Le sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) qui s’est tenu à Riyad le 20 octobre suscite un vif intérêt, dans un contexte où les États du Golfe cherchent à définir de nouvelles orientations et à réduire leur dépendance à l'égard de l'Occident. Les plans des États du CCG visant à diversifier leurs économies au-delà du pétrole les incitent à explorer de nouveaux marchés, notamment en Asie, compte tenu du vaste potentiel de ce marché.
La diversification économique a été au cœur des discussions lors du sommet, et elle figure en tête des priorités des États du CCG. Outre les motivations économiques, la compétition géopolitique est un élément stratégique du CCG, car l'Iran a choisi de se tourner vers l'Est en réponse aux sanctions occidentales et à son isolement international. La rivalité entre le CCG et l'Iran, qui a été particulièrement visible au Moyen-Orient et en Afrique, s'étend désormais à l'Asie, ce qui risque d’accroître les tensions dans la région.
En fait, le CCG s’impose de plus en plus comme un acteur géopolitique en dehors de la région du Golfe, en particulier avec l’engagement de certains de ces États en Afrique et en Asie. Sur le plan organisationnel, le CCG a jusqu'à présent joué un rôle relativement limité dans cette dynamique, mais il souhaite changer la donne grâce au prochain sommet. La Turquie a également mis en place des stratégies et des politiques pour l'Asie, ce qui incité le CCG à prendre l'Asie au sérieux et à renforcer ses relations à plusieurs niveaux.
L'importance de ces motivations ressort clairement des nombreux contacts, des réunions et des interactions entre le CCG et l'ASEAN depuis la fin de la pandémie de COVID-19. Des rencontres officielles et des discussions informelles se sont multipliées entre ces deux groupes ces derniers temps. À titre d’exemple, des représentants du CCG et des ambassadeurs de l'ASEAN en Arabie saoudite se sont réunis à Riyad pour jeter les bases du sommet, avec des discussions portant principalement sur le renforcement des opportunités commerciales, bien que d'autres sujets liés à la défense, à la sécurité et à l'infrastructure numérique aient également été abordés.
La diversification économique a occupé une place centrale lors du sommet et demeure en tête des priorités des États du CCGDr. Mohammed Al-Sulami
Le CCG dont le siège se trouve en Arabie saoudite, voit en ce pays un acteur clé au sein de l’organisation. L'Arabie saoudite qui a joué un rôle moteur, tant sur le plan national que régional, reste le principal catalyseur de l'orientation du CCG vers l'Asie. De plus, les Émirats arabes unis ont également joué un rôle essentiel en incitant l'organisation à se concentrer sur l'Asie, animés par le potentiel économique et commercial considérable de cette région. Si les motivations des Émirats arabes unis sont principalement d'ordre économique en lien avec leur stratégie de diversification, l'Arabie saoudite est également motivée par des facteurs géopolitiques en raison de l'implication croissante de l'Iran en Asie. Le Qatar a, lui aussi, rivalisé avec l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis pour attirer des investissements asiatiques et se positionner comme un pôle commercial dans le Golfe. Toutefois, bien que les autres pays du CCG, notamment Oman, Bahreïn et le Koweït, aient des intérêts en Asie, ils ne jouent pas un rôle déterminant dans l'implication accrue du CCG auprès de l'ASEAN.
Les intérêts communs entre les deux groupes englobent des aspects liés à l'énergie, à la défense, à la sécurité, à l'infrastructure numérique et aux transferts de technologies. Les investisseurs du CCG ont ciblé des infrastructures pétrolières, des marchés immobiliers ainsi que des secteurs tels que l'agriculture, la santé et le tourisme dans les pays de l'ASEAN. Réciproquement, les pays de l'ASEAN ont cherché à attirer les États du CCG en raison de leurs excédents de fonds pétroliers. Il est fort probable qu'un plan stratégique sait été élaboré lors du sommet, voire peu de temps après, afin de définir les objectifs et les cibles à atteindre sur des périodes de deux à quatre ans. Cette démarche est considérée comme essentielle par les deux parties pour renforcer leurs relations et garantir une suite harmonieuse pour l'avenir.
L'ASEAN aborde la question du CCG sous différents angles, au-delà de la simple perspective de l'approvisionnement en pétrole, et les membres du CCG envisagent l'ASEAN comme un moyen de diversifier leurs économies et de rivaliser avec d'autres acteurs de la région.
L'ASEAN aborde la question du CCG sous différents angles, au-delà de la simple perspective de l'approvisionnement en pétrole
Dr. Mohammed Al-Sulami
Le sommet ira au-delà de la simple dimension énergétique et mettra l'accent sur les domaines mentionnés. Cela revêt une importance capitale dans le processus de diversification économique des États du Golfe mais également pour les pays de l'ASEAN. Ces derniers cherchent à attirer des investissements du CCG pour renforcer leurs capacités internes. Pour certains pays de l'ASEAN, cette démarche revêt une importance cruciale, car ils cherchent à réduire leur dépendance à l'égard de la Chine. Ceci est particulièrement pertinent à un moment où les chaînes d'approvisionnement se resserrent, et une dépendance excessive envers Pékin est considérée comme risquée. Cette préoccupation est d'autant plus vrai que les États-Unis exercent des pressions sur leurs alliés pour qu'ils imposent des sanctions ou déplacent leurs chaînes d'approvisionnement vers d'autres pays. De plus, il est envisagé que les États du Golfe étendent leur influence aux îles du Pacifique Sud, ce qui inquiète la Chine, car cela offrirait de nouvelles possibilités de prêts et de financements pour ces îles.
Il est toutefois important de souligner que le CCG n’a pas l’intention de nuire à ses relations avec la Chine en renforçant ses liens avec l'ASEAN, car il estime pouvoir maintenir un équilibre entre ces deux relations. La Chine fournit au CCG des technologies de pointe, un savoir-faire, et peut contribuer à la création d'industries de défense locales. Par conséquent, les deux partenariats sont importants dans le cadre du processus de diversification du CCG, car la Chine et l'ASEAN peuvent simultanément contribuer à sa transformation à plusieurs niveaux. Pour le CCG, il ne s'agit pas d'un jeu à somme nulle, mais d'une vision positive de ces deux partenariats, visant à les équilibrer sans créer de tensions. Actuellement, la Chine ne manifeste aucune inquiétude concernant les relations entre le CCG et l'ASEAN, et elle n'exerce aucune pression sur les États du Golfe pour les forcer à changer de cap.
Il est à noter que la Chine ne dispose pas de l’influence politique nécessaire pour faire pencher les décisions des États du CCG, et ces derniers ne sont pas tributaires de la Chine. Ainsi, le CCG se montre plus flexible dans sa démarche vis-à-vis de l'Asie, sans être contraint par des pressions extérieures. La Chine suivra de près cette évolution, notamment pour voir si le CCG investit dans des secteurs qui préoccupent et influencent la Chine, et si le groupe se transforme en acteur géopolitique dans la région. Pékin est conscient des liens étroits entre le CCG et les États-Unis, et il ne sous-estime pas l'impact de ses investissements dans le Golfe ni le rôle qu'il a joué dans l'accord de rapprochement entre l'Arabie saoudite et l'Iran en mars dernier. Cependant, cela n'entame pas les relations entre les États-Unis et le Golfe.
La Chine adopte une approche pragmatique vis-à-vis du CCG, en tirant profit de ce qu'elle peut obtenir à présent et espérant des percées futures. De même, le CCG en Asie ne mise pas tout sur la Chine, mais cherche à diversifier ses options tout en couvrant ses arrières, d'où son rapprochement avec l'ASEAN.
Dr. Mohammed Al-Sulami est le fondateur et le président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah)
X: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com