La guerre israélienne contre le Hamas ne doit pas être une guerre contre Gaza et sa population

On voit de la fumée s’élever au-dessus de Gaza, depuis la frontière entre Israël et Gaza, dans le sud d’Israël, le 28 octobre 2023. (Reuters)
On voit de la fumée s’élever au-dessus de Gaza, depuis la frontière entre Israël et Gaza, dans le sud d’Israël, le 28 octobre 2023. (Reuters)
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Publié le Dimanche 29 octobre 2023

La guerre israélienne contre le Hamas ne doit pas être une guerre contre Gaza et sa population

La guerre israélienne contre le Hamas ne doit pas être une guerre contre Gaza et sa population
  • Selon le ministère de la Santé de Gaza, plus de 6 000 vies, dont beaucoup de civils n’ayant rien à voir avec le Hamas ou le militantisme, ont déjà été perdues
  • Israël a également infligé d'énormes destructions aux infrastructures de Gaza, qui étaient déjà au bord de l’effondrement avant le 7 octobre

Les trois dernières semaines ont été un véritable cauchemar pour les Israéliens et les Palestiniens: effusions de sang, destructions sans précédent en très peu de temps et pas de fin des hostilités en vue pour l’instant.

Au moment de la rédaction de cet article, Israël n’a pas encore lancé son offensive terrestre tant attendue, mais devrait le faire d’un moment à l’autre. Au milieu de ce bain de sang, il pourrait y avoir au moins une lueur d’espoir qu’une telle incursion, si elle se produit, soit de grande précision et non une effrayante démonstration de puissance militaire qui balaie et détruit tout sur son passage.

Compte tenu de l’horrible attaque du Hamas du 7 octobre, il était évident que la réponse israélienne serait dure et impitoyable. En outre, la réponse de la communauté internationale – principalement de l’Occident, et en premier lieu des États-Unis – en déclarant à plusieurs reprises qu’«Israël a le droit de se défendre» devait forcément être interprétée par les autorités israéliennes comme un blanc-seing pour réagir comme bon leur semble.

Mais dans quel but? Après tout, comme l’affirmait il y a près de deux siècles le général prussien et théoricien militaire Carl von Clausewitz, «la guerre est une continuation de la politique par d’autres moyens». En d’autres termes, il ne s’agit pas de se venger ou de punir, mais d’atteindre des objectifs politiques.

Naturellement, le choc ressenti au lendemain de l’attaque surprise du Hamas, en particulier en raison de son extraordinaire brutalité, a suscité de fortes réactions émotionnelles de la part des politiciens israéliens, des chefs militaires et, pour être honnête, de la plupart des couches de la société israélienne. Malheureusement, depuis lors, de nombreux Israéliens ont confondu la guerre qu’Israël a officiellement déclarée contre le Hamas et le Jihad islamique avec les attaques contre la population de Gaza et les Palestiniens partout dans le monde.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a dit: «Nous n’avons qu’un seul objectif en vue: détruire le Hamas. Nous ne nous arrêterons pas tant que cet objectif ne sera pas atteint». Reste à savoir si cet objectif est réalisable ou s’il ne s’agit que d’une simple rhétorique visant à rallier le pays autour du drapeau.

Cependant, cet objectif signifie probablement une longue guerre et un nombre considérable de victimes des deux côtés. Il devient de plus en plus évident que le retard d’Israël à lancer une offensive terrestre n’est pas une coïncidence, mais le résultat de considérations opérationnelles et de la pression internationale. Cela a permis à Israël de reconsidérer le calendrier et l’ampleur d’une telle opération.

Alors que les visites en Israël des premiers ministres et présidents occidentaux après les attaques étaient une démonstration de solidarité avec le pays dans une période de douleur et de chagrin, et également pour faire face à une crise politique et militaire, le retard dans l’attaque terrestre prévue a également permis au président américain Joe Biden et à d’autres dirigeants du monde de transmettre le message selon lequel la réponse d’Israël doit être modérée et d’épargner les vies civiles. Si tel n’est pas le cas, on craint que la guerre s’étende à d’autres pays, déstabilise la région et éventuellement nuise aux intérêts occidentaux dans tout le Moyen-Orient.

Mais on pourrait affirmer qu’y parvenir ne serait pas une tâche facile, compte tenu de l’intensité de la situation et du nombre toujours croissant de victimes.

Le soutien instantané manifesté par les États-Unis en particulier, et personnellement par Biden, non seulement en termes de solidarité avec Israël et son peuple mais également en ce qui concerne les fournitures d’armes et les navires de guerre positionnés au large des côtes israéliennes, signifie que les États-Unis ont le dernier mot sur le moment où l’offensive terrestre commencera et la manière dont elle sera menée.

«Si l’on considère la situation dans son ensemble – qui est généralement oubliée –, on ne parviendra pas à prévenir l’extrémisme et la violence, comme ceux commis par le Hamas, en traitant l’ensemble de la population de Gaza comme de simples dommages collatéraux.»- Yossi Mekelberg

Pourtant, les guerres ont inévitablement leur propre dynamique et l’on sait comment elles commencent mais rarement comment elles se termineront. D’une certaine manière, l’accent mis sur le moment et la nature d’une attaque terrestre israélienne a détourné l’attention de la réponse aux bombardements aériens incessants d’Israël sur Gaza au cours des trois dernières semaines. Selon le ministère de la Santé de Gaza, plus de 6 000 vies, dont beaucoup de civils n’ayant rien à voir avec le Hamas ou le militantisme, ont déjà été perdues. Israël a également infligé d'énormes destructions aux infrastructures de Gaza, qui étaient déjà au bord de l’effondrement avant le 7 octobre.

De plus, la vie d’environ 220 otages, dont beaucoup sont des ressortissants étrangers, dépend de la façon dont se déroulera ce conflit, surnommé par Israël l’opération «Épées de fer».

Washington a hésité à donner le feu vert aux autorités israéliennes pour envoyer des forces terrestres dans la bande de Gaza – en partie parce que les États-Unis ne pensent pas qu’Israël soit suffisamment préparé pour une opération aussi intense et exigeante mais aussi en raison du potentiel pour de nouvelles pertes en vies humaines. Cependant, il est troublant de constater que le pays n’a pas appelé ces autorités à être plus précises dans leur campagne de bombardements aériens, à éviter de nombreuses pertes civiles ou à autoriser davantage de convois humanitaires à entrer à Gaza.

Une incursion terrestre massive dans la bande de Gaza pourrait être inévitable, non seulement à des fins militaires (un certain nombre d’actions très ciblées ont déjà eu lieu) mais aussi parce que le Premier ministre israélien, son cabinet et ses commandants militaires se sont engagés dans le seul objectif de détruire toutes les capacités militaires du Hamas et du Jihad islamique, leur laissant très peu de marge pour atténuer cette décision.

Les événements du 7 octobre ont profondément choqué la société israélienne, semé un doute effrayant sur la capacité de ses forces de sécurité à défendre ses citoyens et brisé le peu de confiance qui restait dans le gouvernement et, en particulier, dans Netanyahu. Le recours du gouvernement israélien à la force excessive dans sa réponse était attendu, même s’il n’est pas justifié.

Pourtant, trois semaines après le début de cette riposte, la pire guerre entre Israéliens et Palestiniens depuis 1948, il est nécessaire de veiller à ce qu’il ne s’agisse pas uniquement de sauver Netanyahu de la colère de son propre peuple et de son inévitable chute politique, non seulement pour avoir échoué de manière aussi spectaculaire à défendre la nation mais aussi pour avoir fait preuve de capacités de leadership aussi molles depuis l’attaque.

Si l’on considère la situation dans son ensemble – qui est généralement oubliée –, on ne parviendra pas à prévenir l’extrémisme et la violence, comme ceux commis par le Hamas, en traitant l’ensemble de la population de Gaza comme de simples dommages collatéraux. Ce serait immoral et contre-productif.

Netanyahu a peut-être raison en disant que la guerre avec le Hamas sera longue, mais il doit éviter de blesser des innocents dans le processus, car cela compromettrait également toute tentative future de s’engager, le moment venu, dans des pourparlers qui pourraient aboutir à une coexistence pacifique et à une réconciliation au lendemain de la guerre.

La réponse d’Israël doit susciter l’espoir d’un avenir meilleur garantissant sa propre sécurité et non livrer les Palestiniens aux mains de ceux qui souhaitent la destruction d’Israël.

C’est là que la communauté internationale peut et doit jouer un rôle important en limitant le recours à la force par Israël contre les civils, en garantissant l’acheminement de l’aide humanitaire et en négociant un cessez-le-feu et un plan politique.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne. 

X: @YMekelberg      

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com