Coopération américano-saoudienne: la nouvelle formule de Mohammed ben Salmane

L’entretien accordé par le prince héritier Mohammed ben Salmane à la chaîne Fox News a suscité un intérêt considérable, tant au niveau régional que mondial (Photo, AFP).
L’entretien accordé par le prince héritier Mohammed ben Salmane à la chaîne Fox News a suscité un intérêt considérable, tant au niveau régional que mondial (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 04 octobre 2023

Coopération américano-saoudienne: la nouvelle formule de Mohammed ben Salmane

Coopération américano-saoudienne: la nouvelle formule de Mohammed ben Salmane
  • Les États-Unis ont exercé des pressions sur l'Arabie saoudite sur une multitude de questions, notamment en l’incitant à normaliser ses relations avec Israël
  • Le prince héritier a fait preuve d’une grande acuité et d’une connaissance approfondie de toutes les questions de politique étrangère

L’entretien accordé par le prince héritier Mohammed ben Salmane à la chaîne Fox News a été diffusé le 21 septembre. Il a suscité un intérêt considérable, tant au niveau régional que mondial. C’est tout à fait normal, puisque les dirigeants du monde entier veulent à tout prix écouter l’architecte du projet national saoudien dont presque tout le monde parle.

Son intervention concernait la transformation globale dont le Royaume est témoin, ainsi que sa position de pionnier dans la région en tant que promoteur de sécurité et de stabilité le plus influent. De plus, l’Arabie saoudite se positionne parmi les grandes puissances, se présentant comme une force indispensable sur le plan économique, politique et sécuritaire.

Les propos du prince héritier sur les relations avec les États-Unis revêtent la plus grande importance dans le contexte de la politique étrangère du Royaume, d’autant plus que les liens entre les deux parties ont fait l’objet de nombreux débats ces dernières années. L’entretien a révélé que des efforts et des accords diplomatiques en cours pourraient inaugurer une ère nouvelle dans les relations américano-saoudiennes.

Il ne fait aucun doute que ces relations se sont considérablement détériorées sous la présidence de Joe Biden. Son administration a réévalué les relations entre les États-Unis et le Royaume dans une perspective partisane. Elle n’a prêté aucune attention au partenariat stratégique entre les deux parties qui a garanti les intérêts américains dans la région au cours des huit dernières décennies. Les désaccords portent sur certaines questions régionales et mondiales à la lumière du déclin des intérêts et de la présence des États-Unis au Moyen-Orient.

«Des efforts et des accords diplomatiques en cours pourraient inaugurer une ère nouvelle dans les relations américano-saoudiennes.»

Dr Mohammed al-Sulami

En outre, les États-Unis ont exercé des pressions sur le Royaume sur une multitude de questions, notamment en l’incitant à normaliser ses relations avec Israël et à adhérer aux accords d’Abraham. Ainsi, l’administration américaine a souhaité réaliser des gains similaires à ceux de l’administration Trump à la suite des accords signés entre Israël d’une part et les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan de l’autre. Sans compter les pressions exercées sur Riyad pour augmenter ses exportations de pétrole afin de réduire les prix de l’énergie, qui ont grimpé à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine. Cela témoigne de l’indifférence à l’égard de l’intérêt de l’Arabie saoudite à parvenir à un équilibre entre l’offre et la demande et à stabiliser les prix mondiaux de l’énergie.

Qui plus est, les États-Unis sont préoccupés par l’approche de politique étrangère du Royaume – aux niveaux régional et mondial –, notamment avec la normalisation de ses relations avec l’Iran à la lumière des divergences croissantes entre Washington et Téhéran sur la question nucléaire, ainsi que les liens croissants de l’Arabie saoudite avec la Chine, qui possède un plan pour restructurer l’ordre mondial actuel et freiner la domination américaine. Les États-Unis émettent également des réserves quant aux relations du Royaume avec la Russie, engagée dans une confrontation indirecte avec les États-Unis et désireuse de regagner son prestige mondial. Enfin, la tentative saoudienne de rejoindre les Brics, un bloc de marchés émergents censé s’opposer à l’influence occidentale, suscite l’inquiétude de Washington.

Lors de son entretien, le prince héritier a remis les pendules à l’heure sur tous ces sujets. Il a clarifié la position saoudienne bien établie sur la normalisation des relations avec Israël, qui nécessite de parvenir à une solution équitable par rapport à la cause palestinienne. Il a également réitéré la voie à suivre pour normaliser les relations avec l’Iran et a mis en lumière la poursuite d’une politique énergétique qui trouve un équilibre entre un marché stable et des prix équitables. Il a défendu les relations de l’Arabie saoudite avec la Russie et la Chine ainsi que sa position face à la crise ukrainienne.

Les positions du prince héritier sur toutes ces questions ont été décisives, ce qui montre la confiance qu’il accorde au bien-fondé et à l’objectivité de la position saoudienne. Elles ont aussi réitéré la volonté de Riyad de poursuivre une politique étrangère active et efficace qui place les intérêts nationaux saoudiens avant toute autre chose. Cela implique de diversifier les partenariats sur la scène internationale, de se forger une position mondiale, de parvenir à la stabilité régionale et de placer le Royaume au cœur des dynamiques régionales et mondiales. Cela correspond à son potentiel, à ses ressources, à sa position et à son rôle et, plus important encore, affiche sa fermeté face aux pressions et au chantage, tout en œuvrant à l’établissement de relations équilibrées.

«Les deux parties sont désormais à deux pas de ce que l’on pourrait appeler leur deuxième ère de relations stratégiques.»

Dr Mohammed al-Sulami

Peut-être que les États-Unis n’ont toujours pas saisi l’énorme transformation qui a lieu au niveau de la politique étrangère saoudienne, fondant plutôt leurs convictions sur des perceptions passées et l’évolution historique des relations, où la réalisation des intérêts a toujours été unilatérale. Cependant, il semble que Washington ait commencé à se rendre compte, d’une part, qu’il a commis des erreurs de calcul concernant le Royaume et, d’autre part, qu’il a eu tort de sous-estimer son importance. En effet, l’Arabie saoudite est un partenaire stratégique, en particulier dans le contexte de ces changements actuels, qui montrent que Riyad est un allié important et indispensable au cas où les États-Unis voudraient conserver leur influence régionale et leur rôle de pionnier à l’échelle mondiale.

Il est juste de dire qu’il y a eu un changement radical dans l’évaluation de la politique étrangère américaine à l’égard de l’Arabie saoudite. Depuis l’année dernière – mai 2022, pour être plus précis, selon un rapport du département d’État américain –, les relations saoudo-américaines sont considérées dans le contexte d’une relation de sécurité à long terme qui n’est pas dénuée de querelles. Les États-Unis tirent profit du soutien humain et matériel de l’Arabie saoudite pour mener à bien leurs ambitions internationales.

Toutefois, dans leur rapport intitulé Les relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite: huit décennies de partenariat, publié en juin, les États-Unis ont modifié l’objectif de leurs relations avec le Royaume. Ils réitèrent que Washington «continue de collaborer avec l’Arabie saoudite sur les questions politiques, sécuritaires, antiterroristes, économiques et énergétiques, notamment sur l’innovation en matière d’énergie propre, pour faire progresser notre vision commune d’un Moyen-Orient plus pacifique, plus sûr, plus prospère et plus stable».

Depuis cette date, les relations de l’Arabie saoudite ont pris un autre tournant. En témoignent les interactions observées lors du sommet du G20 en Inde en septembre, la rencontre entre le prince héritier et Biden en marge du sommet et la coopération sur le projet de corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe. Ce couloir montre l’appréciation de l’administration américaine non seulement du rôle du Royaume dans la région, mais aussi de la place qu’il mérite sur la scène mondiale.

Le prince héritier a confirmé lors de son entretien que des négociations étaient en cours pour signer un accord de coopération en matière de défense entre les deux parties qui renforcera également les intérêts américains. Cet accord potentiel épargnerait de gros efforts à l’Arabie saoudite, l’empêchant ainsi de chercher ailleurs pour établir des partenariats. Les deux parties sont désormais à deux pas de ce que l’on pourrait appeler leur deuxième ère de relations stratégiques.

On s’attend à ce que les relations saoudo-américaines ne se concentrent plus uniquement sur les questions de sécurité, mais englobent également des questions plus larges, reflétant les réalités d’aujourd’hui et la position régionale et mondiale actuelle de l’Arabie saoudite. Bien entendu, ce sera un énorme succès pour Riyad et le résultat de l’efficacité du Royaume à gérer ses questions de politique étrangère et à entreprendre des transformations majeures.

En conclusion, on pourrait dire que la confiance qu’a le prince héritier en lui-même, dans le potentiel de sa nation et dans la vision à long terme et durable du Royaume qu’il a exposée en coopération avec ses collaborateurs était palpable dans son entretien. Il a cherché à capter l’attention du public américain et mondial en choisissant d’accorder cet entretien en anglais et en présentant des arguments convaincants qui reflètent la réalité de l’homme qui est à l’origine du projet national saoudien.

Peut-être que cet article ne suffit-il pas à présenter le projet national saoudien. Cependant, les commentaires formulés par les décideurs politiques et les experts à l’issue de l’entretien aident à dresser un tableau précis des progrès, des avancées et des transformations rapides du Royaume. De plus, le prince héritier a fait preuve d’une grande acuité et d’une connaissance approfondie de toutes les questions de politique étrangère. Il est par ailleurs tout à fait conscient de la portée des capacités et des outils de l’Arabie saoudite et de la meilleure manière de les utiliser conformément aux intérêts nationaux du pays. Cela est particulièrement pertinent dans le contexte des relations du Royaume avec les États-Unis, qui se trouvent à un stade que l’on considère comme l’un des plus sensibles de leur histoire, à la lumière de l’incertitude qui règne sur les plans régional et mondial.

Le Dr Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).

X: @mohalsulami 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com