PARIS: Le Sénat a adopté lundi le projet de loi de programmation des finances publiques avec agacement: l'article 49.3 activé par le gouvernement à l'Assemblée nationale limite ses chances de peser sur cette trajectoire budgétaire, que les sénateurs ont néanmoins durcie.
Au Palais du Luxembourg, les sénateurs ont dû gérer une situation relativement atypique, en examinant un texte que leurs collègues députés n'ont jamais adopté par un vote, ni en première lecture il y a près d'un an (rejet), ni en nouvelle lecture le 28 septembre dernier.
Ce soir-là, la Première ministre Elisabeth Borne avait engagé la responsabilité de son gouvernement via l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le projet de loi sans passer par le vote, résistant par la suite à une motion de censure de l'alliance de gauche Nupes.
Le 49.3 n'est pas actionnable au Sénat, certes, mais l'Assemblée nationale a le dernier mot dans la navette parlementaire, ce qui permet au gouvernement de reprendre sa version du texte pour l'ultime examen attendu fin novembre, avec là encore l'hypothèse de le voir engager sa responsabilité.
«Effort»
La messe semble donc dite pour cette loi prenant la forme d'une feuille de route pour la trajectoire budgétaire française sur la période 2023-2027, à ne pas confondre avec les traditionnels budgets de l'Etat et de la Sécurité sociale examinés dans les prochains jours.
Dans ces conditions, quel rôle pour le Sénat? "Il fixera sa propre trajectoire", tranche le rapporteur général du budget Jean-François Husson (Les Républicains), agacé par l'exécutif qui "ne s'astreint à aucun effort" selon lui.
La majorité sénatoriale, dominée par la droite et le centre, s'apprête donc à accélérer la baisse du déficit dans sa version du texte.
Le gouvernement veut ramener le déficit public de 4,8% du produit intérieur brut (PIB) en 2022 à 2,7% en 2027, sous l'objectif européen de 3%. Le Sénat, lui, propose un retour sous les 3% deux ans plus tôt, en 2025, et un déficit public ramené à 1,7% en 2027.
Le gouvernement prévoit de "stabiliser" l'emploi sur le périmètre de l'Etat et de ses opérateurs ? La droite sénatoriale vise elle une "réduction de 5%".
"Comment la France peut-elle envisager de peser à nouveau sur l'Europe demain en étant le plus mauvais élève sur les finances publiques ?", s'interroge M. Husson, alors que la France serait l'un des derniers pays de la zone euro à ramener son déficit sous la barre des 3% selon la Cour des Comptes.
«Surenchère»
Les deniers européens sont par ailleurs au coeur de cette trajectoire budgétaire: l'exécutif compte dessus pour pouvoir obtenir de Bruxelles 17,8 milliards d'euros sur la période 2023-2024. Des arguments réfutés par la plupart des oppositions au Parlement.
Au Sénat, la gauche minoritaire s'indigne à la fois contre la trajectoire du gouvernement, qui "refuse de sortir de sa politique de désarmement fiscal qui appauvrit la puissance publique", et contre celle proposée par la droite sénatoriale, qui "en profite pour se démarquer en allant dans la surenchère", selon le sénateur socialiste Rémi Féraud.
Sur la forme, lui aussi s'indigne contre le 49.3 brandi à l'Assemblée. "Le gouvernement l'utilise comme un élément de découragement du travail parlementaire", pointe-t-il, "mais au Sénat il ne peut pas nous empêcher de travailler".
Le découragement a même un temps gagné les rangs de la droite et du centre, qui a envisagé d'introduire une "question préalable" lui permettant de rejeter directement le texte avant de l'examiner. "On s'est posé la question, en se disant +face au 49.3, on ne va pas s'embêter+", raconte un cadre de la majorité sénatoriale. "Mais il est difficile, sur un texte aussi sensible, de ne pas imprimer une ligne".
La chambre haute va donc livrer sa version au gouvernement sans grand espoir d'obtenir quoi que ce soit en retour... Et cela ne fait que commencer car cette logique risque de se répéter sur les textes budgétaires de l'automne, avec une pluie de 49.3 attendus.