Les tensions entre le Liban et Israël atteignent à nouveau leur paroxysme. Le mois dernier, le ministre israélien de la Défense a montré une photo d’un aéroport iranien qui serait situé dans le sud du Liban et utilisé, selon lui, «à des fins terroristes» contre les Israéliens. Bien qu’aucune mesure n’ait été prise, la tension est très forte des deux côtés. Le fait qu’aucune des deux parties ne souhaite une guerre ne signifie pas qu’elle n’éclatera pas. Un seul faux pas peut conduire à la guerre et c’est pourquoi il est impératif de disposer d’un mécanisme de «déconfliction».
Les guerres ne sont pas toujours le fruit d'une décision consciente et volontaire. La Première Guerre mondiale, par exemple, a été provoquée par un seul assassinat. Les tensions à l’époque étaient si fortes en raison de la concurrence entre les États, notamment en ce qui concerne les colonies, que cet acte a dégénéré en guerre mondiale.
Une situation similaire pourrait se produire au Liban. La guerre de 2006 n’était pas planifiée, mais les tensions étaient vives au Liban après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, la Syrie et son allié le Hezbollah étant pointés du doigt. En Israël, le Premier ministre Ehud Olmert voulait faire mieux que son prédécesseur, Ariel Sharon, en matière de sécurité nationale. C’est pourquoi l’enlèvement par le Hezbollah de deux soldats israéliens sur la Ligne bleue, qui aurait pu être évité par des négociations indirectes, a conduit à une guerre totale. Même Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a admis par la suite que la guerre avait pris le groupe au dépourvu.
«“La déconfliction” n’est pas un processus établi avec un ami, mais plutôt un processus auquel on a recours pour éviter un conflit avec un ennemi.»
- Dr Dania Koleilat Khatib
On pourrait dire que la situation est différente aujourd’hui, puisque la mission de l’ONU, déployée dans le sud du Liban, est censée garantir la paix entre les deux pays. Cependant, la présence de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) n’est pas suffisante. La Finul ne contrôle pas le Hezbollah et ne communique pas directement avec le groupe. Par conséquent, si un acte malheureux comme l’enlèvement de deux soldats israéliens se reproduisait, elle serait prise au dépourvu, comme tout le monde.
C’est pourquoi un mécanisme de «déconfliction» est nécessaire. La «déconfliction» n’est pas un processus établi avec un ami, mais plutôt un processus auquel on a recours pour éviter un conflit avec un ennemi. Il est certain qu’Israël et le Hezbollah ne veulent pas se parler. Israël considère le groupe comme «terroriste», tandis que le Hezbollah qualifie Israël de «Satan» et appelle à sa mort lors des prières du vendredi. La légitimité du Hezbollah repose sur son animosité à l’égard d’Israël et sur le degré de sincérité dont il fait preuve à ce sujet.
Comment résoudre ce dilemme? Chaque partie a besoin d’un garant, et un accord doit être conclu entre les garants. Il convient de noter que le Hezbollah et Israël ont déjà conclu un accord non officiel négocié par un garant. L’accord d’avril est un accord indirect conclu en 1996 sous la médiation des États-Unis pour mettre fin à l’opération israélienne au Liban connue sous le nom de «Raisins de la colère».
L’armée libanaise dispose d’un canal de communication avec le Hezbollah et, tant que le pouvoir politique accepte le groupe, l’armée doit traiter avec lui. Elle peut utiliser son canal de communication pour s’assurer que le groupe est maîtrisé. De l’autre côté, les Américains peuvent être les garants des Israéliens. Dans cette configuration, l’armée libanaise assure la liaison avec le Hezbollah et les Américains assurent la liaison avec les Israéliens. Les États-Unis et l’armée libanaise pourraient également organiser des réunions d’information régulières pour s’assurer que le front sud du Liban et le front nord d’Israël sont calmes. Cela est nécessaire, car aucun des deux pays ne souhaite qu’une guerre éclate.
Par ailleurs, les frontières maritimes ont été définies et les deux pays souhaitent profiter des gisements de gaz de la Méditerranée. Israël a déjà commencé à extraire du gaz, tandis qu’une plate-forme de forage est arrivée dans les eaux libanaises le mois dernier pour commencer l’exploration. Les deux pays ont donc intérêt à mettre en place un mécanisme de «déconfliction» qui permettra d’éviter toute guerre imprévue.
«Le Liban et Israël ont tous deux intérêt à mettre en place un mécanisme de “déconfliction” qui permettra d’éviter toute guerre imprévue.»
- Dr Dania Koleilat Khatib
Pour le Hezbollah, la situation aujourd’hui est différente de celle de 2006. Le groupe n’obtiendra probablement pas le soutien qu’il a reçu des différentes factions de la société à l’époque. Au niveau régional, il est peu probable que les pays arabes déversent de l’argent comme elles l’ont fait à la suite de la guerre de juillet. Le groupe sait donc que, cette fois, la guerre sera meurtrière.
Non seulement cette guerre sera meurtrière pour le Hezbollah, mais elle portera également un coup fatal à l’ensemble du pays. Les institutions de l’État libanais s’effondrent et ne peuvent pas absorber le choc d’une frappe israélienne comme elles l’ont fait en 2006. La communauté internationale, en particulier l’Europe, ne veut pas que le Liban se divise et que des vagues de réfugiés traversent la Méditerranée.
Quant à Israël, sa société est plus fracturée que jamais. Le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, veut-il la guerre? Pas vraiment, surtout maintenant qu’il essaie de jouer les gentils avec les États arabes et de faire avancer le processus de normalisation. Bien qu’une guerre puisse momentanément créer un effet de ralliement autour du drapeau, elle ne tarderait pas à engendrer encore plus de divisions. M. Netanyahou pourrait également être soumis à la même pression que celle exercée sur Ehud Olmert pour qu’il démissionne à la suite de la guerre de 2006. La différence aujourd’hui est que le Premier ministre actuel se trouve dans une situation encore plus précaire que ne l’était M. Olmert.
Par conséquent, malgré les différents récits, les deux parties ont besoin de ce mécanisme de «déconfliction». Tout le monde a besoin de calme sur le front israélo-libanais. Il appartient donc aux États-Unis d’initier un tel processus et à l’armée libanaise d’en assurer le suivi.
La Dr Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, en particulier sur les groupes de pression. Elle est présidente du Research Center for Cooperation and Peace Building (Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix), une ONG libanaise axée sur la diplomation parallèle (Track II)
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com