Guerre à Gaza: il faut arrêter le feu, tout est déjà en cendres…

Des palestiniens pleurent leurs morts alors qu'ils se tiennent derrière une clôture métallique près des corps des victimes tuées dans les bombardements israéliens avant leur enterrement, devant la morgue de l'hôpital Nasser à Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, le 14 novembre 2023. (AFP)
Des palestiniens pleurent leurs morts alors qu'ils se tiennent derrière une clôture métallique près des corps des victimes tuées dans les bombardements israéliens avant leur enterrement, devant la morgue de l'hôpital Nasser à Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, le 14 novembre 2023. (AFP)
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Publié le Mardi 14 novembre 2023

Guerre à Gaza: il faut arrêter le feu, tout est déjà en cendres…

Guerre à Gaza: il faut arrêter le feu, tout est déjà en cendres…
  • Et maintenant? Peu importe qui a commencé la guerre, qui porte la responsabilité des massacres; aujourd’hui, il n’y a qu’une sortie possible: cessez-le-feu
  • Alors, aujourd’hui, des morts, des blessés, par milliers, tout le monde paie le prix

Depuis l’attaque du Hamas, le 7 octobre, qui a coûté la vie à 1 200 civils israéliens, l’ancien monde et ses fondations, ce que l’on appelle «la démocratie» ou «la civilisation», se sont fissurées et, mises à nues, laissent poindre leurs désespérantes fragilités. Chaque jour, chaque nuit à Gaza, davantage de morts et de blessés, davantage de peurs et de haine.

En France, où cohabitent depuis longtemps des centaines de milliers de compatriotes juifs avec des millions de musulmans, on a rarement connu une telle tension intercommunautaire, alors que, depuis plus d’un mois, le stress monte, chaque jour, chaque nuit. Un déluge de bombes a réduit la prison à ciel ouvert de Gaza en cendres et fait des milliers de morts et de blessés, dont une majorité de femmes et d’enfants.

Un mot s’impose aujourd’hui: la sidération. Une stupeur profonde, inouïe, une paralysie mentale et émotionnelle qui annihile toute compréhension, réflexion et action. Elle génère un violent stress et la haine, sentiment immonde, visible, troublant, viscéral, brûlant, dérangeant, autour de nous. Hautement inflammable.

En France, on se dit en retenant son souffle: quand viendra l’étincelle qui fera jaillir les sédiments de ressentiment, vengeance, frustrations qui bouillonnent depuis si longtemps dans le cratère entre lesdits «Arabes» et lesdits «Juifs». L’irruption tient à si peu. Personne n’a aujourd’hui la capacité de stopper ce déluge de feu contre des innocents. Un discrédit entaille la crédibilité des institutions internationales, ONU, HCR, Unrwa, OMS, la Croix-Rouge, Médecins sans frontières, Reporters sans frontières, le Conseil de sécurité, le respect du droit international humanitaire. Rien, personne. Des responsables d’institutions pleurent de dépit en direct sur nos écrans… 

Le monde est sidéré par le cauchemar que chacun vit en direct à la télévision et sur les téléphones portables. Impuissant: c’est ce qu’est devenu notre monde régi par une organisation des Nations censées proscrire l’anéantissement de territoires ou de peuples et construire la paix entre des belligérants. Chaque jour, depuis des semaines, des voix officielles s’élèvent pour dire: «Si cela continue, faudra que ça cesse!» ou bien «Là, quand même, ça commence à faire beaucoup, non…?» Et chaque jour, chaque nuit, les bombes parlent à la place de la diplomatie.

Une société qui le laisse gangrener son corps social est en danger d’extinction, car le racisme creuse ses propres souterrains pour anéantir l’humain - Azouz Begag

Malheur à ceux qui osent regarder les images de ces destructions et de leurs victimes, elles souillent notre condition d’êtres humains. Malheur à ceux qui se laissent manipuler par les photos, vidéos, discours haineux qui stressent des milliards de personnes à travers la planète et dressent des murs de haine entre les uns et les autres. Et maintenant? Peu importe qui a commencé la guerre, qui porte la responsabilité des massacres; aujourd’hui, il n’y a qu’une sortie possible: cessez-le-feu. On n’en peut plus d’entendre égrener la comptabilité macabre des enfants et des femmes morts dans les bombardements. Cessez-le-feu: même ce mot est banni aujourd’hui par Benjamin Netanyahou et les adeptes de l’anéantissement du Hamas. Les massacres doivent cesser. Maintenant. En quelle langue le dire? On ne veut plus voir de morts, de mutilés, de destructions, l’exode de dizaines de milliers de pauvres gens qui marchent vers «le sud», comme si les directions avaient un sens pour les Palestiniens affamés, privés d’eau, d’électricité, de soins, de carburant, de pain… contraints de quitter leurs demeures parce que leur vie, justement, n’a plus de sens.

Halte aux confusions et amalgames entre Hamas et Palestiniens, comme entre Juifs et Israéliens! Les amalgames sont meurtriers. Même les mots «arabe» et «musulman» prêtent à confusion. Dans leur malheur, on voit bien que les Palestiniens, arabes, musulmans ne peuvent pas compter sur leurs «frères» pour mettre fin à leur calvaire, comme si dans la guerre il leur fallait admettre ce qu’ils sont: des «victimes collatérales». Le mot est nauséeux. Dans cette guerre, il y a peu de «frères» sur qui les Gazaouis pourraient compter. Rien n’arrête leur tragédie.

La Palestine a été l’angle mort des politiques arabes depuis des décennies. Alors, aujourd’hui, des morts, des blessés, par milliers, tout le monde paie le prix. Si personne, aucun pays, ni institution ne peut obliger à un cessez-le-feu immédiat, qu’attendre du jour d’après? On n’en sait rien. C’est le comble de l’angoisse. Demain est un autre jour, doivent penser les stratèges de la guerre qui n’ont plus guère de stratégie, sinon celle annoncée de détruire le Hamas.

En France, on voit bien depuis des années progresser l’islamophobie et l’antisémitisme… et l’extrême droite en embuscade - Azouz Begag

Pensent-ils aux enfants de Gaza et d’Israël qui auront vu les atrocités? Vers qui leur cœur et leur rancœur vont-ils se tourner? La colonisation est un viol. L’oppression est une mutilation. La guerre féconde la haine. Le racisme est un poison. Un cancer. Une société qui le laisse gangrener son corps social est en danger d’extinction, car le racisme creuse ses propres souterrains pour anéantir l’humain. En France, on voit bien depuis des années progresser l’islamophobie et l’antisémitisme… et l’extrême droite en embuscade. 

Dans un corps social fragilisé par les peurs et des angoisses identitaires, les haines courent plus vite que l’amour et la fraternité. Elles permettent de gagner les élections. Ainsi, sans scrupules, à Paris, le Rassemblement national et l’extrême droite ont décidé, dimanche 12 novembre, de manifester eux aussi contre… l’antisémitisme. Il fallait oser. Leur dédiabolisation est en roue libre. C’est pourquoi beaucoup de Français, d’origine arabe et/ou musulmane, républicains, antiracistes, ont considéré qu’ils n’avaient pas leur place dans cette nouvelle Marche. 

Si certains rendent «les Juifs» responsables des malheurs des Palestiniens et Éric Zemmour apparaît comme le promoteur officiel de l’islamophobie, des associations de banlieue, militants politiques, fustigent quant à eux «un FN antimusulman et antirépublicain qui fait son beurre sur notre dos depuis cinquante ans. On ne va pas manifester avec eux! Ils veulent que Marine soit présidente?» Loin d’être antijuifs, beaucoup, comme eux, sont donc restés chez eux ce dimanche et ont participé «en pensée» à la marche contre l’antisémitisme… comme le président Macron dans son palais. Ils ont médité sur ces temps troubles où rien, plus rien, ne sera comme avant. 

En octobre 1983, cent mille d’entre eux avaient organisé la fameuse «Marche», celle pour l’égalité et contre le racisme antiarabe. Hier, au moment de l’attaque du Hamas contre les civils israéliens, c’était le 40e anniversaire de cette marche. On ne peut pas dire qu’elle ait jugulé le poison du racisme dans notre pays. Il y a un moment où les Marches doivent s’arrêter de marcher dans le vide et trouver des solutions pour raviver les braises de la fraternité. 

 

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.

Twitter: @AzouzBegag

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.