Tout comme la population de Gaza, le Liban se sent impuissant et pris en otage par une milice armée qui pourrait le précipiter dans une guerre destructrice qu'il ne souhaite pas, au service d’objectifs dépassant ses frontières.
En observant l'horreur de l'attaque israélienne à Gaza, de nombreux Libanais revivent le cauchemar de la destruction de leur propre pays lors de la guerre qui a opposé Israël au Hezbollah en juillet-août 2006. Cela faisait suite à une autre guerre à Gaza après l'enlèvement par les militants du Hamas du soldat israélien Gilad Shalit lors d'une incursion transfrontalière.
Le Hamas et le Hezbollah semblent avoir le même modus operandi. Le 12 juillet 2006, lors d'une incursion transfrontalière, les combattants du Hezbollah avaient tué huit soldats israéliens et en avaient enlevé deux, déclenchant la deuxième guerre du Liban.
Le Hamas et le Hezbollah sont issus de deux écoles différentes, voire opposées, de militants islamistes. Le Hamas est un pur produit des Frères musulmans égyptiens, tandis que le Hezbollah fait partie de l'exportation de la révolution iranienne de l’Ayatollah Khomeini. Les membres des deux groupes ont eu l’occasion de se rencontrer en 1992 lorsqu’Israël a déporté environ 400 figures importantes du Hamas vers un camp situé à proximité du village de Marj Al-Zuhur, dans le sud du Liban.
Pendant environ un an, ils se sont rencontrés et liés avant qu’Israël ne ramène les dirigeants du Hamas. L'allié du Hamas, le Jihad islamique palestinien, est une création des Gardiens de la révolution islamique de l'Iran, qui sont également à l'origine de la création du Hezbollah. Les relations se sont consolidées dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban, où les deux groupes étaient alliés avec la Syrie contre les principales organisations palestiniennes telles que le Fatah et l'OLP.
La principale divergence concerne l'accord de paix d'Oslo, négocié par l'OLP et rejeté à la fois par le Hamas et le Hezbollah, tous deux partie de l'axe de la résistance, dirigé par l'Iran, qui rejette toute paix avec Israël. Le parallèle entre 2006 et 2023 réside dans le fait que, dans les deux cas, les guerres ont été déclenchées pour rétablir la prédominance de la doctrine de la résistance armée sur celle des négociations pacifiques.
La guerre de Gaza en 2006 a perturbé la signature d'un document de réconciliation nationale entre Mahmoud Abbas et Ismail Haniyé. Il s'agissait du document connu sous le nom du «document des prisonniers» négocié par d'importants prisonniers politiques dans les prisons israéliennes, en vertu duquel le Hamas et l'OLP devaient tous deux unir leurs efforts pour la création d'un État palestinien et la paix avec Israël.
La guerre du Liban en 2006 a également éclaté lorsque le Hezbollah s’était retrouvé dos au mur et avait besoin de rétablir sa crédibilité en tant que force de résistance. Il était confronté à l'argument selon lequel la Syrie et Israël s'étaient retirés du Liban, qui était de nouveau placé sous protection internationale. Partant, le Hezbollah était sous pression pour abandonner ses armes et s'engager dans le processus politique. Déclencher une guerre avec Israël était sa réponse.
Certes, du point de vue du Hamas, l'attaque contre le sud d'Israël le mois dernier a été couronnée de succès au-delà des attentes. Une fois de plus, il s'agissait d'une incursion transfrontalière surprise avec la capture d'otages, mais à une échelle beaucoup plus importante qu'auparavant. Ce qui a également freiné la possibilité d'un rapprochement entre l'Arabie saoudite et Israël dans le cadre des accords d'Abraham, et a précipité toute la région au bord de la guerre.
Dix-sept ans après cet été chaud de 2006, force est de constater que le Hamas et le Hezbollah ont quasiment pris les rênes du pouvoir politique. Leur victoire est incontestable. Elle ne s’est pas jouée contre Israël, mais contre leurs adversaires internes. - Nadim Chehadé
Cela a été un choc pour le système israélien et a déclenché une réaction brutale dont les principales victimes sont des civils innocents à Gaza. Si l'intention était de provoquer une guerre et ensuite une colère internationale face à la réponse prévisible d'Israël, alors Israël est encore tombé dans ce piège avec chaque massacre qu'il commet.
La double défaite d'Israël dans les deux cas réside dans le fait qu'il se fixe l'objectif impossible, à savoir éradiquer un ennemi qui non seulement ne peut pas être vaincu militairement, mais qui émerge également plus fort du simple fait de sa survie.
La victoire du Hamas ne réside pas dans une victoire contre Israël, mais dans celle contre ses rivaux palestiniens, l'OLP et le Fatah. Ainsi, l'Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas se trouve totalement marginalisée. Le Hamas s'est désormais imposé comme l'interlocuteur principal.
La victoire du Hezbollah est contre ses adversaires politiques, qui sont désormais isolés de leurs alliés en Occident et dans le Golfe.
Au Liban, le gouvernement et les institutions de l'État sont insignifiants; les gens se raccrochent aux paroles de Hassan Nasrallah et tentent d'interpréter son silence, tandis que les États-Unis envoient des porte-avions dans la région en prévision de ses décisions.
De tels mouvements de guérilla armée ne peuvent être vaincus que par des moyens politiques. Ils suivent le modèle classique créé par des révolutionnaires tels que Mao Zedong et Che Guevara, qui préconisent trois étapes simples: s'infiltrer dans la population, porter un coup sévère à l'ennemi dont les représailles entraînent de nombreuses pertes civiles, et susciter l'indignation causée par le massacre afin de rallier les gens autour des guérilleros tout en ternissant la réputation de l'ennemi.
À la suite de ces guerres, le Hamas et le Hezbollah ont démantelé les structures de l'État pour ériger les leurs. Ils ont employé des tactiques similaires, incluant des assassinats ciblés, la paralysie de l'État, le maintien d'une situation de guerre permanente, et ont créé un environnement de siège et d'isolement, ce qui leur a permis de monopoliser les ressources.
La situation est sans issue pour le Liban : une guerre serait dévastatrice à un moment où les infrastructures médicales du pays sont fragiles, son économie est en ruine, et son système bancaire est effondré. Le pays risque de connaître le même destin que Gaza, avec peu d'espoir de redressement.
Un état de non-guerre n'est guère mieux. Si Israël cède, le Hezbollah revendiquera la victoire en affirmant que ses armes dissuasives et son alliance avec l'Iran ont préservé la sécurité du pays. Son emprise sera quasi totale, sans perspective de négocier un retour aux institutions de étatiques souveraines.
La troisième possibilité, caractérisée par une instabilité persistante le long de la frontière avec Israël et des épisodes périodiques de violence, entraînera un isolement constant, un déclin économique prolongé, et une fuite de talents dont le pays pourrait ne jamais se remettre.
Dix-sept ans après cet été chaud de 2006, force est de constater que le Hamas et le Hezbollah ont quasiment pris les rênes du pouvoir politique. Leur victoire est incontestable. Elle ne s’est pas jouée contre Israël, mais contre leurs adversaires internes. Ils ont pris en otage leurs sociétés et ont le doigt sur la gâchette qui peut déclencher une troisième guerre mondiale.
Nadim Shehadi est un économiste libanais.
X: @Confusezeus
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com