Il faudra beaucoup de temps aux Israéliens pour se remettre des horribles événements du 7 octobre. Le pays est actuellement plongé dans un traumatisme collectif qui a exacerbé ses peurs existentielles déjà profondément enracinées. L'incursion inattendue du Hamas sur son territoire a été le pire cauchemar du pays, le prenant au dépourvu et le laissant sans préparation face à une attaque perpétrée par l'un de ses ennemis jurés. Un nombre inimaginable de personnes de tous âges ont été assassinées ou prises en otage sans discernement.
Par conséquent, ce n’est qu’une question de temps avant que le gouvernement ne cède inévitablement aux requêtes d’une enquête officielle, afin de déterminer comment un échec aussi monumental de l’État a pu se produire. Cette enquête cherchera à comprendre comment le pays n'a pas réussi à protéger son propre peuple contre une attaque d'une telle ampleur, minutieusement planifiée depuis si longtemps.
Néanmoins, tant qu'une telle commission d'enquête n'aura pas été mise en place et n'aura pas rendu son verdict, on peut affirmer avec certitude que les événements catastrophiques de la semaine dernière ont réitéré le fait qu'il n'y a pas d'armée puissante sans une société forte et unie.
De plus, c’est le Premier ministre Benjamin Netanyahou, tout au long de ses nombreuses – voire trop nombreuses – années au pouvoir, qui a polarisé la société israélienne afin de rester à son poste. Le pays est aujourd’hui confronté aux conséquences les plus tragiques de ces divisions. Il est désormais plus clair que jamais que ceux qui affirmaient qu’un Premier ministre confronté à des accusations de corruption aussi graves que celles de Netanyahou n’était pas apte à diriger un pays, et encore moins un pays faisant face à des défis sécuritaires aussi extrêmes, avaient raison de s’inquiéter. Mais à mesure que ses ennuis judiciaires s'aggravaient, le poison de la division se répandait, émanant du Premier ministre lui-même, de sa famille et de ses courtisans.
Depuis le début de l'année, Israël est marqué par des divisions internes, toutes liées à la volonté de Netanyahou de former une coalition d'extrême droite et de céder de manière irresponsable aux exigences d'Itamar Ben-Gvir et de Bezalel Smotrich pour diriger des ministères vitaux pour la sécurité du pays, tout en se lançant dans une attaque contre les piliers du système démocratique. Non seulement les deux hommes ne sont en aucun cas qualifiés pour gérer de tels ministères, mais eux et les autres membres de leurs partis vont de l’avant grâce aux tensions exacerbées avec les Palestiniens, et attaquent au vitriol leurs opposants politiques – attaques qui incluent notamment des accusations de trahison.
Dans ce gouvernement israélien, il n’y a pratiquement personne ayant une expérience militaire importante, sachant que certains n’en ont aucune. Pour un pays dont la sécurité est la priorité absolue, cette situation n’est que le résultat d’une négligence criminelle. La responsabilité de ne pas avoir été préparé du tout, sur le plan conceptuel et opérationnel, à cette attaque surprise du Hamas incombe pleinement à Netanyahou et à sa coalition, qui ont détourné sur le long terme les préoccupations du système politique en matière de sécurité et d'autres priorités urgentes pour mener une série d'attaques contre les institutions judiciaires et autres institutions démocratiques.
Les Israéliens subissent aujourd’hui un double traumatisme, d’abord en raison de la violence du Hamas et à sa volonté de commettre des crimes aussi odieux contre des civils innocents, mais aussi à l'idée qu'un pays qui s'enorgueillit depuis longtemps d'avoir l'armée la plus puissante de la région et qui a l'un des niveaux de dépenses militaires les plus élevés au monde en pourcentage du produit intérieur brut, a été complètement pris au piège par surprise par un groupe militant non régulier.
Netanyahou pourrait encore s’en sortir en ce qui concerne les accusations de corruption et le fait d’avoir semé la division. Il est cependant peu probable que sa carrière politique survive à ses actes de négligence grave, qui ont coûté la vie à tant de personnes, et ce faisant, ont mis au jour un échec aussi étonnant en matière de renseignement.
Une grande partie de cette terrible crise découle de l’école de pensée ratée de Netanyahou qui a affaibli l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, tout en permettant au Hamas de construire sa base de pouvoir à Gaza, croyant à tort que le groupe avait perdu son appétit pour la confrontation militaire.
Il y a également de la colère en Israël parce que Netanyahou, son épouse et d’autres ministres ne se sont pas encore rendus sur les lieux qui ont subi de si terribles pertes lors des attentats du 7 octobre, et n’ont pas parlé aux personnes endeuillées, déplacées, blessées et hospitalisées. Cela ne fait que renforcer l’idée selon laquelle Netanyahou est totalement détaché du pays et de sa population, et plus généralement de la réalité. Son manque de contrition et son refus d’assumer la responsabilité personnelle de ce qui a été un échec systémique tout au long de la chaîne de commandement politique et militaire soulèvent des problèmes plus graves qui remettent en question davantage encore son aptitude à rester au pouvoir une minute de plus, ne fut-ce qu’un seul jour.
L’inaction de Netanyahou ne pourrait pas contraster plus fortement avec la réponse immédiate des dirigeants de l’opposition, qui ont réagi rapidement non seulement en se rendant auprès des victimes de l’attaque mais aussi en proposant de mettre leurs divergences de côté et d’unir leurs forces pour former un gouvernement d’urgence. Mais Netanyahou a tergiversé et a attendu de recevoir des assurances de Benny Gantz selon lesquelles ce dernier rejoindrait un gouvernement d’unité sans exiger l’exclusion du duo controversé Ben-Gvir et Smotrich. Même en ces jours sombres, Netanyahou, dans sa paranoïa politique, donne la priorité à ses intérêts personnels plutôt qu’à la tâche consistant à garantir que le Hamas ne sera plus jamais en mesure d’infliger une catastrophe aussi énorme à son pays.
Cependant, en acceptant un compromis qui maintient les membres d'extrême droite de la coalition au gouvernement, mais à l'écart du processus de prise de décision, Benny Gantz et Gadi Eizenkot ont rejoint le gouvernement, lui apportant ainsi une expérience militaire pour aider l'armée à se remettre du coup dur qu'elle a subi la semaine dernière, et empêcher la droite démente d'influer sur les événements. Néanmoins, cela nourrit aussi l'espoir de Netanyahu de survivre à cette grave débâcle.
«La responsabilité de cette impréparation totale face à cette attaque surprise du Hamas incombe pleinement à Netanyahou et à sa coalition.»
Yossi Mekelberg
Il est toutefois presque inconcevable que Netanyahou et son parti, le Likoud, restent au pouvoir après ce qui s’est passé sous leur mandat. Depuis des mois, ils se sont employés à dénigrer les membres des Forces de défense israéliennes, essentielles à la défense du pays, qui s'opposaient aux efforts du gouvernement visant à écraser le système démocratique, et déclaraient qu'ils refuseraient de servir si telle était la direction prise par le gouvernement. Ces militaires de Tsahal sont ceux-là mêmes qui, samedi dernier, sans hésitation, ont rejoint leurs unités ou se sont portés volontaires pour aider au niveau de la logistique.
Une fois la guerre terminée, ces mêmes personnes renouvelleront leur opposition à Netanyahu et à son gouvernement avec une énergie, une justification et une légitimité populaires encore plus grandes. D'autre part, le Premier ministre et son parti connaissent une chute libre dans les sondages, lesquels indiquent que les partis de l'opposition ont pris une nette avance sur la coalition au pouvoir. Il est donc probable que Benny Gantz forme le prochain gouvernement.
Il est évident que si Netanyahou avait conservé un minimum de dignité ou de sens des responsabilités, il aurait démissionné dès que l'ampleur du désastre du 7 octobre est devenue évidente.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et chercheur associé au Programme MENA à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et audiovisuels. X: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com