La faim à l'intérieur du pays menace les efforts d'ouverture de la Syrie à l'international

Des millions de Syriens manquent de biens de première nécessité pour survivre en raison des conséquences de la guerre (Photo, AFP).
Des millions de Syriens manquent de biens de première nécessité pour survivre en raison des conséquences de la guerre (Photo, AFP).
Short Url
Publié le Samedi 07 octobre 2023

La faim à l'intérieur du pays menace les efforts d'ouverture de la Syrie à l'international

La faim à l'intérieur du pays menace les efforts d'ouverture de la Syrie à l'international
  • Ces dernières semaines, la Syrie a connu des manifestations de grande ampleur qui rappellent celles qui ont secoué le monde arabe il y a plus de dix ans
  • En 2021, seulement 15% de l'aide demandée par les Nations unies au titre de l'assistance humanitaire a été fournie

Alors que la Syrie sort de son isolement diplomatique, des appels à la reconstruction sont lancés par d'anciens adversaires qui cherchent à justifier leurs relations et par les Syriens eux-mêmes, désireux de capitaliser sur leurs nouvelles amitiés. Le flirt récent avec le régime d’Al-Assad occulte toutefois l'ampleur des défis développementaux et humanitaires auxquels le pays se trouve aujourd'hui confronté, le plus important étant celui de la faim.

Ces dernières semaines, la Syrie a connu des manifestations de grande ampleur qui rappellent celles qui ont secoué le monde arabe il y a plus de dix ans. En l'absence de solution politique, le pays reste dans l'impasse. Mais la paralysie des factions politiques syriennes ne se reflète pas dans la situation humanitaire, qui ne cesse de s'aggraver.

Les manifestations qui ont débuté dans le sud du pays avant de gagner Damas et Alep ont fait suite à la décision du gouvernement de supprimer les subventions aux carburants, ce qui a doublé le prix de l'essence. Dans un contexte de détérioration générale du niveau de vie, la décision du gouvernement coïncide avec une crise économique plus large qui a atteint son paroxysme depuis le début du conflit.

Plus de 90% des Syriens vivent en dessous du seuil de pauvreté, tandis que l'inflation galopante et les pénuries alimentaires font que 12,1 millions de Syriens, soit plus de la moitié de la population, souffrent de la faim, selon le Programme alimentaire mondial. La situation économique tendue provoque désormais une crise de malnutrition et 3 millions de Syriens supplémentaires risquent de se retrouver en situation d'insécurité alimentaire. L’augmentation vertigineuse de 532% des prix des denrées alimentaires en l'espace de deux ans témoigne de l'ampleur du problème.

L'augmentation vertigineuse de 532% des prix des denrées alimentaires en l'espace de deux ans témoigne de l'ampleur du problème.

Zaid M. Belbagi

Les circonstances de la longue guerre du pays, aggravées par le conflit en Ukraine et les crises économiques dans les pays voisins, le Liban et la Turquie, ont créé d'énormes défis. Dans ce contexte, le gouvernement syrien a imposé de sévères mesures d'austérité en réduisant les subventions à la farine et au blé ainsi que les subventions aux carburants. Par ricochet, des millions de Syriens ordinaires manquent de produits, de nourriture et de carburant pour survivre.

Les facteurs humains sont les principaux responsables de cette crise. Dans un conflit urbain vicieux souvent caractérisé par des attaques contre des boulangeries, le coût humain de l'activité militaire a été écrasant. La Syrie, qui dépend énormément de l'aide humanitaire, se classe parmi les cinq pays les plus violents du monde pour les travailleurs humanitaires. Le fait que ces derniers soient délibérément pris pour cible, en plus des dangers liés aux opérations dans le contexte syrien, a exercé sur eux une pression incroyable.

En 2021, seulement 15% de l'aide demandée par les Nations unies au titre de l'assistance humanitaire a été fournie.

Le gouvernement ainsi que les factions auxquelles il s'est opposé sont également responsables de l'imposition de sièges à certains territoires et colonies, ce qui a eu un impact drastique sur leur capacité à recevoir des vivres, à générer des revenus et, surtout, à cultiver la terre. En 2019, on estimait que 2,5 millions de Syriens avaient été victimes de sièges imposés principalement par le gouvernement et les forces russes. En plus de la fermeture des frontières pour des raisons de sécurité, les familles syriennes ont dû brûler des déchets et des plastiques toxiques pour chauffer le peu de nourriture dont elles disposaient. Les problèmes respiratoires et les multiples maladies de peau qui en découlent ont été rapportés par les activistes et par les agences d'aide internationale.

Une population déjà meurtrie s'est retrouvée exposée de manière excessive aux fluctuations des prix mondiaux des produits de base.

Zaid M. Belbagi

Dans un pays à la géographie semi-aride, où l'accès à l'eau est qualifié de «précaire», le fait de cibler délibérément les installations d'eau a eu un impact désastreux sur les populations locales. Les attaques contre les réserves d’eau, qui ont le plus souvent eu lieu dans les gouvernorats de Raqqa, Deir Es-Zor et Idlib, se sont répercutées sur les stocks d'eau potable de la Syrie. Ces derniers ont presque diminué de moitié. Le pays a connu des épidémies de choléra pour la première fois depuis un siècle; toutefois, elles ont eu un impact plus profond sur l'irrigation, entraînant le déclin de la production de coton, autrefois lucrative, et réduisant de moitié la production de raisin et d'autres fruits.

L'action humaine qui a conduit à une famine généralisée a également subi le changement climatique. La Syrie, comme d'autres pays du monde arabe, a connu un réchauffement sans précédent. Les sécheresses de 2006 à 2010, qui ont encouragé la révolution, sont de retour, avec des niveaux sans précédent. Selon certaines estimations, la superficie des terres arables en Syrie a diminué de moitié et les Nations unies ont même estimé que la production de blé du pays pourrait cesser complètement. Le mois dernier, le ministère irakien des Ressources en eau, voisin de la Syrie, a averti que l'Euphrate pourrait être asséché d'ici à 2040. Les agriculteurs syriens ont déjà souffert de la baisse du niveau de l'Euphrate.

Les mauvaises récoltes sont donc l'une des nombreuses conséquences durables du long conflit syrien. Une population déjà meurtrie s'est retrouvée exposée de manière excessive aux fluctuations des prix mondiaux des produits de base, incapable d'acheter le peu de carburant qui entre dans le pays. La faim et le froid menacent de provoquer une détresse à grande échelle et des pertes humaines cet hiver. Les complexités climatiques, les prix des denrées alimentaires et le conflit interne en cours font que 90% des Syriens vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Dans ce contexte, il est essentiel que les efforts déployés par les pays étrangers pour soutenir le peuple syrien soient associés au respect par le gouvernement de ses obligations en matière d'acheminement de l'aide. La politisation de l'aide ainsi que le fait de viser délibérément des infrastructures essentielles ont aggravé le sort du peuple syrien. Son bien-être doit être au premier plan des tentatives de rapprochement politique.

 

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). X: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com