Les roquettes ont pénétré le Dôme de fer et touché Kiryat Shmona. Plusieurs postes militaires du nord d’Israël ont été pris pour cible par le Hezbollah. Il s'agit de l'affrontement le plus important entre le groupe militant et l'armée israélienne. Jusqu’à présent, les accrochages se sont limités à des escarmouches à la frontière. Cependant, rien ne garantit que le conflit ne se généralisera pas à l’ensemble du pays.
De nombreuses spéculations circulent quant à l'implication potentielle du Liban dans le conflit entre Israël et le Hamas. La plupart des analystes laissent entendre que le Hezbollah n’entrera pas dans la guerre, préservant ainsi le pouvoir dissuasif de l'Iran vis-à-vis d'Israël. Il est néanmoins difficile de prédire si le groupe mènera une confrontation à grande échelle ou s’il se contentera de «distraire» l’armée israélienne, comme il le fait actuellement.
Il est à noter que jusqu'à présent, les deux parties ont fait preuve de retenue, en grande partie grâce aux pressions exercées par les États-Unis des deux côtés. Après le 7 octobre, l'ambassadrice américaine au Liban a mis en garde contre toute action impulsive de la part du Hezbollah. Cependant, de nombreux éléments infiltrés ont traversé la frontière. Le groupe militant a affirmé à contrecœur qu'il s'agissait de combattants palestiniens. Cela soulève la question délicate de l'équilibre entre le climat interne et ce qui se passe à Gaza.
Plus de 70% de la population libanaise s'oppose à l'idée d'entrer en guerre, malgré la profonde empathie qu’elle éprouve envers les Palestiniens de Gaza. Toutefois, cette attitude pourrait changer du jour au lendemain si Israël venait à frapper le Liban. Les Libanais pourraient alors passer d'un discours de retenue à un appel pressant pour que le pays se défende et protège ses citoyens.
Jusqu'à présent, le Hezbollah semble dicter le cours des événements, gardant ainsi l'armée israélienne sur le qui-vive, plongeant les services de renseignement israéliens dans un état de confusion et maintenant la population israélienne dans un état de peur. Le silence du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, réputé pour ses longs discours, est hautement significatif et porte un message clair d'attente vigilante. Tout le monde attend avec impatience son discours de vendredi pour avoir une idée sur la position du groupe concernant le conflit. L'adjoint de Nasrallah, Naïm Kassem, a récemment affirmé qu'Israël et les États-Unis ne savaient pas ce qui les attendait. Bien que les autorités américaines aient déclaré qu'il n'y avait aucune preuve impliquant l'Iran ou le Hezbollah dans les attaques du 7 octobre, les médias pro-Hezbollah laissent entendre que le groupe joue un rôle clé dans les combats en cours.
Cela nous ramène à une question cruciale: le Hezbollah entrera-t-il dans le conflit? C'est une question délicate à laquelle même le Hezbollah n’est pas pas en mesure de répondre pour l’instant. Tout dépendra de l'évolution des combats à Gaza. Si un cessez-le-feu est annoncé et que des négociations démarrent, cela éliminera toute possibilité d'intervention du Hezbollah dans la guerre. Nous sommes actuellement au cœur d'une campagne terrestre israélienne. La manière dont elle se déroulera dictera les actions du Hezbollah. Dans de telles circonstances, les décisions ne sont généralement pas prises à l'avance. Il est probable que le Hezbollah ait mis en place un plan d'urgence et qu’il soit prêt à déclencher une guerre à grande échelle s’il le faut. Cela se produira probablement dans deux situations la première étant dans le cas où le Hamas est sur le point d’être éradiqué.
Le gouvernement israélien doit se montrer fort devant son peuple et le monde
Dr Dania Koleilat Khatib
Le Hezbollah est pleinement conscient que si le Hamas est éradiqué, il subira le même sort, que ce soit maintenant ou à l'avenir. Si Israël réussit à éliminer le Hamas, cela renforcera sa détermination et sa confiance pour cibler d'autres ennemis. Il n’est pas non plus dans l’intérêt de l’Iran que le Hamas soit éradiqué, car après le Hezbollah, Israël s’en prendra probablement à l’Iran. Il ne faut pas oublier que l’Iran considère le Hamas et le Hezbollah comme des moyens de dissuasion contre Israël. S’ils sont éliminés, sa capacité à se défendre contre Israël sera considérablement réduite.
L’autre option serait qu’Israël passe à l’attaque. Logiquement, Israël devrait rester concentré sur Gaza. Le problème est cependant bien plus profond que cela. Il ne s’agit pas seulement de l’opération à Gaza et de la libération des otages, il s’agit également de restaurer la confiance du peuple israélien dans son armée. Il s’agit de lui donner la garantie que ce qui s’est passé le 7 octobre ne se reproduira plus. Comment l’Israélien moyen peut-il retrouver cette confiance si le Hezbollah est toujours fort au Liban? Restaurer cette confiance nécessitera d’en finir avec le Hezbollah.
Une frappe contre le Hezbollah n’est peut-être pas la mesure logique à prendre, et les États-Unis tentent de calmer Israël. Néanmoins, le gouvernement israélien est soumis à une pression énorme. Il doit se montrer fort devant son peuple et le monde. Par conséquent, l'éventualité d'une frappe contre le Liban n'est pas écartée. Cette option reste envisageable, surtout si l’armée israélienne ne marque aucun «succès» contre le Hamas dans sa campagne à Gaza. Cibler les infrastructures civiles du Hezbollah est une tâche relativement facile et peut toujours être présenté au peuple israélien comme une élimination des infrastructures du groupe. Dans ce cas, le Hezbollah n’aurait d’autre choix que de répondre. Ce dernier reste ouvert à toutes les possibilités et réévalue ses options, alors que les bombardements et les combats israéliens se poursuivent à Gaza.
Il est donc difficile de prédire si le Hezbollah entrera en guerre. Cependant, une chose est sûre: si le Hezbollah s'engage pleinement dans le conflit, cela déclenchera une guerre régionale. Le Hezbollah d'aujourd'hui est différent de celui de 2006. Durant ces dix-sept années de stabilité, il a renforcé ses capacités en acquérant des missiles à guidage de précision capables de cibler des usines de dessalement, des centrales électriques, et même des installations militaires en Israël. Cette amélioration de ses capacités pourrait avoir un effet dissuasif sur Israël, qui, logiquement, hésiterait à prendre des risques dans le contexte actuel.
Ceci dit, il ne faut pas sous-estimer la pression interne à Tel-Aviv, et la volonté du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, de sauver sa peau. Il pourrait prendre des mesures extrêmes. Parallèlement, la question des otages peut également pousser Israël à faire des compromis et à accepter un cessez-le-feu. À mesure que des vidéos d’otages sont diffusées, l’opinion publique évolue et donne la priorité à leur libération. «L’otage d’abord», a déclaré Gershon Baskin, historien et journaliste israélien, dans un tweet révélant le changement opéré dans l’opinion publique. La seule solution susceptible de mettre fin à toute escalade potentielle entre le Hezbollah et Israël réside dans un cessez-le-feu et la libération des otages.
La Dr. Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, notamment en ce qui concerne le lobbying. Elle est présidente du Research Center for Cooperation and Peace Building (Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix), une ONG libanaise axée sur la diplomation parallèle (Track II).
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com