Lors du débat général de la semaine dernière à l’Assemblée générale des nations unies (Agnu), le Premier ministre irakien, Mohammed Chia al-Soudani, a fait part, avec enthousiasme, de l’adoption par son gouvernement d’un programme méticuleusement conçu avec des priorités cruciales destinées à être rapidement exécutées. Le tout vise à améliorer considérablement la vie des citoyens irakiens. Parmi les initiatives figurent la création de vastes perspectives d’emploi, une réduction significative de la pauvreté, des mesures anticorruption strictes et l’annonce de réformes économiques solides.
Le Premier ministre envisageait un rôle proactif pour l’Irak dans la résolution d’une série de défis internationaux et régionaux grâce à une adhésion inébranlable au droit international et à un profond respect de toutes les résolutions de l’ONU. Le dialogue a accentué le désir de l’Irak de favoriser des relations cordiales avec ses voisins tout en s’abstenant avec véhémence de devenir un catalyseur d’agression contre un État souverain.
M. Al-Soudani a évoqué les sombres répercussions de l’extrémisme religieux – une force malveillante à laquelle l’Irak se trouve confronté. Il a dénoncé l’extrémisme sous toutes ses formes. Il a imploré la camaraderie des nations amies pour aider l’Irak dans sa formidable bataille contre la corruption et la récupération des richesses nationales volées. Cet appel à l’action a été lancé en plein milieu de son discours à l’Agnu.
Le dirigeant irakien a mis en avant la métamorphose de son pays en un lieu propice pour les investisseurs et son rôle central sur le marché pétrolier mondial. Il a fait allusion à l’actuel développement d’un corridor régional qui vise à fluidifier les canaux de commerce et de transport.
De manière ironique, dans son discours, M. Al-Soudani a brossé un tableau optimiste de la situation actuelle en Irak – une description qui rappelle des régions plus stables et plus prospères, comme la Suisse ou Dubaï. Il semblait faire abstraction des défis liés aux milices chiites mandatées par le Corps des gardiens de la révolution islamique, aux activités criminelles répandues et aux assassinats politiques.
Le discours paraissait également minimiser le lien prétendu entre la corruption et les factions dirigeantes pro-iraniennes auxquelles il est associé. Dans cette optique, un contraste apparaît entre le portrait de M. Al-Soudani et les réalités du terrain en Irak, invitant à un examen plus approfondi de la dynamique politique et sociale dominante du pays.
«M. Al-Soudani a brossé un tableau optimiste de la situation actuelle en Irak – une description qui rappelle des régions plus stables et plus prospères, comme la Suisse ou Dubaï.»
Dalia al-Aqidi
Alors que M. Al-Soudani cherche à se présenter comme un héros déterminé à éliminer la corruption en Irak aux yeux de la communauté internationale, son mandat appelle, depuis son entrée en fonction, en octobre dernier, à un examen plus approfondi. En juillet, une action conjointe du département du Trésor des États-Unis et de la Réserve fédérale américaine a permis d’interdire à quatorze banques irakiennes d’exécuter des transactions en dollars. Cette mesure, qui fait partie d’une initiative plus large visant à lutter contre la corruption et à mettre un terme à la contrebande de dollars vers l’Iran, a été prise à la suite d’une révélation. Ces banques auraient été mêlées à des activités de blanchiment d’argent et à des transactions potentiellement frauduleuses, dont des entités sanctionnées alignées sur l’Iran pourraient tirer profit.
Cette interdiction ne représente qu’une facette de la vaste initiative de Washington qui a pour but d’endiguer les transactions frauduleuses en dollars sur le sol irakien. Le Trésor américain et la Banque centrale d’Irak ont également institué des réglementations plus strictes au sujet des virements électroniques. Parallèlement, la Réserve fédérale américaine a renforcé son contrôle de l’origine des fonds étrangers destinés à l’achat de dollars lors des enchères quotidiennes de devises irakiennes. La pratique qui consiste à utiliser les banques irakiennes pour acheminer les fonds américains vers l’Iran devrait être alarmante.
Il est largement reconnu, parmi les initiés irakiens, y compris le Premier ministre, qu’aucune transaction financière, notamment en dollars, n’est dirigée vers Téhéran sans l’autorisation ou la facilitation explicite du gouvernement de Bagdad. Cela se manifeste souvent au moyen de la protection fournie par les milices pro-iraniennes.
Il est donc impératif que M. Al-Soudani fasse l’objet d’une enquête et soit tenu responsable des violations potentielles des sanctions américaines contre l’Iran, d’autant plus que le gouvernement irakien présente constamment Washington comme une force alliée dans la guerre mondiale contre le terrorisme.
Dans son discours à l’Agnu, le Premier ministre irakien a souligné que les jeunes, qui représentent 60% de la population du pays, sont considérés comme le «meilleur investissement». Il a évoqué de nombreuses initiatives qui ont pour objectif d’améliorer les chances des étudiants et des jeunes, notamment dans le secteur de l’emploi. Cependant, une dichotomie perceptible existe puisque les jeunes journalistes, militants et créateurs de contenu sont régulièrement menacés pour avoir exprimé des critiques à l’égard du gouvernement et des dirigeants chiites du pays. Malgré ce climat d’intimidation omniprésent, les membres des milices semblent agir en toute impunité. Ils ne sont pas inquiétés lorsqu’ils menacent les civils ou lancent des assauts contre des militants.
«Le sort des femmes irakiennes est catastrophique en raison de l’absence d’un cadre législatif qui protège leurs droits.»
Dalia al-Aqidi
Au lieu de dresser un tableau idyllique de la situation des femmes en Irak, M. Al-Soudani devrait admettre que leur situation est catastrophique en raison de l’absence d’un cadre législatif qui protège leurs droits et les mette à l’abri de la violence domestique. Selon l’ONU, 46% des femmes irakiennes mariées sont victimes de violence domestique et un tiers d’entre elles ont subi des agressions physiques et sexuelles.
Le projet de loi contre la violence domestique a fait l’objet de délibérations au Parlement au cours de quatre sessions pour être ensuite systématiquement rejeté par des factions politiques alignées sur les partis religieux. Ces blocs ont jugé le projet de loi répréhensible, affirmant qu’il transgressait les normes sociétales et religieuses et favorisait une attitude permissive à l’égard des femmes soumises à la violence domestique.
Malheureusement, le code pénal irakien perpétue une culture d’impunité envers les violences commises par des hommes contre les femmes. Il contient des dispositions qui permettent aux maris de punir leurs femmes et aux parents de discipliner leurs enfants, compromettant ainsi davantage la sécurité et les droits des femmes et des enfants. En outre, il autorise la clémence dans la détermination des peines pour des actes de violence, même pour un homicide, sous couvert de motifs dits «honorables», ou encore lorsqu’un mari ou un homme de la famille découvre qu’une épouse ou une parente entretient une relation extraconjugale.
Selon un récent rapport publié par Human Rights Watch, une personne accusée de viol ou d’agression sexuelle peut échapper aux poursuites judiciaires ou voir sa peine annulée si elle se marie avec la victime. Les lois actuelles exacerbent le traumatisme et la marginalisation des femmes concernées, renforçant un discours patriarcal qui a cruellement besoin d’une réforme juridique globale pour défendre la dignité, les droits et la protection des femmes en Irak.
On le voit, la description progressiste de l’Irak donnée par M. Al-Soudani n’est convaincante que sur le papier. Les efforts internationaux du Premier ministre pour dissimuler les incapacités de son gouvernement à protéger ses citoyens semblent vains. Les dures réalités sont évidentes pour la communauté mondiale et tous les habitants du pays. Sans l’instauration et le respect de l’ordre public, les aspirations à un Irak stable et prospère demeureront lettre morte.
Dalia al-Aqidi est chercheuse principale au Center for Security Policy.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com