Il y a quatre ans, alors que le conflit se poursuivait en Syrie entre le régime et les nombreux groupes d’opposition, les pourparlers d’Astana ont été lancés et un cessez-le-feu généralisé a été atteint, en grande partie grâce à un accord entre la Russie et la Turquie. Les pourparlers d’Astana étaient, pour plusieurs, une première prise de conscience de l’importance du Grand Moyen-Orient, qui s’étend de l’Afrique du Nord à l’Asie centrale.
C’était la première fois qu’une question arabe était négociée en Asie centrale. Les terrains neutres étaient souvent Genève ou Oslo. Le rôle important que le Kazakhstan a joué pour promouvoir une négociation positive était évident. Ce sont les relations positives que le Kazakhstan entretient avec la Russie et la Turquie, ainsi que ses relations étroites avec les pays du Golfe et les États-Unis, qui ont permis au processus d’avoir lieu.
Les pourparlers d’Astana ont également permis de prendre conscience que le Moyen-Orient devenait plus grand en termes de nombre d’acteurs, mais plus petit en termes d’impact d’un pays à l’autre. Si, dans le passé, il fallait choisir entre l’Union soviétique et les États-Unis, les grandes et moyennes puissances sont aujourd’hui capables d’interférer et d’agir, ce qui rend l’élaboration de solutions plus difficile. Par ailleurs, toute crise ou chaos peut se répandre rapidement d’un côté de la région à l’autre.
Ce phénomène s’est récemment reflété lors du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui a poussé l’Iran à se demander comment se positionner stratégiquement. Cela s’est terminé par des tensions avec la Turquie sur la souveraineté de l’Iran. La récitation d’un poème nationaliste azéri par le président turc Recep Tayyip Erdogan a été perçue comme une menace directe et a été rejetée par le régime iranien. Il est étrange de voir l’Iran être l’arroseur arrosé, et il s’agit exactement de sa propre politique étrangère arabe. Cette politique étrangère est totalement différente de sa politique d’Asie centrale, où il est bien plus respectueux. On pourrait même dire que si l’Iran respectait les pays arabes autant que les pays d’Asie centrale, le Grand Moyen-Orient serait tout à fait différent.
Cette plus grande indépendance, où les intérêts et le pragmatisme se mêlent aux origines ethniques et religieuses, est devenue un nouveau paradigme compliqué mais clair dans la région. Par conséquent, la vision pour le Conseil de coopération du Golfe (CCG) ne peut plus être limitée aux pays arabes, mais doit être élargie. Certaines études ont mis en évidence que les pays du CCG étaient les premiers à collaborer avec les pays d’Asie central après leur indépendance et la chute de l’Union soviétique.
Cependant, par rapport à leurs relations avec d’autres pays asiatiques, tels que la Chine ou le Japon, l’Asie centrale semble être une page blanche. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont pu entretenir des relations extrêmement solides avec l’Asie de l’Est, qu’elles soient politiques, culturelles ou commerciales. Mais l’Asie centrale, qui représente une région importante pour la stabilité mondiale, n’a pas bénéficié du même niveau d’engagement, bien qu’elle soit sur la bonne voie.
Les pays du CCG doivent établir plus de liens avec l’Asie centrale— absolument pas dans le but de contrer l’Iran ou la Turquie, qui ont de l’influence et des liens historiques dans cette région, mais parce que c’est une décision logique qui permettrait d’augmenter la stabilité dans le Grand Moyen-Orient. Elle permettrait également au CCG de faire partie de la chaîne d’approvisionnement pour l’énergie et les biens de l’Asie à l’Europe.
L’Asie centrale pourrait être une opportunité pour de nouvelles relations « bac à sable » entre toutes les puissances mondiales afin de trouver un équilibre et d’instaurer la confiance. Un environnement d’essai positif pour les investissements, le commerce et les échanges culturels en Asie centrale pourrait faire partie d’une solution innovante pour de meilleures relations dans l’ensemble du Grand Moyen-Orient. Il est également important que les deux régions cherchent à diversifier leurs économies, ce qui offrirait de grandes opportunités.
Comme la région arabe, l’Asie centrale est une région compliquée, mais intrinsèquement, c’est la même langue d’équilibre géopolitique qui y est parlée
Khaled Abou Zahr
Le Kazakhstan, par exemple, a tissé des liens solides avec les Émirats arabes unis. Ces liens pourraient servir de feuille de route pour le bon développement de partenariats transrégionaux, non seulement dans le commerce et les affaires, mais également en soulignant l’importance des échanges culturels et humanitaires. Les Émirats arabes unis et le Kazakhstan ont conclu en octobre un accord d’une valeur de 6,1 milliards de dollars, en vertu duquel les deux pays mettront en œuvre plus de 20 projets dans un large éventail de secteurs — dont la moitié concerne l’agro-industrie et la sécurité alimentaire.
Pour sa part, l’Arabie saoudite a apporté un soutien et des engagements importants à l’Ouzbékistan pour élargir la collaboration économique. Plus récemment, ACWA Power a annoncé la signature de trois nouveaux accords stratégiques, d’une valeur potentielle de 2,5 milliards de dollars, avec le ministère de l’Énergie de l’Ouzbékistan. Ils visent à amplifier la production d’électricité et à développer l’expertise technique.
Comme la région arabe, l’Asie centrale est une région compliquée, mais intrinsèquement, c’est la même langue d’équilibre géopolitique qui est parlée — et nous la comprenons tous. Bien qu’elle ait historiquement été une base de pouvoir pour la Russie, qui entretient des relations positives et solides avec tous les pays, il est important de noter que la Chine, grâce à son Initiative la Ceinture et la Route (ICR), a également amélioré son influence dans la région. L’ICR devrait tracer les itinéraires industriels et commerciaux entre l’Asie et l’Europe pour des siècles à venir. Cette initiative représente également un signal pour la croissance future de l’Asie et le potentiel de coopération en matière d’énergie et d’infrastructure entre le Golfe et l’Asie centrale.
Évidemment, les États-Unis ont aussi une forte influence. Washington a pour objectif d’aider les pays d’Asie centrale à réduire les menaces terroristes, et ceci concerne tous les pays. Pour plusieurs années, les États-Unis examinaient l’Asie centrale à travers le prisme de l’Afghanistan avec l’objectif de l’intégrer dans la région, apportant ainsi plus de stabilité. Puisqu’un accord avec les talibans a été conclu et que les États-Unis planifient leur retrait, Washington cherchera à maintenir la stabilité et à empêcher tout groupe radical de gagner du terrain, ce qui apportera tout le soutien nécessaire aux pays d’Asie centrale pour maintenir la stabilité. Étant donné que l’administration Biden continuera probablement de réduire la dépendance des États-Unis au pétrole, tout en réinitialisant les relations internationales, cela pourrait également offrir aux pays du CCG — et à la Turquie — l’occasion de renforcer les relations bilatérales avec les pays d’Asie centrale.
Les défis et les dangers auxquels le Grand Moyen-Orient fait face sont grands, mais les opportunités le sont aussi. Avec des relations bilatérales renforcées, le désir de construire une infrastructure régionale pourrait donner un résultat positif. Il pourrait contribuer à équilibrer les intérêts des grandes puissances et des puissances moyennes.
• Khaled Abou Zahr est PDG d'Eurabia, une société de médias et de technologie. Il est également le rédacteur d'Al-Watan al-Arabi. Twitter : @KhaledAbouZahr
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d ‘un article paru sur www.ArabNews.com