur dernière utilisation, en 1997 lorsque Jacques Chirac a mis fin à la législature puis, huit ans plus tard, quand le même a consulté les Français sur la Constitution européenne.
Mais la situation est telle que le "jeu de dés" de convoquer des législatives anticipées compte désormais des partisans dans la majorité. "On arrive à la fin d'un cycle: la situation créée lundi au Parlement montre qu'il y a besoin d'une décision forte", plaide un proche d'Emmanuel Macron.
"La dissolution est assez inéluctable", poursuit-il, "pour prendre à témoins les électeurs des supercheries de l'opposition et responsabiliser les irresponsables".