Six semaines après le début de la guerre à Gaza, le coût économique du conflit devient de plus en plus évident et nettement plus difficile à justifier pour les décideurs. À la suite de l’attaque du 7 octobre, Israël a programmé une opération militaire qui a fait plus de 15 000 morts à Gaza. La guerre a également entraîné des répercussions économiques prononcées, tant au niveau régional qu’international.
Concrètement, le ralentissement économique a touché non seulement Israël et la Palestine, mais également leurs voisins, l’Égypte, la Jordanie et le Liban, qui font face à une baisse du tourisme et de l’approvisionnement en gaz naturel. Les prix élevés du pétrole, provoqués par l'instabilité générale du conflit dans le contexte des réductions existantes, soumettent par ailleurs d'autres économies régionales à des tensions importantes en l'absence de cessez-le-feu.
Malgré la supériorité écrasante d’Israël dans ce conflit, le shekel israélien a atteint, au début du mois d’octobre, son niveau le plus bas en huit ans, par rapport au dollar américain. Le 9 octobre, la Banque centrale israélienne aurait annoncé la vente de réserves d’une valeur de 30 milliards de dollars (1 dollar = 0,91 euro) pour stabiliser la monnaie en difficulté. De plus, avec près de 300 000 réservistes israéliens mobilisés depuis le début de la guerre, l’économie connaît d’importantes pénuries de main-d’œuvre. Selon certains rapports, un tiers des entreprises israéliennes ont déclaré des pertes ou ont complètement fermé leurs portes.
«Le ralentissement économique a touché non seulement Israël et la Palestine, mais également leurs voisins, l’Égypte, la Jordanie et le Liban.»
Zaid M. Belbagi
Bien que le gouvernement se soit mobilisé pour faire d’Israël une destination internationale, l’économie du tourisme et la perception du pays à l’échelle internationale ont été grandement affectées par le conflit. Parallèlement, la fermeture temporaire du champ gazier offshore israélien de Tamar a entraîné une perte supplémentaire de revenus d’exportation. La fermeture du site par Chevron n’a été réexaminée qu’après la visite du conseiller à la sécurité énergétique du président américain, Joe Biden, dans la région. Il a proposé d’utiliser les revenus du gaz offshore pour relancer l’économie de Gaza. La suggestion selon laquelle l’utilisation controversée de ces ressources par Israël pourrait être partagée à l’avenir est révélatrice d’un changement de discours: la prospérité d’Israël ne peut plus être dissociée du sort de la population de Gaza.
Alors qu’Israël s’achemine vers une normalisation des relations avec ses voisins, il a prévu de s’assurer des possibilités économiques dans la région. La pièce la plus importante de ce puzzle géopolitique est la relation avec l’Arabie saoudite. Les actions d’Israël dans le cadre du conflit ont considérablement entravé l’établissement de relations économiques avec la plus grande économie de la région. Le partenariat naissant, qui aurait été l’initiative la plus notable dans le cadre des accords d’Abraham, a été interrompu au milieu de la condamnation saoudienne des actions israéliennes à Gaza dans une déclaration commune des États arabo-musulmans.
Le conflit a également servi de baromètre important des relations existantes dans le cadre des accords d’Abraham, comme c’est le cas avec le Maroc, le Soudan et les Émirats arabes unis, où les gouvernements établissent des relations économiques et diplomatiques équilibrées avec Israël tout en faisant face à de forts sentiments propalestiniens au sein de leurs populations.
Les répercussions économiques du conflit ont aussi eu une incidence sur l’Égypte, seul pays frontalier de Gaza, autre qu’Israël. Le pays a subi d’importantes pertes financières depuis le début du conflit. Plus particulièrement, la fermeture temporaire du champ de Tamar a considérablement réduit l’approvisionnement en gaz naturel de l’Égypte dans un contexte de problèmes économiques majeurs. L’Égypte dépend du gaz israélien pour la liquéfaction, conformément à un accord de 2022 dans le cadre du Forum gazier de la Méditerranée orientale. Après avoir stocké une partie du gaz liquéfié pour son usage domestique, Le Caire exporte le reste. Par conséquent, la fermeture du champ a entraîné des répercussions à la fois sur l’approvisionnement intérieur égyptien et sur les revenus d’exportation, ainsi que sur sa capacité de production d’électricité à un moment où le pays fait face à des coupures de courant prolongées.
«Les prix élevés du pétrole, qui découlent du conflit, exercent également des pressions considérables sur d’autres économies régionales.»
Zaid M. Belbagi
Après avoir déjà connu une baisse du tourisme dans la péninsule du Sinaï en raison des activités terroristes ces dernières années, la région a connu une nouvelle baisse des réservations parmi les touristes en quête de destinations chaudes en hiver. Bordant Gaza, le Sinaï est quelque peu exposé, comme l’illustre l’explosion de projectiles non identifiés dans deux villes côtières d’Égypte, ayant fait six blessés à la fin du mois d’octobre. Les inquiétudes sont vives et l’activité touristique des stations balnéaires égyptiennes de la mer Rouge aurait subi une baisse de 80%.
L’Égypte fait désormais face à une situation économique intérieure précaire à l’approche de l’élection présidentielle du mois de décembre. Le 18 novembre, le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé une éventuelle augmentation de son programme de prêt de 3 milliards de dollars pour 2022, en raison des difficultés économiques posées par la guerre en cours.
Le coût de la reconstruction de Gaza est inimaginable. La Banque mondiale l’évalue à 485 millions de dollars. L’ONU ajoute que les besoins humanitaires de la population de Gaza devraient atteindre 1,2 milliard de dollars d’ici à la fin de l’année. Cette tâche titanesque, parallèlement à la pression exercée sur les économies régionales, sera la conséquence durable de la politique israélienne.
Bien que les prix du pétrole aient toujours été sensibles aux fluctuations en cas de conflits régionaux et mondiaux, le conflit actuel a servi de base pour les États membres de l’Opep+ (14 pays de l’Opep + 10 autres pays) afin de maintenir des réductions volontaires en vue de garder les prix élevés. La guerre a également mis en lumière les projets de partenariats économiques mondiaux essentiels, comme le corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe annoncé en septembre lors du sommet du G20 à New Delhi. Le corridor proposé créerait une route commerciale reliant l’Inde à l’Europe via le Moyen-Orient, incluant Israël. Cependant, les escalades survenues depuis le 7 octobre ont mis en évidence les menaces physiques qui pèsent sur la construction de telles infrastructures.
Alors que la guerre continue de faire des ravages, les seuls facteurs qui y mettront fin seront le coût pour Israël et l’influence que l’Opep+ pourra exercer sur les États-Unis en maintenant les prix du pétrole à un niveau élevé – d’ici là, c’est la population de Gaza qui paiera le prix le plus fort.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG.
X: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com