La version arabe de l’OTAN pourrait stabiliser la région

(Photo AFP)
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Publié le Vendredi 31 juillet 2020

La version arabe de l’OTAN pourrait stabiliser la région

La version arabe de l’OTAN pourrait stabiliser la région
  • Aujourd’hui, l’OTAN rencontre de nouveaux défis émanant d’un changement du paysage géopolitique et de l’émergence de nouveaux risques
  • La région arabe a urgemment besoin de construire un dispositif de sécurité pour le Moyen-Orient

Le retrait de la France en juillet de la mission méditerranéenne de l’OTAN en raison du comportement d’un autre membre, celui de la Turquie, reflétait l’historique de Paris avec l’organisation. 
En 1966, le président Charles de Gaulle a retiré la France du commandement militaire intégré de l’OTAN et a réduit le nombre total de ses membres à la suite d’une série de frustrations allant de la position américaine à l’égard la crise de Suez en 1956, jusqu’à la sous-représentation française par rapport aux États-Unis et au Royaume-Uni, les deux autres puissances dirigeantes. 
Cette position française s’est de même traduite au niveau du Marché commun européen, avec le refus de De Gaulle à deux reprises d’autoriser l’adhésion du Royaume-Uni. Sur ce point, le vote du Brexit a démontré qu’il semble avoir eu raison.
Toutefois, en ce qui concerne l’OTAN, même si la distanciation a permis à la France de constituer sa propre force nucléaire de dissuasion, ce n’était probablement pas la meilleure décision. Ce n’est qu’en 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, que la France est revenue sur ses pas et a réclamé l’adhésion à part entière à l’OTAN dans une compréhension claire de la nature changeante des risques auxquels faisaient face l’alliance occidentale et de l’émergence de nouveaux blocs concurrents. Il est néanmoins important de noter que, bien qu’elle ait été dans l’arrière-plan de l’OTAN pendant des années, la France a conclu des accords clairs affirmant son engagement pour le soutien de l’alliance en cas de guerre en Europe.
Nous affirmons souvent que la raison de la création et de l'édification de l'OTAN était de dissuader l'URSS et d'éviter la guerre nucléaire. Mais de telles alliances changent avec le temps, car elles vont au-delà du but d'une entreprise militaire à travers laquelle on affronte un ennemi. En effet, en partageant le fardeau de la défense et en fixant un intérêt commun au premier plan, l’alliance a pour but de soutenir l’intégration politique et d’éviter le militarisme national entre les pays voisins. Il est indéniable que, malgré le retrait de la France du commandement militaire intégré de l’OTAN, le projet politique européen n’aurait pas été possible sans le concept d’un plan de défense commun mis en place par l’OTAN.
Il est vrai que le partage du fardeau sécuritaire qui influence le cours des événements semble avoir un caractère sacré, mais il faut rappeler que le point de commencement est toujours le partage des valeurs communes. La contribution des États-Unis et leur rôle dans le soutien de la reconstruction de l’Europe post-Seconde guerre mondiale étaient un succès et ont créé une stabilité sur le vieux continent, une stabilité qu’il n’avait jamais connue auparavant. Bien qu’il s’agisse toujours d’une plaie ouverte, le conflit dans l’ex-Yougoslavie a démontré que l’OTAN et l’Europe étaient capables d’apporter paix et sérénité aux régions du continent les plus proie a l’instabilité.
Aujourd’hui, l’OTAN rencontre de nouveaux défis émanant d’un changement du paysage géopolitique et de l’émergence de nouveaux risques. Elle s’adaptera certainement, comme elle l’a fait auparavant, et subira les transformations nécessaires qui accompagnent le soutien variable mais continu des États-Unis. Il semble que les membres européens devront jouer un rôle plus important et assumer davantage les responsabilités qui étaient supervisées par les États-Unis dans le passé. Il est assez étrange de voir certains analystes européens se plaindre de ce fait, surtout que ce sont ces mêmes voix qui, par le passé, accusaient les États-Unis de plans hégémoniques via l’OTAN. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Il est également important pour l’OTAN d’écouter les européens lorsqu’il s’agit de réinitialiser ou de renouveler les relations avec la Russie. La stabilité ne peut être atteinte qu’à travers une compréhension et une confiance communes avec Moscou, ce qui est quasiment impossible à réaliser.
Aujourd’hui, le monde arabe fait face à de nombreux défis et on pourrait se demander ce que nous pouvons apprendre de l’expérience européenne et du rôle de l’OTAN. Est-il possible de créer une organisation similaire pour le monde arabe ? Comment pouvons-nous commencer à partager le fardeau de notre défense ? Par-dessus tout, que voulons-nous protéger, quelles sont les valeurs qui nous sont chères et qu’aspirons-nous à construire ? Ceci remet immédiatement tout en perspective. Toute alliance similaire est plus grande et plus large que d’affronter un ennemi commun. Par conséquent, cet effort de construction pour le monde arabe devrait être plus grand que la seule opposition à l’Iran ou à tout autre ennemi unique.
Si nous examinons l’OTAN, nous pouvons voir qu’elle a protégé le libre arbitre face au totalitarisme. Donc, la France a réussi à se dissocier et à sortir sans conséquences – quelque chose que les pays membres du pacte de Varsovie ne pouvaient pas faire sans que les chars de l’Union soviétique ne les envahisse. Ceci signifie également que des désaccords politiques avec l’alliance sont possibles, mais tout reste clair en ce qui concerne la sécurité et la protection de la souveraineté de tout État membre et de la sécurité de ses citoyens. 
La région arabe est loin de ce que l’Europe est aujourd’hui et de l’intégration qu’elle a construite depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Nos institutions régionales ont été érodées par d’innombrables crises et, en particulier, par l’incapacité à agir et à apporter un changement décisif sur n'importe quel dossier. La Ligue arabe, par exemple, n’a pas été en mesure de réagir correctement aux défis récents auxquels la région est confrontée et s’efforce constamment de manœuvrer les intérêts du monde arabe de la meilleure façon possible. Malheureusement, il est devenu un souffre-douleur pour certains États membres et nombre d’agendas populistes.
La région arabe a urgemment besoin de construire un dispositif de sécurité pour le Moyen-Orient. James Carafano, de la Heritage Foundation, a récemment abordé ce sujet dans une webdiffusion et a souligné qu’il fallait créer un dispositif politique, militaire et économique qui englobe les nations de la région. Les États-Unis, qui ont récemment été moins enclins à jouer un rôle actif sur la scène mondiale, entreraient alors en tant que force stabilisatrice et le soutiendraient. Cela créerait, avec le temps, un moyen de dissuasion durable et fiable contre toutes les menaces qui pèsent sur la région.
Carafano a clarifié que ce dispositif ne serait pas une autre OTAN, puisque le Moyen-Orient n’est pas l’Europe, mais qu’il est nécessaire de créer quelque chose de plus fort que les alliances bilatérales actuelles des États-Unis pour créer confiance et continuité. Cela aiderait à résoudre les nombreux problèmes du grand Moyen-Orient, et à mettre en place un front durable contre l'Iran, envoyant le bon message au peuple iranien selon lequel la région n'acceptera pas les actions hégémoniques du régime.
À mon avis, le comité directeur pour ce nouveau dispositif devrait être composé de l’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Égypte. Il s’occuperait des principaux dossiers de la région et établirait un comité de décision unifié pour protéger la sécurité de la région. Ce ne sera peut-être une autre OTAN, mais cela ne devrait pas non plus être un autre pacte de Varsovie. 
Notre région est compliquée et, même entre alliés, nous pouvons être en désaccord, surtout lorsqu'il s'agit de solutions politiques. Lorsque nous commençons à partager notre infrastructure de défense, nous créons un catalyseur pour une plus grande construction dont le but est d’assurer la stabilité pour nos peuples. 
Encore une fois, cette alliance ne doit pas être construite contre un ennemi commun, mais pour protéger des valeurs partagées et communes.

Khaled Abou Zahr est PDG d'Eurabia, une société de médias et de technologie. Il est également le rédacteur d'Al-Watan Al-Arabi. Twitter: @KhaledAbouZahr

 

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com.