La presse internationale s'est fait l'écho de l'annonce, le 29 août dernier, par le ministère public de la Confédération helvétique à Berne, de la mise en accusation du général algérien Khaled Nezzar pour crimes contre l'humanité, notamment «pour avoir créé délibérément des structures visant à exterminer l'opposition islamiste».
On se rappelle les faits: le 26 décembre 1991, le premier tour des élections législatives alors en cours en Algérie avait donné 47% des voix au Front islamique du salut (FIS), un mouvement islamiste radical qui s'apprêtait à gagner le deuxième tour. En réaction, l'armée dirigée par Khaled Nezzar décida d'interrompre le processus législatif. Le président de la république, Chadli Bendjedid, démissionna et une instance provisoire fut créée, le Haut Comité d'État (HCE) composé de cinq membres, où le général Nezzar représentait l'armée. Immédiatement, les militants du FIS prenaient le maquis, prouvant qu'ils étaient préparés au conflit et disposaient des armes nécessaires. On connaît la suite: de 150 000 à 200 000 morts et dix années tragiques, «la décennie noire».
Au départ, le HCE était présidé par Mohamed Boudiaf, revenu après un exil de vingt-huit ans, un démocrate sincère qui fut assassiné six mois plus tard et ne fut pas vraiment remplacé avant la nomination de Liamine Zéroual en 1994. Durant cette période, Khaled Nezzar, par sa très forte personnalité, a marqué de son empreinte les fonctions qu'il a exercées comme ministre de la Défense, chef de l'armée et membre du HCE, dans une période cruciale de l'Histoire algérienne.
C'est à ce titre que cinq militants islamistes secondés par l'organisation non gouvernementale Trial International ont saisi la justice suisse en 2011. Après douze années de tergiversations, celle-ci vient finalement de décider de juger Nezzar. C'est de toute évidence une première et grande victoire pour la mouvance islamiste algérienne, s'agissant du personnage le plus remarquable qu'ait connu l'Armée nationale algérienne depuis l'indépendance.
«L'affaire Nezzar» appelle l'attention sur les conséquences abusives d'une conception extensive de la compétence universelle, qui autorise un juge à se saisir, sur une plainte d'où qu'elle vienne, contre toute personne, sans aucune limitation ni contrainte, pourvu qu'un crime de guerre, un crime contre l'humanité, ou un acte de torture soit allégué.
En son temps, Abdelaziz Bouteflika a fait adopter par référendum une Charte pour la paix et la réconciliation… Il était bien, en effet, de la responsabilité du peuple algérien d'en décider ainsi et on se demande ce qui autorise un tribunal d'un pays étranger à en juger autrement trente ans plus tard.
- Hervé de Charette
En Algérie, la guerre civile déclenchée par les islamistes en 1992 fut l'une des plus dures et les plus douloureuses de l'Histoire contemporaine. Les atrocités n'ont pas manqué de tous côtés et en tous lieux. En France, on n'a pas oublié l'enlèvement et l'assassinat des moines de Tibhirine. Et c'est pourquoi la tragédie algérienne a laissé une trace sombre et indélébile dans l'Histoire de ce pays. Chacun s'en souvient et personne ne veut plus en entendre parler.
En son temps, Abdelaziz Bouteflika a été élu pour y mettre un terme et il a fait adopter par référendum une Charte pour la paix et la réconciliation, qui amnistie tous ceux qui y ont été impliqués et punit sévèrement ceux qui voudraient y revenir de quelque manière que ce soit. Il était bien, en effet, de la responsabilité du peuple algérien d'en décider ainsi et on se demande ce qui autorise un tribunal d'un pays étranger à en juger autrement trente ans plus tard.
Au surplus, on voit mal comment en l'espèce la justice suisse pourrait se considérer «en état» de juger, c'est-à-dire légitimement certaine de disposer de tous les éléments d'information nécessaires, alors qu'elle n'a pas pu accéder aux dossiers disponibles en Algérie, ni aller sur place, ni interroger l'ensemble des acteurs de cette histoire tragique. On a tout lieu de s'inquiéter d'un jugement prononcé dans de telles conditions.
En réalité, juger Nezzar comme cela se prépare, c'est juger le pouvoir algérien en place pendant la guerre civile et le faire du point de vue des islamistes, qu'il s'agisse du Groupe islamique armé (GIA), le mouvement terroriste responsable de la tragédie, ou des forces islamistes qui subsistent aujourd'hui et qui n'ont pas fini de régler leurs comptes.
Condamner Nezzar demain, ce sera, pour la justice suisse, entrer dans l'Histoire de l'Algérie comme par effraction, arbitrer entre les uns et les autres, alors que le peuple algérien n'a pas encore, tant s'en faut, fait face à son propre passé, et qu'il n'attend sûrement pas qu'en Europe des juges s'autorisent à le faire à sa place.
Décidément non, la justice suisse ne devrait pas juger le général Khaled Nezzar. Cette justice-là, c'est surtout de la politique. «La justice ne doit pas seulement être dite, elle doit donner le sentiment qu'elle a été bien rendue», rappelle la Cour européenne des droits de l'homme. On en est loin.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
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