Le Conseil conjoint des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne (UE) et du Conseil de coopération du Golfe (CCG) a entamé lundi sa réunion de deux jours à Mascate, deux jours après l’attaque sans précédent du Hamas contre Israël. L’ordre du jour de la réunion annuelle était chargé, mais les événements en Israël et à Gaza ont pris le dessus. Dans un premier temps, nombreux sont ceux qui ont été déconcertés par l’ampleur et la nature des attaques et qui, supposant qu’il s’agissait d’une répétition d’actes antérieurs à petite échelle du Hamas, les ont rejetées.
Lorsque des détails plus macabres ont fait surface, il y a eu d’abord de l’incrédulité, puis de l’horreur et du dégoût face aux meurtres horribles, à la torture et à l’humiliation de centaines de civils. Le comportement passé d’Israël envers les Palestiniens ne devrait pas justifier le fait que le Hamas prenne pour cible des civils innocents. Il est vrai qu’il existe une longue liste de transgressions par Israël: bombardements massifs et aveugles des quartiers surpeuplés de Gaza, punitions collectives infligées aux civils palestiniens, morts massives, déportations, détentions arbitraires, appropriations de terres et démolitions de maisons. Les colons israéliens en Cisjordanie occupée ont également continuellement harcelé les Palestiniens, détruit leurs maisons et leurs fermes et les ont parfois tués en toute impunité, en plus des incursions répétées et de la profanation de la mosquée Al-Aqsa. Les choses ont empiré sous le gouvernement actuel, car quelques-unes de ces actions ont été soutenues ou dirigées par certains de ses hauts responsables.
Mais aussi horribles que soient ces pratiques israéliennes, les civils des deux côtés doivent être épargnés. Le mépris des combattants du Hamas pour la vie et la dignité humaines est horrible. Cependant, les civils palestiniens de Gaza et de Cisjordanie ne devraient pas devoir payer pour les atrocités de ces combattants. Si ces points ont fait l'objet d'un consensus lors de la réunion, certains craignaient de transmettre le mauvais message aux deux parties. Le Hamas ne devrait pas avoir l’illusion que ses justifications pour les attaques du 7 octobre étaient acceptables et Israël ne devrait pas penser qu’il a le droit de riposter en attaquant à volonté des civils à Gaza ou en Cisjordanie.
«Le mépris des combattants du Hamas pour la vie et la dignité humaines est horrible. Cependant, les civils palestiniens de Gaza et de Cisjordanie ne devraient pas en payer le prix.» - Abdel Aziz Aluwaisheg
À l’issue de ses délibérations, le Conseil conjoint CCG-UE a publié une déclaration exprimant sa «profonde préoccupation» face à ces «évolutions graves» en Israël et à Gaza, déplorant la violence et condamnant «toutes les attaques contre des civils». Il a également rappelé aux parties au conflit leurs obligations de ne pas nuire aux civils, en vertu des principes universels du droit international humanitaire. Il a en outre appelé au calme et à la retenue «de toutes les parties» et à la libération des otages. En réaction à la déclaration israélienne d’un siège total qui a complètement isolé Gaza, les ministres ont appelé à autoriser l’accès à la nourriture, à l’eau et aux médicaments. Ils ont également souligné la nécessité urgente d’une solution politique à la crise pour «éviter que ce cercle vicieux de violence se répète». Les ministres ont décidé de poursuivre les consultations sur la question et de rester engagés.
Par ailleurs, les deux parties ont insisté pour établir une distinction claire entre les actions du Hamas et celles de l’Autorité palestinienne disciplinée et elles ont maintenu leurs positions traditionnelles sur le processus de paix. Elles ont soutenu les efforts actuellement entrepris par l’Arabie saoudite, l’UE et la Ligue arabe pour relancer le processus de paix au Moyen-Orient, en coopération avec l’Égypte et la Jordanie, afin de contribuer à mettre fin à la violence et à s’engager sur la voie de la paix et de la sécurité.
Les ministres des Affaires étrangères ont réitéré leur engagement commun en faveur d’une solution à deux États, vivant côte à côte en toute sécurité, sur la base des frontières de 1967, «conformément à l’Initiative de paix arabe et à toutes les résolutions pertinentes de l’ONU». Ils se sont opposés à toute mesure unilatérale et ils ont appelé au maintien du «statu quo historique et religieux des Lieux saints de Jérusalem» et à un règlement juste et équitable pour les réfugiés.
Alors que certains groupes marginaux ont suggéré la suspension de l’aide aux Palestiniens à la suite des attaques du Hamas, il y a un consensus autour de la poursuite du soutien financier à l’Office de secours et de travaux des nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa), à l’Autorité palestinienne et aux besoins humanitaires et de développement de la population palestinienne.
Il est probablement trop tôt pour établir une quelconque implication extérieure directe dans la décision du Hamas d’attaquer samedi, mais l’Iran et ses mandataires régionaux (comme le Hezbollah au Liban et les Houthis au Yémen) ont déclaré leur plein soutien. Qu’ils aient ou non participé à cette opération, l’Iran et le Hezbollah ont tout à gagner si le conflit est relancé. Les extrémistes israéliens en profitent également. Les extrémistes des deux côtés sont opposés aux compromis et ils sont heureux de faire échouer toute réconciliation ou tout accord politique.
Israël a reçu énormément de témoignages de sympathie après les attaques, mais cette sympathie se dissipe lorsque l’État hébreu frappe Gaza, détruisant des tours résidentielles et infligeant des punitions collectives, des destructions massives et une perte considérable de vies innocentes. Ces attaques pourraient également compliquer la médiation en cours pour libérer les otages enlevés samedi.
«Les deux parties sont convenues d’organiser prochainement à Bruxelles un forum de haut niveau sur la sécurité et la coopération régionales.» - Abdel Aziz Aluwaisheg
La profondeur des discussions autour des questions israélo-palestiniennes anticipait la nature du «partenariat stratégique» naissant entre le CCG et l’UE, annoncé par les ministres des Affaires étrangères en février 2022. Les deux parties ont ensuite clairement indiqué qu’il inclurait les questions de sécurité et le dialogue sur les crises régionales. Le Programme d’action commun (2022-2027), approuvé l’année dernière, prévoit également une certaine coopération en matière de sécurité. Cependant, les détails sont restés relativement peu développés jusqu’à la réunion de Mascate, où les ministres des Affaires étrangères ont souligné l’importance particulière de ce partenariat «à la lumière des menaces graves et croissantes à la paix, à la sécurité et à la stabilité régionales et internationales», sans compter les «défis qui pèsent sur l’économie mondiale», expliquant cette partie de manière assez détaillée. Pour activer cette coopération, ils ont décidé de tenir un «dialogue de sécurité régional CCG-UE régulier et structuré» au niveau des hauts responsables et de créer des groupes de travail conjoints si nécessaire, dans le cadre de ce dialogue de sécurité, pour coordonner les efforts sur les problèmes régionaux et mondiaux.
Les ministres ont également demandé à leurs hauts fonctionnaires d’explorer le potentiel de coordination CCG-UE sur l’initiative de l’UE pour une présence maritime coordonnée dans le nord-ouest de l’océan Indien.
En plus de ces réunions au niveau intermédiaire et opérationnel, les deux parties sont convenues d’organiser prochainement à Bruxelles un forum de haut niveau sur la sécurité et la coopération régionales pour compléter les travaux entrepris lors des réunions officielles CCG-UE. En juin, l’ancien ministre italien des Affaires étrangères, Luigi Di Maio, a été nommé premier représentant spécial de l’UE pour la région du Golfe, chargé de mettre en œuvre la nouvelle stratégie de l’UE pour le Golfe; il jouera probablement un rôle déterminant dans toute discussion de haut niveau sur la sécurité.
D’une certaine manière, le dialogue a déjà commencé sur un certain nombre de questions liées à la sécurité, notamment sur l’Ukraine, le Yémen, l’Irak, la Syrie, le Soudan et la corne de l’Afrique. Au cours des prochains mois, des discussions cruciales sur ces questions et d’autres questions de sécurité signalées par les deux parties devraient se tenir. Il s’agit notamment de la prolifération des armes nucléaires, des missiles et des drones; de la sécurité maritime; de la cybersécurité; de la lutte contre le terrorisme; du financement du terrorisme, du recrutement et de l’idéologie; de la traite des êtres humains; du trafic de drogue; de la migration illégitime; du crime organisé; de la sécurité énergétique, des approvisionnements alimentaires mondiaux, de la préparation aux catastrophes et des interventions d’urgence. Une liste très ambitieuse.
Le Dr Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et la négociation et un chroniqueur régulier chez Arab News. X: @abuhamad1
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com