La société israélienne est de plus en plus belliqueuse, au détriment de la paix

Un char israélien se repositionne dans une zone proche de la bande de Gaza dans le sud d'Israël (Photo, AFP).
Un char israélien se repositionne dans une zone proche de la bande de Gaza dans le sud d'Israël (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 28 novembre 2023

La société israélienne est de plus en plus belliqueuse, au détriment de la paix

La société israélienne est de plus en plus belliqueuse, au détriment de la paix
  • À l'heure actuelle, seuls 24,5% des Juifs israéliens soutiennent les négociations de paix avec l'Autorité palestinienne, alors qu'ils étaient 47,6% à y être favorables en septembre
  • Il serait peut-être trop optimiste, voire naïf, de s'attendre à ce que l'une ou l'autre des parties ait une vision de la paix alors qu'elles ont subi des pertes inimaginables et qu'elles ne voient que le pire l'une de l'autre

Réaliser des sondages d'opinion en temps de guerre est une entreprise risquée qui peut facilement conduire à des conclusions erronées. Les résultats reflètent invariablement l'état d'esprit du moment, lorsque les émotions sont à leur comble et que les personnes interrogées sont davantage tentées d'exprimer leur colère et leur frustration que de faire preuve de réflexion et de rétrospection.

Par conséquent, les conclusions qui indiquent que la société israélienne est devenue plus belliqueuse après l'attaque meurtrière du Hamas du mois dernier et la guerre qui s'en est suivie ne surprennent pas outre mesure. Toutefois, il est possible que, à la fin du conflit, de nombreuses personnes reviennent à leur position d'avant-guerre, voire qu’elles aillent plus loin et reconsidèrent la viabilité des relations avec les Palestiniens avant le 7 octobre ou l'utilisation d'une force disproportionnée en réponse à l'attaque du Hamas. Néanmoins, les sondages d'opinion nous donnent une image actuelle et décourageante du long chemin à parcourir pour parvenir à une paix durable entre les Israéliens et les Palestiniens ainsi que du niveau de persuasion nécessaire pour en faire une possibilité réaliste.

À l'heure actuelle, seuls 24,5% des Juifs israéliens soutiennent les négociations de paix avec l'Autorité palestinienne, alors qu'ils étaient 47,6% à y être favorables en septembre, et 66% sont opposés à l'ouverture de telles négociations. En revanche, parmi les Palestiniens qui vivent en Israël, une majorité écrasante de 58% soutient les négociations de paix avec l'Autorité palestinienne. Cette attitude s'explique en grande partie par le fait que seuls 7,5% des Juifs israéliens pensent que les négociations pourraient conduire à la paix entre les deux peuples.

Ce constat laisse entrevoir des perspectives peu encourageantes quant au règlement de l'interminable conflit israélo-palestinien. Bien que cette situation ne soit pas surprenante, elle ne peut ni ne doit être laissée à l'abandon, sous peine de s'enliser encore davantage. Pendant trop longtemps, l'opinion publique israélienne a été nourrie de l'idée que les relations entre leur pays et les Palestiniens se caractérisaient par une sorte de stabilité précaire et que, en tout état de cause, il n'y avait pas de partenaire pour la paix. Cela s'est traduit par la poursuite de l'occupation et de l'annexion progressive de la Cisjordanie, par le fait de compter sur l'appareil de sécurité de l'Autorité palestinienne pour coopérer avec Israël afin d'assurer sa propre sécurité, par des conflits et des violences de faible intensité, mais sans aucune intention d'entamer des négociations pour un accord de paix fondé sur une solution à deux États.

La plupart des Juifs israéliens estiment que l'armée israélienne a recours à une force insuffisante.

Yossi Mekelberg

De même, le mirage du statu quo supposait que le blocus de Gaza était durable et qu'il n'y avait pas de danger qui émanait du Hamas. Lorsque ces concepts se sont effondrés, le 7 octobre, en particulier vis-à-vis de Gaza et du Hamas, mais aussi, avant cela, en Cisjordanie, lorsque des groupes militants ont commencé à remettre en question l'ordre d'occupation imposé, les Israéliens ont été choqués et leur attitude à l'égard des Palestiniens s'est durcie. Leur attitude belliqueuse s'exprime non seulement au niveau d'une solution de paix future avec les Palestiniens, mais aussi par leur soutien à l'utilisation d'une force excessive à Gaza.

Alors que la plupart des pays du monde à quelques exceptions près – et y compris les alliés les plus proches d'Israël – avertissent ce dernier que le nombre de civils tués est inacceptable, la plupart des Juifs israéliens estiment que l'armée israélienne déploie une force insuffisante, ce qui incite un gouvernement israélien discrédité à poursuivre la guerre, avec toute la force nécessaire, même si plus de 14 000 Palestiniens ont déjà été tués et que toute la bande de Gaza a subi d'énormes destructions.

Certains Israéliens considèrent qu'il n'y a pas de partenaire palestinien pour la paix et que la solution des deux États n'est ni réalisable ni souhaitable. Ils ont donc recours à la seule réponse qu'ils connaissent, bien qu'elle contribue au désastre actuel. Les options telles que la solution à deux États ou un État binational dans lequel les Juifs et les Palestiniens auraient des droits égaux ne bénéficient que d'un faible soutien (14,6% pour la première et 2,6% pour la seconde). La «solution» préférable, selon les sondages, est de maintenir la situation actuelle. Environ 20% des Israéliens juifs soutiennent l'annexion des territoires occupés et l'octroi de droits limités aux Palestiniens – en d'autres termes, la légitimation et la légalisation de la position actuelle d'Israël en tant qu'État d'apartheid.

Il serait peut-être trop optimiste, voire naïf, de s'attendre à ce que l'une ou l'autre des parties ait une vision de la paix alors qu'elles ont subi des pertes inimaginables et qu'elles ne voient que le pire l'une de l'autre. Cependant, comme l'histoire le montre, dans les périodes les plus sombres de l'humanité, de nouvelles idées émergent également chez ceux qui savent voir la lumière au-delà de l'obscurité qu’ils traversent, principalement parce qu'ils refusent de laisser le désespoir l'emporter. 

Dans les périodes les plus sombres de l'humanité, de nouvelles idées émergent également.

Yossi Mekelberg

À l'heure actuelle, le camp de la paix en Israël a été décimé et les partisans d'un discours de paix et de coexistence sont quasiment inexistants. Pourtant, des cendres et du traumatisme collectif de cette guerre doivent naître, dans les deux sociétés, une nouvelle pensée et de nouveaux dirigeants capables d’admettre que c’est en refusant d’avancer vers la paix et en n'acceptant pas le compromis ni la reconnaissance mutuelle du droit de chacun à vivre en sécurité et à jouir des mêmes droits que les extrémistes ont été autorisés à accaparer et à dicter leur existence et à contribuer à l'implosion qui se produit aujourd'hui.

Au terme d'une telle effusion de sang, la peur et la colère, voire la haine, sont inévitables. Il serait vain et inutile de rejeter les sentiments et perceptions négatifs réciproques, mais ils peuvent et doivent être exploités pour devenir une expérience transformatrice – un engagement à ce que les événements ne se reproduisent plus jamais – et permettre l'introduction d'une vision diamétralement opposée. Pour apaiser leur peur et leur dégoût mutuels, les deux parties ont besoin d'être rassurées sur la prise en compte de leurs préoccupations en matière de sécurité et de bien-être. Pour cela, il faudra de nouveaux dirigeants moins discrédités que les dirigeants actuels et des garanties solides de la part de la communauté internationale de son soutien actif à une telle transformation.

Au-delà des morts et des montagnes de décombres laissées par la guerre, il faut reconnaître qu'il est inutile de laisser un conflit s'envenimer sans le résoudre et que la sécurité ne s'obtient pas simplement en acquérant des armes et des munitions, aussi sophistiquées et mortelles soient-elles. Il s’agit de trouver une formule de travail inclusive qui implique tous les segments des sociétés nationales et internationales, allant du peuple à la diplomatie internationale, afin de convaincre ceux qui sont effrayés et indignés par les événements survenus depuis le 7 octobre, et qui sont avant tout sceptiques face à l'avenir. Il existe en effet une alternative viable qui met à l'écart les militants non par leur élimination physique, mais en garantissant une perspective de paix fondée sur la justice et la sécurité qui les rendra inutiles.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent's University à Londres, où il dirige le programme des relations internationales et des sciences sociales. Il est également chercheur associé au programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux et régionaux.

X: @YMekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com