La décadence de l’extrême droite israélienne atteint des profondeurs inédites

Les idées de l’extrême droite ne doivent pas être considérées comme simplement anecdotiques, mais plutôt prises au sérieux et étouffées dans l’œuf. (AFP).
Les idées de l’extrême droite ne doivent pas être considérées comme simplement anecdotiques, mais plutôt prises au sérieux et étouffées dans l’œuf. (AFP).
Short Url
Publié le Vendredi 08 décembre 2023

La décadence de l’extrême droite israélienne atteint des profondeurs inédites

La décadence de l’extrême droite israélienne atteint des profondeurs inédites
  • L’extrême droite est montée au créneau pour défendre, sans honte ni état d’âme, le fait de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité
  • Rien n'est plus terrifiant pour les Palestiniens que d'entendre qu'ils pourraient devoir revivre l'époque la plus horrible de leur histoire: les déplacements en masse et les dépossessions de 1948

Pour tout être humain normal, quels que soient sa religion, son origine ethnique, son sexe ou son âge, les horreurs dont nous sommes témoins depuis le 7 octobre en Israël et à Gaza sont bouleversantes et terrifiantes. L’idée même que des gens puissent volontairement infliger une douleur et une souffrance aussi inimaginables à leurs semblables – une douleur et une souffrance qu’aucune religion, idéologie ou objectif politique ne pourrait justifier – remet en question la notion même d’humanité et ce que signifie être humain.

Malgré tout le sang versé la destruction, il y a encore des gens des deux côtés qui justifient ces atrocités et estiment qu’ils sont sur le chemin de la victoire, alors que la vérité est qu’ils nous entraînent tous sur la route de l’enfer. La sauvagerie de ce que le Hamas a commis en cette horrible journée d’octobre est bien documentée. Il est compréhensible d’y réagir et d’empêcher de telles menaces à l’avenir, mais cela ne peut pas justifier les massacres massifs de civils palestiniens par Israël dans la bande de Gaza.

Pire encore, une partie de la société israélienne considère la guerre comme une autorisation pour libérer son moi politique le plus sombre et le plus sinistre, et appeler ouvertement à des atrocités de masse contre les Palestiniens. L’extrême droite, qui est une combinaison d’ultranationalistes messianiques-religieux et laïcs, est montée au créneau pour défendre, sans honte ni état d’âme, le fait de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

La suggestion, le mois dernier, du ministre des Affaires de Jérusalem et du Patrimoine, Amichai Eliyahu, selon laquelle larguer une arme nucléaire sur la bande de Gaza était «une option», est une sorte de confluence entre incitation au génocide et de pure stupidité. Son «raisonnement» pour considérer cela comme une option acceptable était qu’il n’y avait «aucun non-combattant à Gaza». Certes, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a répondu avec l’euphémisme de l’année, lorsqu’il a déclaré que les commentaires d’Eliyahu étaient «détachés de la réalité», mais la chose décente qu’il aurait dû faire aurait été de le renvoyer de son gouvernement avant même la fin de l’entretien. Ce n’était qu’un simple désamorçage, un casse-noisettes, quand une massue était nécessaire

«Une partie de la société israélienne considère la guerre comme une autorisation pour libérer son moi le plus sombre et le plus sinistre.»

Yossi Mekelberg

Je ne doute pas qu'il y ait quelqu'un en Israël qui croit un tant soit peu qu'une frappe nucléaire soit une option, compte tenu de ses implications morales et pratiques, mais le simple fait qu'un ministre du gouvernement ait exprimé l'opinion que la population entière de Gaza était coupable et méritait donc de mourir est effrayant. Et Eliyahu ne s’est pas arrêté là. Il a suggéré, comme l'ont fait certains de ses collègues, que l'aide humanitaire ne devrait pas être autorisée à entrer dans la bande de Gaza. En d’autres termes, si une bombe atomique ne peut être larguée, alors la famine et la maladie feront l’affaire.

Parallèlement à cela, Eliyahu a laissé entendre – et c’est une erreur – qu’Israël possédait une capacité militaire nucléaire, un aveu qui, par le passé, avait entraîné une longue peine de prison. C'est un sujet à aborder ultérieurement, mais sa suggestion explicite d'éliminer l'ensemble de la population palestinienne au nom de la sécurité d'Israël mérite un débat urgent.

Aussi absurdes que puissent paraître ces remarques, elles ne sont pas très éloignées d'une suggestion faite par un autre ministre, membre du Cabinet de sécurité et ancien directeur du Shin Bet, Avi Dichter. Lorsqu'on lui a demandé si ce qui se passait actuellement était une «Nakba à Gaza», Dichter a répondu: «Nakba de Gaza 2023. C’est ainsi que cela se terminera.»

Rien n'est plus terrifiant pour les Palestiniens que d'entendre, notamment de la part d'un haut responsable du Cabinet de sécurité, qu'ils pourraient devoir revivre l'époque la plus horrible de leur histoire: les déplacements en masse et les dépossessions de 1948. Tout comme dans le cas des remarques d'Eliyahu, il se peut que certains hommes politiques israéliens souffrent d'une déviation de leur jugement chaque fois qu'un micro est placé devant eux. Cependant, il semble que ces opinions soient profondément enracinées depuis longtemps, attendant simplement le «bon moment» pour faire surface, et qu'ils estimaient que cette guerre était le moment opportun de le faire.

Néanmoins, ce ne sont pas seulement les interviews en direct qui offrent aux ministres israéliens une plateforme pour partager leur «vision» de Gaza. Gila Gamliel, actuelle ministre du Renseignement qui aurait dû démissionner au lendemain du 7 octobre, idéalement accompagnée de Netanyahou, a exprimé son opinion dans le Jerusalem Post sur le sort de la population de Gaza après la guerre. Contrairement aux déclarations de Dichter, qui constituaient un véritable plaidoyer en faveur d'une autre Nakba, il s'agissait plutôt d'une forme de Nakba atténuée, bien que tout aussi préoccupante.

«Ces idées ne doivent pas être considérées comme simplement anecdotiques et sans conséquences, mais doivent être prises totalement au sérieux.»

Yossi Mekelberg

Une partie de l'article de Gamliel était une attaque sans fondement contre l'Unrwa, affirmant qu'elle «n'avait rien fait pour aider le peuple palestinien» – une remarque qui témoigne d’une pure ignorance combinée à la déformation de la dure réalité dans laquelle cet organisme de l'ONU opère pour fournir une aide humanitaire des circonstances extrêmement difficiles. Elle a déjà perdu au moins 111 de ses membres à la suite de la guerre, mais elle continue de répondre, malgré les tirs, aux besoins fondamentaux de la population, et de fournir un abri à des centaines de milliers de personnes dans des infrastructures surpeuplées.

L’attaque de Gamliel contre l’Unrwa avait principalement pour objectif de promouvoir son soi-disant plan visant à priver cet organisme de son budget, et à l’utiliser en lieu et place pour «aider» la population de Gaza à se «réinstaller» dans d’autres pays. Comment se fait-il que nous n'ayons jamais envisagé cette brillante idée jusqu'à présent? De toute évidence, Gamliel a une conscience humanitaire trop développée pour envisager une expulsion forcée, mais elle ne suggère même pas l'hypothèse que les personnes qu'elle souhaite réinstaller seront consultées, ni qui les accueillera. D'une ancienne ministre du Renseignement déchue, elle s'est réinventée en tant que «ministre de l'Émigration palestinienne», ou pour le dire plus crûment, en «ministre de la Nakba 2.0».

Les périodes de crise et de conflit peuvent faire ressortir le meilleur de l’humanité, les gens faisant preuve de bienveillance et d’empathie. Mais pour une partie de la droite israélienne, cette guerre montre ce qu’ils ont de pire. En Cisjordanie, des groupes de colons extrémistes profitent de la situation, alors que les yeux du monde sont tournés vers Gaza, pour intensifier leur violence contre les Palestiniens. L’un de leurs dirigeants les plus importants, le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, leur distribue même des armes. Cela ne risque pas seulement d’accroître leur utilisation contre les Arabes, mais également de créer une milice qui résistera à toute concession dans un futur accord de paix.

Il n’y a aucune place à la complaisance face à ce qui, à ce stade, peut sembler représenter les opinions extrêmes d’une minorité de politiciens israéliens et de citoyens ordinaires. Il ne faut pas supposer que de telles opinions ne s’imposeront pas dans des segments plus larges de la société israélienne. Par conséquent, ces idées ne doivent pas être considérées comme simplement anecdotiques et sans conséquence, mais doivent être prises au sérieux et étouffées dans l’œuf.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme MENA à Chatham House.

X: @YMekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.